"Dans la confusion de notre époque quand une centaine de voix contradictoires prétend parler au nom de l'Orthodoxie, il est essentiel de savoir à qui l'on peut faire confiance. Il ne suffit pas de prétendre parler au nom de l'Orthodoxie patristique, il faut être dans la pure tradition des saints Pères ... "
Père Seraphim (Rose) de bienheureuse mémoire

lundi 13 janvier 2020

MONOMAKHOS: Les yeux plus gros que le ventre



Il est clair depuis plusieurs mois maintenant que le nouvel archevêque de l'archidiocèse grec orthodoxe, Elpidophoros Lambrianides, a probablement eu les yeux plus gros que le ventre.[1]

Pour être juste, la mission que le Patriarche Bartholomée lui a confiée était plutôt impossible (pardonnez le jeu de mots). Pensez à lui comme le prochain entraîneur des Dallas Cowboys : peu importe qui c'est, Jerry Jones va tout faire pour que les choses s'améliorent à jamais parce qu'il considère cette franchise comme son jouet personnel. De même que le GOA ( Greek Orthodox Archidiocese), qui est le joyau de la couronne du Patriarcat œcuménique. Le dernier archevêque indépendant - Iakovos Coucouzis - a été démis de ses fonctions sans cérémonie il y a vingt-quatre ans et le GOA est dans une situation pire. Et selon toute vraisemblance, son mandat a été l'apogée du GOA.

La fréquentation est en baisse, les églises sont vendues, la caisse de retraite des prêtres est épuisée, Holy Cross [Séminaire Sainte-Croix] risque de perdre son accréditation académique et le Sanctuaire Saint-Nicolas et le Centre de deuil non confessionnel sont si loin dans le trou que son achèvement est une question ouverte. Sur le plan social, il ne peut pas décider s’il approuve ou non la communion ouverte [id est aux hétérodoxes]. Et tout le blâme est jeté aux pieds de l'archevêque précédent (Demetrios Trakatellis). Très classe. De plus, les tactiques de Lambrianides ont été pour la plupart maladroites vis-à-vis des autres juridictions. (On suppose qu'il s'est ouvertement vanté à des personnes diverses et variées de la façon dont il allait faire passer l'OCA sous Istanbul). L'Assemblée Episcopale, qui se flétrissait sur la vigne avant son arrivée, semble plus ou moins défunte, sa mission de couverture de la domination grecque de l'Orthodoxie américaine est maintenant exposée aux yeux de tous.

Il y a une lumière au bout du tunnel, mais à ce stade, il pourrait aussi bien s'agir d'un train en marche, en ce qui concerne le nouvel archevêque.

Oh bien sûr, il y a une brève rafale de nouvelles concernant le redémarrage de St Nicolas. Une séance de photos avec le gouverneur infanticide de New York a été organisée pour les masses en liesse. Il a été invité à dîner par toutes les personnes appropriées. J'imagine qu'il a mis les monastères athonites au pas, mais rien de tout cela n'est un progrès en soi. En fait, ce n'est rien d'autre que de la stase. La réalité est beaucoup plus sombre : pensez à toute cette activité comme à la furieuse mise à l'eau d'un canot de sauvetage qui fuit.

Grâce à nos sources à Manhattan, nous avons une indication de l'ampleur du désespoir. D'abord, il semble que les fédéraux se rapprochent de la 79ème rue : Jerry Dimitriou, l'ancien directeur exécutif, chante comme un oiseau au FBI [se met à table !]. Quelque dix-sept millions de dollars ont disparu (très probablement pour des paiements pour inconduite sexuelle). Deuxièmement, il semble de plus en plus probable que l'État de New York devra s'impliquer pour terminer le bâtiment de Saint-Nicolas. Ensuite, il y a la nouvelle la plus récente selon laquelle, afin de relancer l'effort de collecte de fonds pour cet édifice, Lambrianides exige 100 $ de chaque femme de l’organisation Philoptochos [ organisation philanthropique de l’église grecque des USA]. Pour ajouter l'insulte à l'injure, l'allocation annuelle à Istanbul a été augmentée d'un million à 1,5 million de dollars. Et puis, que se passera-t-il quand les documents du Département d'Etat seront enfin divulgués et qu'il sera confirmé que le Département de la Justice a été prié par eux de fermer les yeux pour que le Patriarche Bartholomée puisse faire les enchères russophobes de l'Etat en Ukraine ?

Oh, et le Phanar exige un autre audit de toutes les propriétés de l’Archidiocèse Orthodoxe Grec ( en anglais GOA) - les églises, les salles paroissiales, les écoles de jour et les monastères. C'est contraire à la loi d'ailleurs ; un gouvernement étranger ne peut pas ordonner des audits d’institutions américaines. Lambrianides, qui se comparait à un " Tournesol " lorsqu'il recevait ses ordres de marche, a malheureusement mis tout cela sur son dos. Il a commis l'erreur cardinale de croire à toutes les flatteries que lui ont faites les courtisans du Phanar. Comparé aux médiocres qui " président " les diocèses éteints de l'Empire byzantin disparu depuis longtemps, le Lambrianides, bien éduqué, urbain et multilingue, est un cas à part. Certes, la barre est basse, mais ses talents n'en sont pas moins réels. S'il était prêt à venir en Amérique et à s'occuper de ce pays, à travailler avec les autres pays en toute humilité, il pourrait très bien s'en sortir. Ce n'est jamais la stratégie de match en ce qui concerne les Phanariotes, donc même s'il voulait adopter un nouveau paradigme, il ne pourrait jamais s'en tirer.

En dernière analyse, il a été piégé pour être le bouc émissaire. Pas par intention, remarquez bien : les Phanariotes ont longtemps cru à leur propre battage médiatique, vivant comme ils le font dans un monde imaginaire depuis des siècles.

Oh bien sûr, il est possible qu'il puisse réussir ; à un certain niveau au moins. Au moins, l'attrition des fidèles pourrait être stoppée, peut-être même renversée. Cela pourrait se produire au niveau de la paroisse avec des chants de congrégation, une plus grande utilisation de l'anglais (correct) dans les offices, plus d'activités philanthropiques locales, etc. Tout cela ne coûte rien et augmenterait (j'ose le dire) l'enthousiasme dans les paroisses.

Au lieu de cela, l’Archidiocèse Orthodoxe Grec continue de fonctionner comme une église " nationale " à forte concentration de dirigeants, émettant des décrets de haut en bas qui ne reconnaissent pas le monde différent dans lequel nous vivons maintenant. Pire encore, il est encore imprégné de nostalgie néo-byzantine qui s'exprime malheureusement dans une sensibilité zorba-grécienne [2] au niveau paroissial. Il ne peut tout simplement pas laisser le passé derrière lui. La force d'attraction d'Anthony Quinn est encore trop grande pour beaucoup.

La dernière preuve en est le dernier projet de lièvre que certains proposent sur la 79e rue. Arb Elpidophoros a récemment accueilli le nouveau Premier ministre grec, Kyriakos Mitsotakis, lors de sa visite d'État en Amérique. Lors de la célébration annuelle de l'Epiphanie à Tarpon Springs, l'archevêque a annoncé que le gouvernement grec allait renflouer Holy Cross/Hellenic College.

Oui, vous avez bien lu : le gouvernement étranger du pays le plus pauvre de la zone euro, qui ne peut pas faire les paiements minimums sur sa dette souveraine, va débourser plusieurs millions d'euros pour empêcher Holy Cross/Hellenic College de fermer ses portes.

C'est de la folie à bien des égards. La pire compréhension possible est ce que cela dit sur l'engagement de l’Archidiocèse Orthodoxe Grec pour l'unité juridictionnelle : ça n'arrivera pas. Pire encore, ce n'est rien de moins qu'une gifle directe aux autres juridictions - en particulier l'OCA [Orthodox Church in America : Eglise Orthodoxe Américaine Autocéphale].

L'OCA, comme vous le savez, a trois séminaires aux États-Unis. L'un d'eux (St Vladimir's Seminary) est considéré comme le meilleur séminaire orthodoxe du monde anglophone. Holy Cross n'a jamais été considéré - même dans le meilleur des cas - comme étant au même niveau que St Vladimir ou comme le meilleur dans quelque domaine que ce soit. La juridiction d'Antioche a longtemps maximisé ses ressources en y envoyant ses jeunes hommes à titre de boursiers […].  L’Archidiocèse Orthodoxe Grec devrait également envisager de mettre fin au gaspillage de l'actif que constitue Holy Cross/Hellenic College et utiliser les millions de dollars collectés pour établir une bourse d'études qui pourrait être utilisée au séminaire de  St Vladimir (ou de Saint Thikon). Après tout, s’il vendait sa propriété à Brookline, au Massachusetts, il pourrait facilement gagner des millions de dollars. Certains estiment que ce chiffre pourrait atteindre vingt millions.

Mais non. L’Archidiocèse Orthodoxe Grec fera tout pour éviter l'embarras d'avoir à envoyer ses futurs prêtres pour leur éducation dans un séminaire "slave". Et bien sûr, à la fin, tout cela n'aboutira à rien. Le gouvernement grec sera tout sauf généreux avec ses allocations. Il se comportera en fait de la manière la plus négligente possible, exigeant de nombreuses concessions pour chaque euro qu'il enverra à Brookline. Sa rigueur académique ne sera pas non plus renforcée de manière appréciable. Et les fils plus aisés et intelligents de la communauté gréco-américaine qui est encore orthodoxe continueront à rechercher une éducation laïque, ostensiblement dans l'un des domaines STEM [science, technology, engineering, and mathematics] qui paiera davantage à la fin de leurs études. Après tout, pourquoi pas ? Un ingénieur, un médecin, un MBA ou un avocat peut facilement faire un salaire à six chiffres.

Quant à savoir pourquoi le gouvernement grec est prêt à renflouer Holy Cross alors qu'il peut à peine se permettre de remplir ses propres obligations nationales, il faut en conclure que les avantages l'emportent sur les risques. Après tout, ils ont déjà emprunté cette voie, il y a trois décennies, lorsque la hiérarchie de l'Église évangélique orthodoxe s'est rendue jusqu'à Istanbul pour tenter d'entrer dans l'Archidiocèse Orthodoxe Grec. Malheureusement, le patriarche de l'époque, Démètre, ne parlait pas anglais et il a donc été laissé à son bras droit (le futur patriarche Bartholomée) de leur montrer la porte.

La raison ? Parce que le gouvernement grec ne voulait pas d'une infusion soudaine et massive de non-Grecs dans l’Archidiocèse Orthodoxe Grec.

Avec la politique du vieux monde, plus les choses changent, plus elles restent les mêmes.  On en reparlera plus tard… 

Version française Claude Lopez-Ginisty
D’après


NOTES:
[1] L’expression américaine employée par l'auteur Monomakhos est Mordre plus que l’on peut mâcher
[2] Dans le style de Zorba le Grec !

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