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Ceux qui n'appartiennent à l'Église que par habitude ou par respect de la tradition, considèrent généralement le Grand Carême, ces six semaines qui nous mènent à la Semaine de la Passion et à Pâques, comme un simple temps de restriction de soi. Une telle attitude à l'égard du Grand Carême peut être qualifiée de négative : On doit se priver de viande et de produits laitiers, de danse et d'autres divertissements, et à un moment donné, pendant le Grand Carême, on doit se confesser et communier. Chez ceux qui appartiennent à l'Église non par pieuse inertie, mais qui s'efforcent d'avoir une foi consciente et compréhensive, on trouve une attitude différente envers le Grand Carême. Ces personnes ne peuvent manquer de remarquer que dans l'Église, pendant le Grand Carême, c'est le style d'expression liturgique qui change avant tout. Il serait erroné d'y voir un simple appel à la repentance et à la correction, bien que cela entre incontestablement dans le sujet liturgique du Grand Carême.
Cependant, la mission de l'Église dans le monde ne consiste pas à dénoncer les gens et à les appeler au changement. N'importe lequel des multiples systèmes de philosophie morale pourrait s'occuper de ce problème. L'Église nous montre plutôt, encore et toujours, la vérité fondamentale de la révélation du Nouveau Testament "- c'est-à-dire qu'être chrétien signifie faire l'expérience du Mystère de la naissance dans une vie nouvelle, et déjà ici, sur terre, se reconnaître comme citoyen du Royaume de Dieu qui nous a été révélé par le Christ.
En conséquence, pour les chrétiens orthodoxes, le Grand Carême est un moment de grande tristesse, et en même temps une lutte spirituelle difficile et mesurée, un pèlerinage vers un but merveilleux : la fête de la Résurrection du Christ, la Sainte Pâque.
Pourquoi qualifions-nous le temps du Grand Carême de période de grande tristesse ? Nous éprouvons de la tristesse parce que nous reconnaissons que, comme le Fils Prodigue de l'Évangile, nous avons quitté la maison de notre Père et sommes partis dans un pays lointain, que dans notre vie distraite de vanité, nous n'avons pas préservé cette pureté du vêtement baptismal dont nous étions revêtus lorsque nous sommes entrés dans l'Église. Nous devons nous débarrasser de notre état entravé, de cette routine ordinaire qui nous inculque l'idée que la vie du monde déchu, en nous et autour de nous, est le seul mode de vie possible.
Aspirer à l'autre mode de vie, qui nous est montré dans les Evangiles et dans l'expérience des saints et des lutteurs spirituels, signifie communier à cette douleur lumineuse qui est le début du renouveau spirituel. La douleur est vive parce que nous savons qu'à notre retour vers Lui, Dieu nous reçoit avec le même Amour et la même volonté de nous pardonner, comme le père dans la parabole de l'Evangile a reçu son fils prodigue. C'est pourquoi le thème central de toute la période du Grand Carême devient cette conjonction mystique de la douleur et de l'espoir, des ténèbres et de la lumière : Dieu a fait de moi Son temple, mais ce temple a besoin d'être purifié et renouvelé, et je crois et j'espère que Dieu m'aidera à le faire.
Lors de l'office qui marque le début du Grand Carême, les Vêpres du Dimanche du Pardon, nous entendons les paroles du "Grand Prokiménon", qui expriment à la fois le deuil et l'espoir : "Ne détourne pas ton visage de ton serviteur, car je suis affligé ! Écoute-moi vite. Prends soin de mon âme et délivre-la."
Le grand carême dure quarante jours. Nous savons que le peuple élu a voyagé pendant quarante ans entre sa servitude en Égypte et la Terre Promise.
Pendant quarante jours, le Christ a jeûné dans le désert avant d'entrer au service de la Parole et du Sacrifice. Lui-même sans péché, Il nous a donné un exemple de renouveau par le jeûne. Et pour nous, c'est un voyage de quarante jours vers la lumière de la Sainte Pâque, car la fête de la Résurrection du Christ n'est pas seulement une grande fête, ni même la plus grande de toutes les fêtes de l'année liturgique, mais elle est l'essence même et le cœur de notre foi.
Sans une foi immuable dans le fait qu'en Christ, non seulement le péché, mais aussi la toute-puissance apparente de la mort, ont été vaincus, le message de l'Évangile perd son sens : Pourquoi renouveler et faire revivre quelque chose qui est condamné à mourir, à se désintégrer et à être oublié de toute façon ? C'est précisément pour cette raison que l'apôtre Paul a dit que si le Christ n'est pas ressuscité, notre foi est vaine. Cependant, chaque mot de la Bonne Nouvelle chrétienne, qui nous est révélée par la lutte spirituelle de la foi, par le miracle de la Résurrection, vit et respire, et la lumière de Pâque qui s'approche illumine les jours du Grand Carême.
Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après
ORTHOCHRISTIAN