Vladyka Théophane, archevêque de Corée de l'Église orthodoxe russe.
*
Lettre ouverte du Métropolite Serge de
Singapour et d'Asie du Sud-Est,
Exarque Patriarcal de l'Asie du Sud-Est,
au métropolite Ambroise de Corée
(patriarcat de Constantinople)
Votre Éminence Métropolite Ambroise,
J'ai longtemps hésité à répondre à votre
interview publiée sur le site Internet The Orthodox World le 12 avril dernier : Cependant, l'impression que j'ai eue de mon récent voyage en Ukraine, pour
assister avec la bénédiction de Sa Sainteté le Patriarche Cyrille de Moscou et
de toute la Russie aux célébrations à l'occasion de la fête onomastique de Sa
Béatitude le Métropolite Onuphre de Kiev et de toute l'Ukraine, m'a conduit à
la décision de répondre à vos déclarations publiques.
Puisque vos remarques d'entrevue sont
publiées sur un site Web qui ne donne aucune information sur les personnes qui
dirigent et éditent le site, je ne vois pas d'autre moyen de répondre à ces
publications que de faire appel personnellement à vous. Toutefois, compte tenu
de la nature publique de vos déclarations, ma lettre sera également ouverte
afin que les lecteurs puissent tirer leurs propres conclusions.
Je me souviens avec joie de l'accueil
chaleureux que vous m'avez réservé avec un baiser fraternel lorsque je vous ai
rendu visite à Séoul en juin 2017. Il est donc beaucoup plus douloureux de voir
dans quelles couleurs sombres vous peignez le travail pastoral et missionnaire
de l'Église orthodoxe russe, sans craindre les rumeurs et les conjectures. Les
relations compliquées entre nos deux Églises causées par les décisions du
patriarche Bartholomée de Constantinople de créer une nouvelle structure « d'Église »
en Ukraine ont-elles vraiment eu un impact aussi radical sur votre attitude
envers nous ? Mais non, vous écrivez avec une référence à un
"staretz" anonyme, disant que pendant mille ans, beaucoup de
dirigeants d'Eglise en Russie n'ont jamais appris ce que l'Evangile enseigne,
cultivant ainsi "une théorie satanique et impérialiste de "Moscou
comme troisième Rome". Et tout cela est dit comme si vous l'aviez toujours
cru. Dois-je maintenant conclure que l'accueil que vous m'avez réservé à Séoul
était hypocrite et que votre attitude est maintenant sincère ?
Mes deux arrière-grands-pères, qui étaient
prêtres, sont passés par des prisons et des camps de prisonniers pour leur foi
et leur service à l'Église. L'un d'eux a été fusillé pour sa foi en Dieu. Les
autorités ont cherché à priver ma mère de ses droits parentaux pour nous avoir
élevés dans la foi, nous, ses enfants. Quand j'étais à l'école, on m'a arraché
ma petite croix de baptême, et on s'est moqué de moi parce que j'étais croyant.
Dans mon enfance, nous avons copié à la main des textes des Saintes Écritures
et des prières et nous les avons chéris comme le plus grand trésor. Nous
n'avons pas seulement copié ces textes, mais nous les avons relus et étudiés
avec profond respect et amour. L'histoire de ma famille n'est pas unique. Très
nombreux sont ceux qui ont enduré les horreurs de la persécution et des
moqueries. Pensez à ce que c'est que de lire dans votre texte les révélations
d'un "staretz" sans nom que nous n'avons pas appris l'Evangile. Il
est tout aussi douloureux pour moi de lire que vous "croyez
fermement" que l'Église orthodoxe russe, qui a élaboré un plan insidieux
depuis plusieurs décennies, n'a attendu qu'une occasion pour arrêter la
commémoration liturgique du patriarche Bartholomée de Constantinople. Il est
impossible d'imaginer quelque chose de plus absurde.
Dans votre entretien, vous affirmez
clairement que les activités du Patriarcat de Moscou en Asie du Sud-Est ne sont
pas canoniques. Je prends la liberté de vous rappeler l'histoire de l'émergence
de l'Orthodoxie dans la région : Les prêtres russes ont commencé leur ministère
pastoral en Chine en 1685, saint Nicolas (Kasatkin) est venu au Japon en 1861,
et la mission ecclésiastique russe en Corée a été établie en 1897. Des
paroisses russes sont apparues en Indonésie en 1934 ; la même année, une
paroisse a été ouverte à Manille. Saint Jean (Maximovitch) de Changhaï a
célébré les premiers services divins au Vietnam en 1949. Ce n'est là qu'une
partie des preuves documentaires du début de la mission de l'Église russe dans
les pays d'Asie du Sud et du Sud-Est, où aucune autre Église orthodoxe n'était
représentée.
Dans votre interview, vous citez un
prétendu dialogue que vous avez entendu de seconde main entre le métropolite
Cyrille de Smolensk et Kaliningrad, aujourd'hui Sa Sainteté le Patriarche
Cyrille de Moscou et de toute la Russie, et un certain paroissien russophone,
au cours duquel une réclamation a été faite à la cathédrale St Nicolas à Séoul.
J'ai spécifiquement questionné Sa Sainteté à ce sujet. Ce n'est pas vrai. Il
n'y a pas eu et ne pourrait pas y avoir eu de telles discussions, car Sa
Sainteté connaît bien l'histoire de l'Église orthodoxe en Corée. La Mission
ecclésiastique russe en Corée possédait autrefois des terrains et des bâtiments
non seulement à Séoul, mais aussi dans toute la péninsule coréenne. Que leur
est-il arrivé plus tard ? Ont-ils été vendus ou transférés ? Si oui, par qui,
pour qui et à quelles conditions ? Nous ne le savons pas encore pleinement,
mais nous allons étudier cette question.
Le fait historique est aussi que, depuis
des centaines d'années, pas une seule plainte ou un seul reproche n'est parvenu
à l'Église russe de la part de ses frères orthodoxes quant à nos actions en
Asie jusqu'aux temps récents où le patriarche de Constantinople a changé son
ecclésiologie et souhaité, au lieu d'être "le premier parmi ses
pairs" devenir "le premier sans égal."
Le ministère pastoral et missionnaire de
l'Église orthodoxe russe en Asie n'a jamais été contesté par aucune Église
orthodoxe locale ; au contraire, il a été bien accueilli, comme en témoignent,
par exemple, les lettres envoyées par les patriarches de Jérusalem à saint
Nicolas du Japon, Égal aux apôtres. Ainsi, dès 1896, Sa Béatitude le Patriarche
Gérasime de Jérusalem envoya des icônes, des reliques saintes et d'autres
eulogies comme cadeaux à l'Église japonaise. Par conséquent, le soutien à
l'Orthodoxie au Japon et le profond respect personnel pour saint Nicolas ont
continué d'être manifestés par les successeurs du Patriarche Gérasime et par
les hiérarques des différentes Églises orthodoxes locales.
Lorsqu'en 1956, l'Église orthodoxe russe
accorda l'autonomie à l'Église orthodoxe chinoise fondée sur la mission
ecclésiastique russe en Chine et sur l'Exarchat de l'Asie de l'Est (qui
exerçait alors sa juridiction canonique sur les communautés en Corée), cette
décision ne fut jamais été contestée par les Églises locales et la juridiction
canonique de l'Église russe sur les structures religieuses orthodoxes en Chine
ne s'en est pas trouvée niée. Sa Sainteté le Patriarche Joachim III de
Constantinople en son temps a envoyé une icône pour une église russe en
construction à Harbin, soutenant ainsi notre présence en Chine.
Lorsqu'en 1970, le statut d'autonomie a
été accordé à l'Église orthodoxe japonaise, le patriarche Athénagoras de
Constantinople a refusé d'inclure le primat de l'Église japonaise dans les
diptyques en raison de son statut autonome plutôt qu’autocéphale. Il n'a pas
contesté la juridiction canonique de l'Église russe sur les structures
ecclésiales orthodoxes de ce pays, tout comme il ne fait aucun doute qu'elle
l'avait été pendant plus d'un siècle.
Un témoignage très clair en est donné par
un missionnaire exceptionnel de notre temps, le primat de l'Église orthodoxe
albanaise, Sa Béatitude l'archevêque Anastase de Tirana et de toute l'Albanie,
dans ce livre Unto the Uttermost
Part of the Earth [Jusques aux confins de la terre].
Je m'attarderai séparément sur l'histoire
de la mission ecclésiastique russe en Corée. L'histoire des relations
russo-coréennes remonte à l'époque de la Rus' de Kiev, lorsque la conception de
"Moscou comme troisième Rome" mentionnée par Votre Eminence
n'existait pas encore. De plus, le seul document historique qui déclare
directement cette idée est la Charte sur l'établissement du Patriarcat à Moscou
signée par Sa Sainteté le Patriarche Jérémie de Constantinople (1589) ; alors
que l'Eglise orthodoxe russe a commencé son travail missionnaire parmi les
Coréens en 1856, lorsque saint Innocent (Veniaminov) a commencé à envoyer des
prédicateurs orthodoxes dans le sud d'Ossuriysky, destination d’un flux de
nouveaux colons coréens. En 1885, un accord a été conclu entre la Russie et la
Corée qui a donné aux ressortissants russes le droit de célébrer librement les
services divins sur le territoire de la Corée. Par la décision du Très Saint
Synode de 1897, la Mission ecclésiastique russe a été créée en Corée avec pour
mission de s'occuper des chrétiens orthodoxes russes résidant dans la péninsule
coréenne et de prêcher l'Orthodoxie parmi la population non-chrétienne locale.
Le 17 février 1900, le chef de la mission l’archimandrite Khrisanf (Chetkovsky)
célébra la Divine Liturgie à Séoul, marquant ainsi le début des activités de la
mission russe.
Depuis sa fondation jusqu'en 1908, la
Mission coréenne était sous la juridiction du Métropolite de Saint-Pétersbourg
; de 1908 à 1921 dans celle de l'évêque de Vladivostok ; de 1921 à 1945 de
l'archevêque de Tokyo, et de 1945 à 1954 elle faisait partie de l'Exarchat
d'Asie orientale.
Toutefois, le travail de la Mission a été
interrompu par la force. Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, les
autorités sud-coréennes et l'administration d'occupation américaine ont mené
une lutte de plusieurs années pour faire sortir la Mission de la juridiction du
Patriarcat de Moscou. Incapables de le faire par quelque moyen légal que ce
soit, les autorités sud-coréennes ont banni du pays, en 1949, le chef de la
Mission, l'Archimandrite Polycarpe. Pour des raisons politiques, le travail de
la Mission a été suspendu et ses biens confisqués. Ce n'est qu'en 1955 que les
paroisses survivantes de l'Église orthodoxe russe, privées de soins
archi-pastoraux, et non sans l'influence de la présence militaire des
puissances étrangères en Corée du Sud, rejoignirent l'archidiocèse du
Patriarcat de Constantinople en Amérique. Il est difficilement possible de
reconnaître comme légal le déplacement du clergé et des communautés vers une autre
juridiction sous la pression des forces politiques (et sans aucune
lettre de libération).
C'est pourquoi, aujourd'hui, nous ne
parlons pas de l'établissement d'une "Église parallèle", mais de la
restauration de la mission ecclésiastique de l'Église orthodoxe russe. Elle est
conditionnée par le processus historique de renaissance de l'Eglise russe qui a
souffert sous le joug du pouvoir impie pendant soixante-dix ans et par la
nécessité d'offrir un service pastoral à nos compatriotes dans toutes les parties
du globe, y compris en Asie, ainsi que par l'impossibilité pour nos fidèles de
participer actuellement aux Mystères de l'Eglise de Constantinople, entrée en
communion avec les schismatiques et qui a envahi les frontières canoniques du
Patriarcat de Moscou en Ukraine.
Je le répète, historiquement, le destin de
l'Orthodoxie en Corée était lié à la Russie. Et aujourd'hui, l'Église s'efforce
de raviver la proximité spirituelle entre nos peuples, de rétablir les liens
spirituels qui les unissaient dans le passé. L'Église orthodoxe russe a des
raisons historiques et canoniques de reprendre son travail missionnaire,
interrompu par la force des circonstances historiques dans la péninsule
coréenne.
Votre Éminence, vous préférez ne pas voir
la nature politique des actions de votre Église en Ukraine, mais vous parlez de
la nature politique des actions du Patriarcat de Moscou en Corée, où nous
minerions l'ordre canonique de l'Église et ferions du prosélytisme. Vous vous
indignez de la formation des paroisses et des diocèses du Patriarcat de Moscou
en Asie du Sud-Est dans son ensemble et en Corée en particulier. J'ajouterai
seulement que dans de nombreux pays d'Europe et d'Amérique, qui n'appartiennent
pas au territoire canonique d'une Église particulière, il y a plusieurs évêques
coexistants de diverses Églises locales, ce qui ne constitue pas un obstacle
insurmontable pour leur ministère et leur témoignage commun au Christ. C'est un
bon exemple d'une situation où ce sont le Christ et l'Église et les âmes
humaines immortelles qui sont la pierre angulaire.
L'Église russe est centrée sur le dialogue
et participe activement à toutes les conférences épiscopales sans faire avancer
des conditions inacceptables dans les lieux où le clan russe est majoritaire,
en résolvant les problèmes qui se posent dans un esprit d'amour et de
coopération. Par conséquent, je considère vos reproches comme infondés.
Aujourd'hui, un nombre considérable de nos
fidèles de Séoul se rassemblent pour les Divines Liturgies dans un lieu simple
mais aménagé avec amour comme église temporaire. Nous recevons beaucoup de
lettres de nos fidèles de Séoul et de diverses parties de la Corée avec
gratitude et avec des demandes de soins pastoraux. Devrions-nous repousser ces
gens qui considèrent l'Église orthodoxe russe comme leur Mère et Sa Sainteté le
Patriarche Cyrille de Moscou et toute la Russie comme leur père spirituel ?
Veuillez noter que ces personnes ne viendront pas aujourd'hui dans les églises
du Patriarcat de Constantinople pour la raison susmentionnée.
Le patriarcat de la métropole coréenne de
Constantinople n'a-t-il pas récemment célébré le 119e anniversaire de la
première Divine Liturgie en Corée, c'est-à-dire l'anniversaire du début de la
mission de l'Église russe en Corée ? Voulez-vous dire que vous avez célébré un
anniversaire « d'actions non canoniques? » Et qu'est-ce que le
patriarche Bartholomée de Constantinople a célébré fraternellement avec
l'archevêque Clément de Kalouga et Borovsk et une assemblée d'archipasteurs à
Séoul en février 2000 ? Et le Métropolite Gregorios de Thyateira et de
Grande-Bretagne qui a officié à la Divine Liturgie à Séoul en 2010 en
concélébration avec l’évêque Benjamin de Vladivostok et Primorye- qu'ont-ils
célébré ?
Votre histoire de rencontre avec un prêtre
est également déroutante. Tous les chrétiens orthodoxes de Séoul connaissent
bien la personne en question. C'est un homme malheureux, mais Dieu lui a
accordé la grâce du sacerdoce. Il m'est difficile d'imaginer son comportement
tel que vous le décrivez, mais même s'il en est ainsi, je ne peux me souvenir
que des paroles de l'Apôtre : Si un
homme est dépassé par une faute, vous qui êtes spirituels, restaurez un tel
homme dans l'esprit de douceur (Galates 6:1).
Vous écrivez cela en novembre 2018, lors
de la table ronde sur l'Église orthodoxe russe et les compatriotes : Une
expérience de coopération en Asie du Sud-Est, en Australie et en Océanie,
présidée par le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département
des relations extérieures du Patriarcat de Moscou, des signatures ont été
recueillies en vertu d'un document signé par un très petit nombre. Apparemment,
on vous a menti, car aucun document de l'Église n'a été signé à cette réunion.
La longue histoire des relations entre nos
Églises connaît malheureusement aussi des pages tristes, que, jusqu'aux
événements récents, nous avons préféré ne pas rappeler. Cependant, dès les
années 1920, le Patriarche de Constantinople tenta de déposer Sa Sainteté le
Patriarche Tikhon (Belavin) et fit tout son possible pour soutenir
« l'Eglise vivante » des rénovateurs, établie par la Direction
politique de l'Etat sous l'égide du Commissariat du peuple aux affaires
intérieures (NKVD) de la République socialiste fédérative soviétique russe -
développement auquel le Patriarche confesseur a répondu ainsi : "Après
avoir lu ce procès-verbal, nous avons été très confus et étonnés qu'un
représentant du patriarcat œcuménique, le chef de l'Église de Constantinople,
sans aucun contact préalable avec nous en tant que représentant légal et chef
de l'Église orthodoxe russe entière, se soit ingéré dans la vie et les affaires
internes de l'Église russe autocéphale. Les saints conciles (voir Canons 2 et 3
du Deuxième Concile œcuménique, etc.) a reconnu et reconnaît la primauté de
l'évêque de Constantinople sur les autres Églises autocéphales en honneur, non
en pouvoir... Tout envoi d'une commission sans contact avec Moi en tant que
seul Premier Hiérarque légitime et orthodoxe de l'Église orthodoxe russe à mon
insu est illégal, ne sera pas accepté par le peuple orthodoxe russe et
apportera, non une conciliation mais un trouble et un schisme encore plus
graves dans la vie de l'Église orthodoxe russe déjà très éprouvée."
Le changement d'attitude du Patriarcat de
Constantinople remonte aux années 1940, lorsque, pendant la Seconde Guerre
mondiale, la politique des dirigeants soviétiques à l'égard de l'Eglise a
radicalement changé. Après sa fameuse rencontre avec trois métropolites de
l'Église patriarcale en septembre 1943, Staline décida que les autorités
n'avaient plus besoin du schisme rénovateur et autorisa sa liquidation. Dans
cette situation, le patriarche de Constantinople n'avait aucune raison de
traiter avec les étrangers rénovateurs et il rétablit la communion avec le
Patriarcat de Moscou comme si rien ne s'était passé. L'Église orthodoxe russe,
pour sa part, n'a pas choisi de demander des comptes à qui que ce soit pour la
récente dépravation canonique.
Une autre invasion dans l'espace canonique
de l'Église russe a eu lieu dans les années 1990 en Estonie. Le patriarcat de
Constantinople, soutenu par le Président, le Premier Ministre et le Ministère
de l'Intérieur estonien, a reconnu une structure ecclésiale qui bénéficiait
alors d'un soutien politique et n'hésitait pas à utiliser des connotations nationalistes
dans sa rhétorique, en ignorant la présence dans le pays de la seule Église
canonique sous la juridiction du Patriarcat de Moscou. Ce qui est
particulièrement étonnant et triste, c'est que cette attitude a été soutenue
personnellement par le patriarche Bartholomée. La communion canonique entre
l'Église russe et l'Église de Constantinople fut alors rompue. L'Église du
Christ peut-elle violer les canons avec autant d'audace et diviser les gens en
entités ethniques et semer l'inimitié entre eux ? Ce conflit le plus grave de
l'histoire de l'Eglise orthodoxe, que la presse a qualifié à plusieurs reprises
de "schisme", a été réglé à la fin de 1996 par un compromis, les
Eglises orthodoxes de Russie et de Constantinople ayant accepté l'existence de
deux juridictions sur le territoire de l'Etat estonien, qui ne correspond ni au
droit canon ni à la justice historique. Les actions du patriarcat de
Constantinople ont-elles été bénéfiques pour l'Église, bénéfiques pour le
peuple estonien ? Le nombre total de croyants a-t-il augmenté ? Vous savez
vous-même que, selon les informations officielles estoniennes, l'Église
orthodoxe estonienne [canonique] a plus de six fois plus de fidèles que la
structure du patriarcat de Constantinople en Estonie. Ces dernières années, les
autorités semblent hésiter à publier les statistiques, car le choix historique
du peuple réfute les plans politiques des politiciens. Le projet politique, que
l'on tente de répéter maintenant en Ukraine, a en fait échoué et ne peut être
justifié par aucun objectif de l'Église, car le peuple de Dieu, le gardien de
la vérité, sait où se trouve la vérité.
Pour en venir au problème ukrainien, qui
occupe une place importante dans vos déclarations, je noterai que dans votre
entretien, vous faites un parallèle entre la manière dont le Patriarcat de
Moscou s'est réconcilié avec l'Eglise orthodoxe russe hors de Russie (ROCOR) et
celle dont le patriarcat de Constantinople a admis les schismatiques ukrainiens
du prétendu "patriarcat de Kiev" et des "ukrainiens de l’église
orthodoxe autocéphale [schismatique]". Cependant, on ne peut s'empêcher de
voir des différences fondamentales entre ces actions.
La communion de ROCOR avec le Patriarcat
de Moscou a été suspendue dans les années 1920 en raison du système politique
en URSS et des pressions exercées sur l'Eglise russe. L'Église de
Constantinople, qui a survécu au régime ottoman-turc, est bien consciente du
poids de la pression exercée par les structures de pouvoir. L'Église russe n'a
jamais rejeté la nature gracieuse des sacrements de l’Eglise Russe Hors
Frontières. Dans l’Eglise Russe Hors Frontières même, la succession apostolique
des consécrations épiscopales n'a jamais été rompue. Quand les temps devinrent
favorables, la communion eucharistique fut restaurée.
Alors que la situation ukrainienne est
très différente... L'ancien métropolite Philarète (Denisenko) a été destitué en
raison de ses délits canoniques, et cette décision a été soutenue par les
primats de toutes les Églises locales. Le 26 août 1992, le patriarche
Bartholomée de Constantinople, dans sa lettre au Patriarche Alexis II de Moscou
et de toute la Russie concernant la déposition du métropolite Philarète de
Kiev, écrivait : « Notre Sainte Grande Église du Christ, reconnaissant la
plénitude de la compétence de votre Très Sainte Église en cette matière,
accepte la décision synodale sur ce qui précède. » Peut-on d'abord
approuver une déposition et ensuite annuler sa décision ? Comment cela
correspond-il aux paroles de l'Évangile : Que votre parole soit oui, oui, non,
non, car tout ce qu’on y ajoute vient du Malin (Matthieu 5 : 37) ? Pour sa
persistance dans le schisme, Denisenko a été anathème, ce qui a également été
authentifié par toutes les Églises. Avec le soutien des structures de pouvoir
ukrainiennes, il organisa un "patriarcat de Kiev" et commença à
"consacrer" des évêques. Ces "consécrations" sont
maintenant reconnues par le patriarcat de Constantinople. Constantinople a
également reconnu unilatéralement les "consécrations" épiscopales
administrées dans la soi-disant "église orthodoxe autocéphale
ukrainienne", dont le chef "métropolite" Macaire Maletitch a
quitté le Patriarcat de Moscou sans autorisation, étant dans le rang de prêtre.
La conclusion est claire - soutenue par une majorité d'épiscopats et de clercs
orthodoxes ainsi que de théologiens - que les consécrations épiscopales
administrées par le "patriarcat de Kiev" et "l’église orthodoxe
autocéphale ukrainienne » [schismatique] sont invalides et le demeurent
dans « l’église » nouvellement créée. Ces entités
"ecclésiales", tout comme les ordinations qui y sont effectuées,
n'ont jamais été reconnues par une seule Église locale. Ignorant ces faits, le
Synode de l'église de Constantinople a soutenu l'appel du président ukrainien,
de la Rada suprême, et des chefs des communautés religieuses susmentionnées en
les admettant dans la communion eucharistique et en acceptant leurs ordinations
comme valables.
Ainsi se répètent des événements
centenaires dont le Métropolite Serge (Stragorodsky) a écrit avec une telle
douleur dans le cœur : "Nous savons que seuls sont dans l'unité de
l'Église ceux qui sont en communion avec leur évêque et patriarche légitime,
que celui qui est excommunié par son patriarche ne peut être accepté en
communion avec les autres (Canon 1, Concile de l'Église de la Sainte Sagesse).
Et celui qui entre en communion avec un excommunié doit être excommunié (canons
apostoliques 10, 12) (...) Tous, patriarches et laïcs, sont égaux devant la loi
de Dieu. Ainsi, quand, au XVe siècle, le patriarche de Constantinople s'est
effondré en union avec Rome, l'Église russe a refusé de le suivre (...) La
communion du patriarche de Constantinople avec les rénovateurs ne peut donc que
faire du patriarche un rénovateur et non des rénovateurs orthodoxes".
Le Métropolite Luc (Kovalenko) de Zaporoje
et Melitopol a raconté comment, lors de votre rencontre avec lui en 2018, vous
lui avez assuré que Constantinople ne légaliserait pas le schisme, et que si
une telle chose arrivait avec le temps, ce serait seulement après la repentance
des schismatiques. Aujourd'hui, nous savons comment tout cela s'est finalement
passé, sans la moindre trace de repentance et avec une démonstration hautaine
de triomphe. La guérison du schisme en Ukraine déclarée comme le but de cet acte
n'a pas eu lieu.
Des pressions sans précédent ont été
exercées sur le clergé et les laïcs de l'Église canonique en Ukraine par
l'utilisation de toutes sortes d'instruments commandés par l'État, tels que les
services secrets, le chantage, l'intimidation et la saisie des églises avec la
complicité ou le soutien de la police et des autorités locales. Le cœur saigne
de douleur à la vue des tentatives continues de s'emparer de force des églises
de l'Église orthodoxe ukrainienne.
Cette situation a été rendue tragi-comique
par le refus du faux patriarche "Philarète" Denisenko d'accepter le
tomos accordé par Constantinople et la reprise du "patriarcat de
Kiev". Cela montre une fois de plus que les décisions du patriarcat de
Constantinople d'accorder "l'autocéphalie" à une nouvelle
"structure ecclésiale" en Ukraine n'ont pas réussi à apporter la paix
et l'unité aux chrétiens orthodoxes du pays et n'ont apporté que de nouvelles
divisions, l'émergence d'un "épiscopat" parallèle et la souffrance du
peuple, comme cela a souvent été le cas dans l'histoire. Ces gens, qui se
disent "archi-pasteurs" et "prêtres" de "l'église
orthodoxe d'Ukraine", peuvent désormais célébrer librement la liturgie
dans les églises du patriarcat de Constantinople. Pardonnez-moi, mais je ne
peux pas me joindre à de telles personnes au même Calice où que ce soit, à
Istanbul, aux Etats-Unis ou en Corée.
Des pressions sans précédent ont été
exercées sur le clergé et les laïcs de l'Église canonique en Ukraine par
l'utilisation de toutes sortes d'instruments commandés par l'État, tels que les
services secrets, le chantage, l'intimidation et la saisie des églises avec la
complicité ou le soutien de la police et des autorités locales. Le cœur saigne
de douleur à la vue des tentatives continues de s'emparer de force des églises
de l'Église orthodoxe ukrainienne.
Cette situation a été rendue tragi-comique
par le refus du faux patriarche "Philaret" Denisenko d'accepter les
tomos accordées par Constantinople et la reprise du "Patriarcat de
Kiev". Cela montre une fois de plus que les décisions du Patriarcat de
Constantinople d'accorder "l'autocéphalie" à une nouvelle
"structure ecclésiale" en Ukraine n'ont pas réussi à apporter la paix
et l'unité aux chrétiens orthodoxes du pays et n'ont apporté que de nouvelles
divisions, l'émergence d'un "épiscopat" parallèle et la souffrance du
peuple, comme cela a souvent été le cas dans l'histoire. Ces gens, qui se
disent "archi-pasteurs" et "prêtres" de "l'Église
orthodoxe d'Ukraine", peuvent désormais célébrer librement la liturgie
dans les églises du Patriarcat de Constantinople. Pardonnez-moi, mais je ne
peux pas me joindre à de telles personnes devant le Calice Unique où que ce soit, à
Istanbul, aux Etats-Unis ou en Corée.
Tout cela se passe en présence de l'Église
orthodoxe ukrainienne reconnue par toutes les Églises orthodoxes locales avec
son primat légitime, Sa Béatitude le Métropolite Onuphre de Kiev et de toute
l'Ukraine, qui avec toutes les hiérarques ont résolument rejeté un tel moyen
d'obtenir "l’autocéphalie".
Pendant les festivités à Kiev les 24 et 25
juin, j'ai ressenti une exaltation spirituelle exceptionnelle, une véritable
unité orthodoxe. Des représentants de dix Églises orthodoxes autocéphales
priaient ensemble et trois autres ne pouvaient pas envoyer leurs représentants,
mais leurs primats envoyaient des messages de salutation à Sa Béatitude le
Métropolite Onuphre. Exprimant notre soutien et nos vœux de courage pour
surmonter cette situation tragique, nous avons tous prié de manière
conciliaire, partageant la souffrance et la douleur infligées aux fidèles
ukrainiens par les décisions de l'autorité suprême de votre Église. La Liturgie
festive de la Sainte Dormition de la Laure des Grottes de Kiev, où les
hiérarques, le clergé et les personnes aimant Dieu priaient ensemble, me
rappelait Pâques et devint un véritable Triomphe de l'Orthodoxie !
En même temps, malheureusement, nous
pouvons voir beaucoup de faussetés dans les paroles et les actes des hauts
représentants du patriarcat de Constantinople. Voyant l'échec de leur infâme
initiative en Ukraine, ils cherchent à impliquer nos frères chrétiens dans
cette aventure ratée. Dans le même ordre d'idées se trouvent les déclarations
sur notre Église qui ont été faites au cours de la visite, que vous aviez
préparée, d'une délégation du Conseil national des Églises de Corée à Istanbul,
et les tentatives de calomnier l'Église orthodoxe russe dans d'autres contacts
avec des chrétiens non orthodoxes et dans de nombreux articles de presse. En
même temps, le monde orthodoxe tout entier se plaint de la nécessité de
résoudre ce problème le plus rapidement possible par le dialogue fraternel.
Les peuples coréen et russe sont liés par
des siècles d'amitié et je crois que nous préserverons et renforcerons nos
relations fraternelles malgré toutes les épreuves. L'Église russe a toujours
été un véhicule de paix en Corée et dans le monde.
Notre tâche commune, Vladyka, est de
glorifier et d'annoncer le Christ, de Le servir sans ménager ses efforts, de
faire des œuvres de charité, d'amour et de vérité, d'appeler chaque personne au
salut indépendamment de sa race ou de son statut social. Pour notre part, nous
sommes toujours prêts à coopérer pacifiquement et ouverts à une embrassade
fraternelle.
La situation actuelle semble humainement
insoluble. L'histoire de l'Église connaît beaucoup de divisions humaines mais
aussi beaucoup de cas de réconciliation. N'aggravons pas la division, Vladyka.
Nos Églises traversent une période difficile dans leurs relations, mais faisons
tout ce qui est en notre pouvoir pour que le troupeau en Corée et dans d'autres
pays d'Asie du Sud-Est ne soit pas affecté par elles, afin que chacun ait la
possibilité de prier et de participer aux Saints Mystères du Christ et puisse
prêcher l'Orthodoxie sans entrave. Je vous demande de ne pas déformer les faits
pour satisfaire des intérêts politiques. Ne servons pas la division, mais une réconciliation
et une unité futures pour lesquelles nous prions, comme l'a ordonné notre
Seigneur Jésus Christ.
Avec espérance de compréhension et d'amour
fraternel en Christ,
SERGE
Métropolite de Singapour et d'Asie du
Sud-Est
Exarque Patriarcal d'Asie du Sud-Est
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Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après
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