Pendant les tragiques évènements qui se sont récemment déroulés en Ukraine, l’Église gréco-catholique s’est exprimée à plusieurs reprises de façon violemment critique contre la Russie et le Patriarcat de Moscou. Le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou donne son opinion à ce sujet dans une entrevue accordée à « Interfax-religia ».
-          Du 2 au 5 mai, le IV forum orthodoxe-catholique européen a eu lieu à Minsk. Dans votre allocution, vous avez alors assez durement critiqué l’action de l’Église gréco-catholique ukrainienne (EGCU) pendant les derniers évènements en Ukraine ? En quoi, selon vous, cette action est-elle inacceptable ?
-          Vous faire court, il s’agit de l’engagement politique trop affiché de l’Église gréco-catholique ukrainienne, ainsi que des déclarations nationalistes de son clergé et de ses fidèles.
L’EGCU ne s’est pas contentée de soutenir les protestations de l’Euromaïdan dès le début, mais dans la personne de ses fidèles, et même de ses clercs, elle y a participé directement. Ce n’est un secret pour personne que la force motrice des évènements de Kiev, ce sont des personnes originaires des régions occidentales de l’Ukraine, où réside la majeure partie des gréco-catholiques. Dès décembre 2013, dans une interview à la station de radio « Svoboda », l’évêque gréco-catholique chargé de la France et du Bénélux, Boris Goudziak, a déclaré franchement que « le moitié des gens au Maïdan sont membres de notre Église ».
Dans ce contexte de tension sociale, le clergé de l’EGUC, au lieu d’appeler à la réconciliation et au dialogue politique, a incité les manifestants à des actes radicaux. Ainsi, en décembre dernier, (deux prêtres)… ont appelé leurs fidèles à prendre les armes et à en finir avec les « ennemis » de l’Ukraine.
Après les évènements de janvier, la direction de l’Église gréco-catholique ukrainienne s’est mise à accuser ouvertement l’état russe de tous les malheurs de l’Ukraine. Certains hiérarques gréco-catholiques présentaient même la Russie d’une façon carrément diabolique dans leurs déclarations. L’archevêque de Przemysl-Varsovie, Ivan Martiniak, a ainsi publié début janvier une vidéo adressée à ses fidèles dans laquelle il déclarait : « Nous sommes confrontés à l’invasion du mal, de la haine, du mensonge contre notre peuple de la part d’un empire qui veut diviser et anéantir notre état ».
Les hiérarques de l’EGCU appellent ouvertement les pays occidentaux à prendre des mesures sévères contre notre pays. L’archevêque majeur, Sviatoslav Chevtchuk, a ainsi effectué plusieurs voyages, s’exprimant non en tant que pasteur chrétien, mais plutôt en tant qu’homme politique. Au début du mois de février, le chef de l’EGCU et le schismatique Philarète Denissenko appelaient le président des États-Unis à intervenir dans la crise ukrainienne et à aider l’Ukraine à conserver son intégrité territoriale. Au début du mois de mars, l’archevêque S. Chevtchuk s’est adressé aux hiérarques catholiques du monde entier, ainsi qu’aux présidents de la Commission européenne, du Conseil européen et du Parlement européen pour leur demander de témoigner leur solidarité avec le peuple ukrainien « en ces temps difficiles alors que différentes forces militaires de la Fédération de Russie, violant les accords, se sont introduits sur le territoire souverain de l’Ukraine ». Lors de sa rencontre avec les autorités canadiennes en mai, l’archevêque a déclaré que les sanctions décrétées contre la Russie « étaient insuffisantes ».
Ces déclarations antirusses du chef de l’EGCU s’accompagnent parfois d’attaques contre l’Église orthodoxe russe. Dans l’une de ses interviews, l’archevêque, ayant critiqué les « manœuvres agressives du monde russe », a reproché au Patriarcat de Moscou d’être dépendant de l’état, souhaitant à l’Église russe « de respirer à plein poumons dans la plénitude ecclésiologique », c’est-à-dire l’invitant à rejoindre l’union et à se soumettre au Pape de Rome.
Ces reproches sont parfaitement injustifiés. Aujourd’hui, l’Église russe est plus libre que jamais, et ses relations avec les autorités russes, comme avec celles des autres états placés sous sa responsabilité canonique, s’organisent suivant le principe d’une coopération utile aux deux parties. Ayant conscience de ses responsabilités pastorales, la hiérarchie de l’Église russe s’est abstenue de toute appréciation politique des évènements d’Ukraine et, d’autant plus, d’y prendre la moindre part directe, appelant les belligérants au dialogue et à la paix.
-          L’archevêque Sviatoslav Chevtchuk a déclaré à plusieurs reprises son désir de dialoguer avec le Patriarcat de Moscou. Quelle est la position de l’Église russe sur ce sujet ?

-          Immédiatement après l’élection de l’archevêque Sviatoslav Chevtchuk à la tête de l’Église gréco-catholique ukrainienne, nous avons pris quelques mesures pour établir des contacts directs avec la direction de cette Église. J’ai personnellement envoyé une lettre de félicitations au nouvel archevêque majeur, il y a eu un échange de courriers.
Malheureusement, les actions de la direction de l’EGCU n’ont par la suite pas permis une meilleure compréhension mutuelle ni l’établissement de la confiance entre nos Églises. L’Église gréco-catholique ukrainienne continue à faire pression sur Rome pour obtenir la reconnaissance de son statut de patriarcat, qu’elle a proclamé de façon autonome en 2002. Cette volonté cache la prétention d’une Église régionale, dont la majorité des fidèles réside en Ukraine occidentale, à une position nationale, et donc à l’organisation de missions dans les régions de l’Ukraine où il n’y a jamais eu de gréco-catholiques. L’EGCU développe activement ses structures diocésaines à l’est et au sud de l’Ukraine. Suivant certaines informations, les clercs de l’EGCU se livrent ouvertement au prosélytisme dans ces régions.
La direction de l’EGCU entretient des contacts étroits avec le « Patriarcat de Kiev » schismatique. Des hiérarques gréco-catholiques et des hiérarques schismatiques ont participé plusieurs fois à des offices communs (offices d’intercession, requiem…). En février dernier, l’archevêque Sviatoslav Chevtchuk et le chef du Patriarcat de Kiev se sont rendus ensemble à Washington, où ils ont participé au traditionnel déjeuner de prière organisé par le président des États-Unis. Il y a beaucoup d’exemple de ce genre.
Le dialogue entre Églises n’est possible que si les deux parties respectent l’ordre canonique et les traditions de l’une et de l’autre. Notre Église, par exemple, n’entretient par principe aucun contact avec les communautés s’étant détachées de l’Église catholique, parce qu’elle apprécie le développement des relations orthodoxes-catholiques. La direction de l’EGCU, qui affirme être intéressée à dialoguer avec le Patriarcat de Moscou, soutient en fait des schismatiques qui, non contents de s’être détachés de l’Église orthodoxe ukrainienne canonique, sont ouvertement hostiles à notre Église.
Tout cela, reconnaissons-le, ne contribue pas à l’établissement de contacts directs avec l’Église gréco-catholique ukrainienne. Les derniers évènements en Ukraine, pendant lesquels des hiérarques gréco-catholiques se sont permis des arguments russophobes et des attaques verbales contre l’Église ont rendu la possibilité de semblables contacts encore plus problématique.
-          La détérioration des relations entre orthodoxes et gréco-catholiques en Ukraine aura-t-elle une influence sur le développement du dialogue orthodoxe-catholique en général ?
-          L’union a toujours été l’un des obstacles les plus sérieux aux relations entre les Églises orthodoxe et catholique romaine. Partant de son modèle ecclésiologique et des représentations sur les moyens de rétablir l’unité chrétienne correspondantes, l’Église romaine s’est efforcée pendant des siècles de convertir les orthodoxes au catholicisme. Le résultat d’une politique cohérente de prosélytisme parmi la population orthodoxe de pays d’Europe comme la Pologne et l’Autriche-Hongrie aux XVI-XVII siècles a été la création de ce qu’on appelle l’union, c’est-à-dire le rattachement d’une partie des orthodoxes à l’Église catholique : à condition d’adopter la doctrine catholique, ils peuvent conserver le rite liturgique byzantin. C’est ainsi qu’est née l’Église gréco-catholique ukrainienne. Sa création s’est accompagnée de violences envers les orthodoxes qui refusaient d’accepter l’union. La politique unioniste de Rome n’a non seulement pas permis l’unité entre les Églises, mais elle a au contraire éloigné l’Église orthodoxe de Rome, semant la méfiance et l’hostilité.
Les choses ont commencé à changer un peu après le Concile Vatican II (1962-1965), qui a reconnu pour la première fois le caractère salutaire des Sacrements et de la vie spirituelle de l’Église orthodoxe, permettant ainsi d’entamer un dialogue orthodoxe-catholique. La renaissance des structures de l’EGCU à la fin des années 1980, s’accompagnant de violences et d’occupations d’églises par les gréco-catholiques dans les régions occidentales de l’Ukraine, voire d’effusions de sang, a reposé le problème de l’union dans toute son acuité.
En 1993, à Balamand (Liban), la Commission mixte de dialogue entre les Églises orthodoxe et catholiques romaine a adopté un document très important intitulé « L’uniatisme comme mode d’union dans le passé et les recherches de l’unité plénière dans le présent », dans lequel les représentants de l’Église orthodoxe et, ce qui est plus important, de l’Église catholique romaine, déclaraient que l’union ne pouvait être envisagée comme un moyen de parvenir à l’unité, dans la mesure où durant l’histoire elle n’avait contribué qu’à une plus grande division entre les Églises. Le document reconnaissait les droits à l’existence des Églises catholiques orientales, mais proposait un certain nombre de recommandations pour régler le conflit entre orthodoxes et gréco-catholiques. Malheureusement, ces recommandations n’ont jamais été prises en pratique. Aujourd’hui encore, les fidèles du Patriarcat de Moscou dans les régions de Lvov, Ternopol et Ivano-Frankovsk n’ont pas assez d’églises et éprouvent toutes les peines du monde à en construire de nouvelles. En même temps, comme je l’ai déjà dit, l’EGCU aspire, elle, à élargir sa mission et ses structures diocésaines à tout le territoire de l’Ukraine.
Nous avons souvent exprimé notre préoccupation face à cette situation à la hiérarchie de l’Église catholique romaine. Cependant, nous n’observons aucune avancée réelle dans la résolution de ce problème. Malgré l’aggravation de la situation avec les gréco-catholiques suite aux évènements d’Ukraine, nous continuerons à développer nos relations avec l’Église catholique romaine à différents niveaux. Nous apprécions la position du Pape François et celle du secrétaire du Saint Siège le cardinal Pietro Parolina, qui, dans le contexte de la crise ukrainienne, ne sont abstenus de tout commentaire politique et, comme l’Église russe, ont souvent appelé à la paix sur le sol ukrainien.