"Dans la confusion de notre époque quand une centaine de voix contradictoires prétend parler au nom de l'Orthodoxie, il est essentiel de savoir à qui l'on peut faire confiance. Il ne suffit pas de prétendre parler au nom de l'Orthodoxie patristique, il faut être dans la pure tradition des saints Pères ... "
Père Seraphim (Rose) de bienheureuse mémoire

samedi 3 décembre 2022

Saint Païssios l'Athonite: La lecture

 


Le but de la lecture est l'application, dans notre vie, de ce que nous lisons. 

Non pas pour l'apprendre par cœur, mais pour le prendre à cœur. 

Non pas pour s'exercer à utiliser nos langues, mais pour être capable de recevoir les langues de feu et de vivre les mystères de Dieu. 

Si quelqu'un étudie beaucoup pour acquérir des connaissances et enseigner aux autres, sans vivre ce qu'il enseigne, il ne fait que se remplir la tête d'air chaud. 

Tout au plus parviendra-t-il à monter sur la lune à l'aide de machines. 

Le but du chrétien est de s'élever vers Dieu sans machines.

Version française Claude Lopez-Ginisty

d'après

The book by Synaxis





vendredi 2 décembre 2022

FREDERICA MATTHEWES-GREEN : Pourquoi Ils Nous Détestent!

Pourquoi Ils Nous Détestent


À l'époque de mon université, lorsque les dinosaures parcouraient la terre, j'étais une hippie et une chercheuse spirituelle. La gamme d'options spirituelles sur le campus était large, et j'ai goûté un peu de tout : l'hindouisme Ananda Marga, le bouddhisme zen, le Hare Krishna, la méditation transcendantale. Je dis que j'étais une « demandeuse », mais ce n'est pas tout à fait exact ; je ne m'attendais pas à atteindre une destination. J'étais, plus précisément, une exploratrice spirituelle, voyageant toujours vers un nouvel horizon.

Il y a quelque chose à cette époque que je ne comprends pas, cependant. Mes amis et moi avons savouré toutes les religions plus ésotériques, mais pour une raison quelconque, nous détestions le christianisme. Nous le ridiculisions automatiquement, de manière réflexive. Le mouvement Jesus Freak était arrivé sur le campus et, lorsque j'ai rencontré des étudiants nouveau-nés [convertis au Christ], j'aimais essayer d'ébranler leur foi. Je leur disais que le mythe d'un dieu mourant et ressuscité n'est pas unique au christianisme, mais apparaît dans les religions du monde entier. Je savourais toute occasion de les déstabiliser et de semer le doute.

Le christianisme nous suscitait en nous une sorte de plaisir malveillant, bien que je ne sache pas pourquoi. Quelqu'un fit don de piles du livre broché du Nouveau Testament, Good News for Modern Man, et elles furent placées dans tous les halls des dortoirs. Mon ami George, dans son dortoir, les a déchirés. Lorsque les passants se sont opposés, il a dit : « C'est une mauvaise traduction. » Nous avons pensé que c'était hilarant - un morceau spirituel de théâtre révolutionnaire.

Et nous avons estimé, pour une raison quelconque, que les chrétiens méritaient ce genre de traitement. Nous nous sommes dit que cela leur ferait du bien. Je ne me souviens pas comment le fait d'entendre leur foi raillée et insultée était censé les aider. Mais quelque chose nous poussait à vouloir les embarrasser ou les attrister. Les autres religions n'attisaient pas  cette cruauté zélée ; seuls les chrétiens suscitaient ce désir de blesser et de jubiler. L'hostilité était si inexplicable, mais si intense, que l'on aurait  presque presque pu croire qu'elle était liée à un combat spirituel invisible.

Et nous pensions, pour une raison quelconque que les chrétiens méritaient ce genre de traitement parce qu'ils étaient guindés et jugeaient les autres. Mais les Jesus Freaks sur le campus n'étaient pas comme ça. Ils ressemblaient à nos camarades hippies, et étaient humbles, joyeux et généralement aimables. Nous trouvions cela irritant. Je disais : « Il y a quelque chose qui ne va pas chez ces chrétiens. Ils sont trop nickels. »

***

Je pense que ce qui me dérangeait, c'était leur pureté. Il y a quelque chose dans la pureté qui attire le plaisir malveillant de ceux qui ne la partagent pas. Même lorsque la pureté ne fait que s'occuper de ses propres affaires, elle constitue toujours une cible irrésistible.

L'appréciation de la pureté n'a pas augmenté au cours des décennies qui ont suivi ; au contraire, il semble que tout ait été sexualisé. Si ce n'est pas spécifiquement sexualisé, c'est grossier. J'ai arrêté d'acheter des cartes de vœux il y a quelques années (je les fait moi-même), parce qu'il semblait que toutes celles que je prenais étaient organisés autour d'une blague obscène. J'ai arrêté de sortir pour voir de nouveaux films, parce que les scènes dégoûtantes sont susceptibles de surgir soudainement. Lorsque ce phénomène a commencé, il y a quelques décennies, il semblait carrément juvénile, comme si tout était commercialisé chez des garçons de 13 ans. Avec le temps, c'est passé. Je ne parle pas de la grossièreté; ce qui est passé, c'est l'impression que c'était juvénile. Maintenant, c'est commercialisé auprès de tout le monde.

Le plus grand facteur de ce déclin général est peut-être la quantité écrasante de pornographie maintenant disponible. Les pasteurs comme mon mari sont trop conscients de la façon dont la pornographie détruit les mariages, les amitiés, les familles - en bref, détruit les gens. C'est addictif, bien sûr ; c'est conçu pour l'être. C'est cumulatif, bien sûr, et lorsque les gens dépendants s'habituent à des images choquantes, ils sont confrontés par quelque chose de plus choquant encore. La tendance générale est à l'augmentation du degré de violence.

Il y a quelques années, l'auteur Martin Amis dut regarder quelques vidéos pour rédiger un article sur l'industrie pornographique. Il déclara plus tard que, pendant ce temps, "je n'arrêtais pas de m'inquiéter de quelque chose. Je n'arrêtais pas de m'inquiéter de savoir si j'allais aimer ça". Le porno cible, dit-il, le "chaos quasi infini du désir humain", et si vous abritez sans le savoir quelque démon sexuel, "tôt ou tard, le porno l'identifiera" et lui demandera de se manifester.

Compte tenu de toutes les variétés de bouleversements sexuels aujourd'hui, les critiques ont tendance à se concentrer sur le mariage gay, affirmant qu'il détruit le mariage traditionnel. Mais en termes de chiffres, le porno est extrêmement plus destructeur. En outre, en termes de chiffres, les hommes sont beaucoup plus susceptibles que les femmes d'être réduits en esclavage par celui-ci. Mais cela ne signifie pas qu'ils souffrent seuls de ses effets.

Quand je sors avec mes petites petites-filles, je suis consciente que presque n'importe quel homme que nous croisons pourrait avoir de terribles images gravées dans son cerveau. C'est le monde dans lequel elles devront vivre. Quand elles seront un peu plus âgées, elles pourront sortir sans le savoir avec de tels hommes. Elles peuvent en épouser un sans le savoir. (N'oubliez pas que l'étape suivante est la violence.) Toute leur vie, mes petites-filles se promèneront dans une communauté saturée de pornographie.

Mais cela ne tient compte que de l'impact sur elles. Qu'en est-il de l'effet sur les hommes eux-mêmes ? Qu'est-ce que c'est que de sentir que votre esprit n'est plus sous votre contrôle, que vous ne pouvez plus arrêter les pensées précipitées qui vous repugnent et vous effraient ?

Pourtant, il est si facile de commencer. À l'Université du Maryland, il y a quelques années, deux groupes d'étudiants, chrétiens et athées, ont tenu un débat. À un moment donné, le pasteur a fait référence au porno, et soudain, la pièce a été remplie de hurlements et d'applaudissements. J'ai été choquée ; je suppose que je suis juste naïve. Je ne savais pas que c'était quelque chose dont les jeunes hommes sont fiers. Mais cette brève référence au porno a reçu la réponse du public la plus enthousiaste de la soirée.

***

Cela nous ramène à la question de savoir pourquoi la pureté serait détestée. Ceux qui continuent à penser, de manière pittoresque, qu'il est beau et digne d'honneur ne menacent la liberté de personne ; leur opinion privée n'affecte personne d'autre. Nous sommes à un moment rare (peut-être unique) de l'histoire, où tout le monde est libre de chercher n'importe quel type de sexe qu'il veut. Les anciennes normes morales ont disparu depuis longtemps, et les prudes et les grincheux qui les protégeaient ont disparu. Pourtant, on a toujours envie de trouver quelqu'un pour jouer ce rôle, un préposé à choquer. Ce n'est pas vraiment de la rébellion si personne n'essaie de vous arrêter.

C'est pourquoi les gens qui voient la beauté dans la pureté sexuelle, qui essaient de la pratiquer et d'encourager les autres à le faire, peuvent se retrouver de manière inattendue comme le méchant dans le drame d'un étranger. Pas étonnant que ceux qui valorisent la pureté aient tendance à le faire tranquillement, en gardant leurs croyances dans le contexte de la maison, de l'Eglise et de la communauté. La pureté est devenue une opinion profondément impopulaire, convenable seulement pour les  bizarreries religieuses.

Et pourtant, dans d'autres contextes, nous apprécions tous la pureté. Ne voulons-nous pas que la pureté soit une priorité absolue à la laiterie locale ? Lors d'une promenade dans Whole Foods [magasin "bio"], combien de fois voyez-vous le mot « pur » sur l'emballage ? Des dizaines de magazines ont le terme "Pur" dans leur titre, croyant apparemment que cela fait vendre des magazines. La seule chose sur laquelle notre nation fracturée est d'accord, est la nécessité de protéger la pureté de la nature.

Tout le monde comprend la beauté de la pureté dans d'autres contextes. Alors pourquoi la pureté sexuelle est-elle l'exception ? Pourquoi suscite-t-elle une haine vive et savoureuse et un désir de blesser et d'attrister ceux qui l'aiment ?

Curieusement, dans l'Église orthodoxe, nous tenons comme exemple - littéralement, sur nos iconstases - un homme qui a été tué pour avoir dénoncé l'impureté sexuelle. Dans son icône, saint Jean-Baptiste se tient debout sur un paysage désertique, avec un plat à ses pieds montrant sa tête coupée. Un rouleau s'ouvre de sa main :

Ô Parole de Dieu,

Vois ce qu'ils souffrent,

Ceux qui censurent les fautes de l'impies ;

Incapable de supporter la réprimande,

Voici, Hérode m'a coupé la tête,

Ô Sauveur.

Le roi Hérode était « inapte à supporter une réprimande » pour avoir épousé la femme de son frère ; saint Jean était incapable de cesser le blâme. Nous savons comment cette histoire se termine. Mais pour le Roi Hérode, rien n'a changé.Il n'avait pas trouvé les paroles de saint Jean convaincantes et a continué son mariage avec Hérodiade jusqu'à sa mort.

Est-ce que quelque chose pourrait persuader les gens d'honorer la pureté sexuelle, s'ils ne ressentent pas instinctivement sa valeur ? Les paroles persuasives sont difficiles à trouver, et même essayer de les trouver nous fait ressembler à des cibles superbes. Pendant ce temps, le monde continue de faire de la publicité pour la disponibilité de tout ce que tout le monde pourrait souhaiter. Qu'est-ce qui pourrait changer cette situation ?

Eh bien, pour avoir une très longue vision, il y a le fait qu'il s'agit de la fausse publicité. Vouloir du sexe n'est pas la même chose que de l'avoir. Chaque année, un nouveau lot de jeunes de 20 ans sort du tapis roulant, et chaque année, tout le monde a l'air d'avoir un an de plus. Le temps est implacable. L'attractivité est éphémère. Parallèlement à l'exaltation du sexe "libre", le monde à deux visages maintient un barrage de publicités pour les aliments gras et appétissants ; ceux-ci peuvent être irrésistiblement réconfortants dans le cadre du manque, mais ils affectent la silhouette de manière à la rendre de plus en plus rebutante.

Il y a quelques années, j'ai remarqué qu'il y avait un mot que, si je le disais lors d'un discours, le public se bloquerait. Le mot est « solitude ». La liberté de ne pas avoir d'obligation envers quelqu'un d'autre signifie, inversement, que personne n'a d'obligation envers vous. Les répercussions de cette déconnexion deviennent plus terribles chaque année qui s'accumule. La libération sexuelle nous a libérés, comme un astronaute qui coupe sa ligne de sauvetage. Ces prudes et ces grincheux ennuyeux de jadis ont eu une influence parce qu'ils ne représentaient pas leurs propres caprices privés, mais le consensus de leur communauté. Ils exprimaient l'opinion commune des limites d'un comportement acceptable. Le prix pour être dans une communauté est de faire le calcul avec ce genre d'attentes ; le prix de ne pas être dans une communauté est le désespoir.

Imaginer que l'interdépendance communautaire nécessite une vision très longue, et à court terme, nous ne sommes pas plus susceptibles d'avoir plus de succès que saint Jean l'était. Même tenter de présenter la beauté de la pureté sexuelle n'attire probablement que cette mystérieuse méchanceté. Mais nous pouvons continuer à nous exhorter et à nous encourager les uns les autres, et dans notre vie privée, nous faisons de notre mieux pour ne pas laisser tomber l'équipe. Nous pouvons être très sélectifs quant au matériel que nous permettons dans notre esprit, car il est très difficile de l'en faire sortir à nouveau. Nous ne trouverons pas de meilleur conseil que celui-ci :

« Au reste, frères, que tout ce qui est vrai, tout ce qui est honorable, tout ce qui est juste, tout ce qui est pur, tout ce qui est aimable, tout ce qui mérite l'approbation, ce qui est vertueux et digne de louange, soit l'objet de vos pensées. » (Philippiens 4:8)


Version française Claude Lopez-Ginisty

d'après

PRAVMIR

Frederica_Mathewes-Green est femme de prêtre.

Mont Athos, Saint Joseph l'Hesychaste (1897 -1959)

jeudi 1 décembre 2022

Pemptousia ARCHIMANDRITE ZACHARIAS ZACHAROU: L'authenticité de la vision du Christ dans la vie de saint Silouane



 

Le Christ est le miracle qui nous étonne. Il est le signe que Dieu donna à toutes les générations de tous les temps. En sa personne, chaque problème, chaque impasse, chaque tragédie a reçu sa solution. Étant des imitations du Christ et Le portant dans leur cœur, les saints sont aussi le signe de Dieu pour leur génération. Ils deviennent des exemples tangibles de l'amour de Dieu dans un monde plongé dans les ténèbres de l'ignorance et du découragement.

Par leur parole et leur prière, les saints donnent une réponse aux questions de leurs contemporains et une solution à leurs problèmes. C'est plutôt Dieu Lui-même, à chaque génération, qui parle à travers ses amis les plus proches, qui sont les saints. Et c'est cette parole, venant soit directement de Dieu, soit de Ses saints, qui nous jugera au dernier jour.[ 1]

Le staretz Sophrony a récemment été canonisé officiellement et compté parmi les saints de l'Église. Pour ceux qui ont eu la bénédiction de le connaître, mais aussi pour ceux qui sont entrés en contact avec sa parole de sagesse divine qu'il nous a laissée en héritage, il est évident qu'il avait la sagesse divine.

Son propre staretz, saint Silouane, avait déjà été canonisé comme « enseignant prophétique et apostolique de l'Église »[2] trente ans plus tôt. Pour beaucoup, cependant, sa stature spirituelle est cachée derrière la simplicité de ses paroles. C'est dans cet esprit que saint Sophrony publia les écrits de saint Silouane, les accompagnant de sa propre introduction, expliquant aux intellectuels plus raffinés de son temps la parole de son Père en Dieu qui est sainte et pure, mais pourtant « incompréhensible précisément à cause de sa simplicité ». 3]

Les écrits de saint Silouane peuvent ressembler à l'Évangile selon Saint Jean, qui est le plus pauvre du point de vue linguistique, mais contient la perfection du sens et de la révélation.

Extérieurement, la vie de saint Silouane ne présente aucun intérêt particulier. C'était un paysan russe analphabète qui vivait au monastère de saint Pantéléimon sur le Mont Athos. Le temps ne nous permet pas d'entrer dans plus de détails sur son mode de vie monastique. Il y a cependant eu deux événements marquants qui ont scellé son voyage spirituel.

Son biographe le décrit comme « un homme avec un désir insatiable pour Dieu ».[ 4] En effet, sa soif de Dieu le consuma même avant d'aller sur le Mont Athos jusqu'au dernier jour de sa vie. Dès le moment où il arriva au monastère, il vécut dans une tension spirituelle extrême. Il s'efforçait constamment d'être exact dans tous les aspects de la vie monastique, tels que la prière incessante, les offices, les corvées pénibles, les vigiles, le jeûne, l'amour fraternel et bien sûr, surtout, l'obéissance.

Après six mois, pensant qu'il avait accompli toute justice humaine, il devint épuisé au point de désespérer. Il accepta même la pensée que Dieu n'entendait pas ses prières, qu'Il était inexorable.

Pourtant, qui est l'homme, cette créature éphémère, pour adresser une telle parole à Dieu ? L'esprit du jeune novice était brouillé et son esprit était plongé dans une angoisse insupportable et dans les ténèbres de l'enfer. Néanmoins, il allait toujours à l'église, où la confrérie était réunie, et tandis qu’il vénérait l'icône du Seigneur, il trouva la force d'invoquer Son Nom : « Seigneur, Jésus-Christ, aie pitié de moi un pécheur ». Alors il reçut la bénédiction ineffable de voir le Christ vivant à la place de Son icône.

À ce moment-là, tout son être fut rempli de grâce divine et même sa chair désira souffrir pour l'amour du Christ. Nous savons par les paroles de saint Silouane qu'une grande Lumière divine brillait autour de lui, que dans l'esprit il fut transporté au Ciel, où il entendit des paroles ineffables, qu'à cet instant, il reçut une nouvelle naissance d'en Haut.[ 5] Bien qu'il ait entendu depuis son enfance : « Gloire au Père et au Fils et au Saint-Esprit », c'est à ce moment-là qu'il prit conscience de l'existence du Saint-Esprit. Son cœur se dilata et Silouane, qui manquait d'éducation mondaine et n'avait probablement jamais vu de carte géographique de la terre, a commencé à intercéder pour le salut du monde entier et à désirer pour chaque être humain la même bonne part de grâce qui lui fut accordé de recevoir.

Pendant un certain temps après la vision, sa vie fut un festin pascal. Pourtant, sa nature n'était pas encore conforme à la grâce qui lui avait été donnée et bientôt il commença une longue et implacable guerre contre les pensées, en particulier les pensées de vaine gloire. À cause de ces pensées, les démons lui apparaissaient parfois sous une forme visible, le tourmentant. Il se battit pendant quinze ans avec courage et patience. Il dormait à peine, priait avec beaucoup de tension et de ferveur, et travaillait sans relâche.

Une nuit, alors qu'il essayait de faire une prosternation devant le Christ, un démon apparut devant lui prêt à recevoir son adoration pour lui-même. Découragé, le saint s'assit sur son tabouret et, le cœur serré, il demanda au Seigneur de lui dire quoi faire pour humilier son esprit, afin que les démons ne puissent plus le déranger. Alors il entendit la voix de Dieu répondre dans son cœur : « Garde ton esprit en enfer et ne désespère pas. »

Le Seigneur lui offrait l'enfer, mais le saint accepta la parole avec gratitude. Il  commença à pratiquer le conseil du Seigneur et, comme il en témoigne lui-même, « Son esprit fut purifié et son âme trouva du repos. »

Comme le révèlent également les paroles du Christ dans l'Évangile, la connaissance parfaite de Dieu ne consiste pas en fabrications intellectuelles, mais en la vision de Son Visage dans le Saint-Esprit et dans le son de Sa voix dans le cœur. Afin de montrer aux Juifs qu'ils ne connaissaient pas vraiment Dieu, le Seigneur leur dit : « Vous n'avez jamais entendu Sa voix (du Père) à aucun moment, ni vu Sa forme. » [ 6] Dieu est connu par la communion personnelle avec Lui. Comme le dirait saint Sophrony, la connaissance de Dieu et la théologie en tant qu'état de l'esprit est « communion dans l'être ». 7]

Beaucoup prétendent avoir une vision du Christ ou de la Mère de Dieu ou des anges. Pourtant, dans l'Église, il existe des critères fermes qui vérifient l'authenticité de la vision. Dans le cas particulier de la vision du Christ par saint Silouane, ses effets immédiats et le reste de la vie du saint témoignent de l'authenticité de son expérience.

Examinons brièvement certains aspects qui scellent la vérité de la vision de saint Silouane et la perfection de cet homme saint.

a) La grâce est également transmise au corps

Tout d'abord, la grâce qu'il a reçue n'était pas une figure de son imagination, elle était très tangible. Tout comme il ressentait les flammes de l'enfer rugir autour de lui pendant sa lutte ascétique, affligeant tout son être, son corps, son âme et son esprit, il ressentit également  la grâce imprégner son être jusqu'à la moelle de ses os. Son cœur fut enflammé d’un tel amour pour le Sauveur Jésus, qu'il désirait souffrir le martyre pour Lui.

b) La parole du parfait

Lorsqu'un saint ascète du Caucase, saint Stratonique,  rendit visite à saint Silouane pour en retirer un bénéfice spirituel, le staretz lui posa la question : « Comment les parfaits parlent-ils ? » Il donna la réponse suivante: « Les parfaits ne disent jamais rien d'eux-mêmes. Ils ne disent que ce que l'Esprit leur inspire de dire. » [ 8]

En réalité, par sa réponse, il révéla sa propre façon de parler et d'écrire. Bien que sa parole soit simple et sans prétention, elle ouvre de nouveaux horizons. Elle rayonne « comme une lumière qui brille dans un lieu obscur ».[ 9] Elle donne la solution aux questions brûlantes et montre les chemins de vie.[ 10] C'est le fruit de sa prière et de son espoir « que même une âme vienne aimer le Seigneur et se tourner vers Lui par le feu de la repentance ».[ 11]

c) Humilité spirituelle

Lorsque saint Silouane vit  le regard doux, paisible et aimant du Christ, il connut dans son cœur l'humilité divine « ineffable », à laquelle il consacra un hymne dans ses écrits et qu'il recherchait « comme une perle précieuse et scintillante ». 12] Comme le reste des saints Pères, il distinguait deux sortes d'humilité, l'humilité ascétique et l'humilité charismatique ou spirituelle.

L'humilité ascétique consiste en la lutte de l'homme pour se rabaisser devant Dieu et ses frères. Le sommet de cette humilité est de se considérer comme pire que tous.

Cependant, cette humilité n'est pas parfaite, car elle implique une comparaison avec d'autres semblables. La véritable humilité divine s'est manifestée par le Christ par Sa descente du Ciel vers les parties les plus basses de la terre et c’est un don de Sa grâce. L'humilité semblable à celle du Christ s'exprime par le fait paradoxal que le Dieu non créé, infini et éternel s'est dépouillé de Lui-même [Kénose] et a donné sa vie pour délivrer Sa créature de la mort.

Dans les moments où la grâce lui rend visite, l'homme prend conscience de la redoutable Providence et de l'économie divines. Il voit l'histoire du monde comme la sollicitude aimante continue de Dieu, et puis il est convaincu au cœur de son être qu'il est non seulement le pire de tous les hommes, mais aussi indigne d'un Dieu tel que le Christ.

d) la repentance universelle

Cette conscience de notre indignité et de notre inutilité totales devant le Seigneur Jésus, mêlées à la gratitude pour Son amour sans bornes et Sa Passion inconcevable, conduit à un repentir qui ne connaît pas de fin sur terre.

Le début et la fin de l'Évangile du Christ parlent de repentance. Sans repentir, l'homme ne peut pas avoir accès à Dieu. En d'autres termes, le repentir est comme un pont qui unit les deux rives de l'abîme sans fond.

Dans son repentir personnel, dans son effort pour se réconcilier avec Dieu, saint Silouane a atteint des états extrêmes. Pendant sa vision du Seigneur Jésus, l'état du Seigneur lui a été transmis. Il reçut Sa grâce qui dilate le cœur pour embrasser toutes choses, le Ciel et la terre, Dieu et l'homme.

Le Christ a enlevé le fardeau du péché du monde entier, « étant fait malédiction pour nous ».[13] Tous ceux qui le suivent et reçoivent Son état, comme saint Silouane, acceptent le blâme et se repentent de la chute de toute l'humanité. Comment peut-on acquérir cette conscience universelle ?

Lorsque la lumière de la grâce brille dans le cœur, elle révèle les ténèbres que l'homme porte en lui, mais aussi sa consubstantialité avec l'ensemble de l'humanité. Le prochain n'est plus quelqu'un d'autre, un étranger qui se profite de nos biens ; il devient, comme les saints en témoignent, notre frère et notre vie, un membre du Corps auquel nous appartenons également. Alors l'homme de Dieu commence à se lamenter non seulement pour ses péchés personnels, mais aussi pour l'héritage maudit de l'apostasie du monde de Dieu, priant pour le salut universel.

Dans son chapitre sur la lamentation d'Adam, saint Silouane décrit essentiellement son propre repentir. Son fort cri avec de grandes larmes résonnait dans le désert d'un monde immergé dans le découragement et le désespoir, privé de la grâce vivifiante et rayonnante de Dieu.

Le repentir adamique convient à l'homme qui fut créé à l'image et à la ressemblance du Christ. Lorsqu'un tel repentir est offert à Dieu, il attire Sa bénédiction et la répand dans le monde entier.

e) La grande science

Les principales afflictions qui oppriment notre temps sont : l'esprit d’orgueil et d'amour de soi, l'assombrissement de l'esprit, le découragement général et la paralysie spirituelle totale, les nombreuses épreuves involontaires et, enfin, le désespoir.

Ce qui fait de saint Silouane un signe pour notre génération plus que tout, c'est la parole qu'il a reçue du Christ : « Garde ton esprit en enfer et ne désespére pas. » Cette parole résume toute la tradition de l'Église, mais dans ce cas particulier, elle est exprimée de manière concise et axiomatique.

Par la parole qu'Il a adressée à Son serviteur, Dieu lui a révélé l'arme avec laquelle l'Ennemi est vaincu. Il lui a fait connaître les moyens de guérir le corps blessé de l'humanité.

L'enfer fait partie du monde créé. C'est un état, auquel le Seigneur Lui-même est descendu afin de remplir chaque centimètre de création de Son énergie créative et salvatrice. Même pendant Sa vie terrestre, chaque fois qu'Il a été glorifié, nous voyons le Seigneur tourner Son esprit et l'esprit de Ses disciples vers Sa mort honteuse.

Si c'est la voie - d'abord de la descente, puis de l'ascension - par laquelle le Christ a réconcilié l'homme avec Dieu, il s'ensuit que l'homme doit aussi la suivre.

En effet, pour que l'homme devienne à la ressemblance du Christ, il doit s'étirer à la fois vers le bas et vers le haut : d'abord vers le bas par l'humilité et l’auto-condamnation. L'homme s'humilie devant Dieu, abaissant son esprit et sa psychologie à la limite, mais il ne désespère pas. Il s'étire aussi vers le haut, parce qu'il a jeté une ancre au Ciel et place tout espoir dans la miséricorde insondable de Dieu. Par la condamnation de soi, son arrogance est écrasée, tout son cœur est broyé. Cependant, comme les Pères en témoignent, il n'y a rien de plus courageux qu'un cœur broyé.

L'Ennemi a tendance à s’élever, en visant à dépasser même Dieu. Lorsque le pieux croyant se condamne et s’abaisse, l'Ennemi est par nature incapable de le suivre. Ainsi, l'homme n'est plus « captif de l'Ennemi selon sa volonté »[14] et commence à goûter la liberté « par laquelle le Christ nous a rendus libres ».[ 15] L'humilité requise par l'autocritique attire la grâce qui guérit les infirmités et comble les manques.

Dieu ne juge pas deux fois. Lorsque nous nous condamnons volontairement comme dignes de l'enfer, le Seigneur nous délivre du jugement futur. Saint Silouane a sûrement fait l'expérience de cet état sous sa forme charismatique. À un niveau plus ordinaire, cependant, il est réalisable, voire nécessaire pour chaque chrétien, en acceptant les afflictions avec patience et espoir dans la miséricorde de Dieu, en rendant gloire à Son Nom et en n’adressons des reproches qu’à nous-mêmes.

Pour saint Silouane, la parole du Seigneur, « garde ton esprit en enfer et ne désespère pas », est devenue une règle ascétique. C'était pour lui la Grande Science dont il s'est réjoui et qu'il a indiquée comme la voie qui mène au havre calme de l’absence de passion, et enfin à la vie éternelle.

f) Personnalité

La personne n'est pas un individu psychologique, mais un homme fait à l'image de Dieu qui s'efforce d'atteindre la ressemblance avec Dieu. Chaque hypostase de la Sainte Trinité est un Dieu parfait, portant la plénitude de l'Essence divine et de l'Énergie divine. De même, l'homme devient une hypostase lorsqu'il embrasse dans son cœur toute l'existence humaine du début à la fin et l'apporte devant Dieu dans sa prière d'intercession.

Au moment de la vision bénie, le jeune novice se tenait devant le Christ face à face. Il vit son regard paisible et goûta donc à l'éternité. L'état du Christ lui fut transmis, et la volonté divine, qui est le salut de tous, est devenue la sienne. « Le staretz a commencé à comprendre le commandement « Aime ton prochain comme toi-même » comme quelque chose de plus qu'un impératif éthique. Dans le mot "comme", il vit une indication, non pas d'un degré requis d'amour, mais d'une communauté ontologique d'être.[ 16]

g) Prière pour le monde

Après la vision, saint Silouane a commencé à intercéder pour le salut de tous en priant Dieu en face à face. Il a maintenant vu ceux qui l'entourent avec les yeux de Dieu et non avec les yeux aveugles de la logique humaine. Il avait de la compassion pour chaque créature et intercédait pour le salut de l’Adam tout entier. Pour lui, l'amour du prochain était le critère qui confirmait l'authenticité de l'amour pour Dieu.

h) Amour des ennemis

En substance, le saint staretz n'a pas séparé les gens en amis et en ennemis, mais en ceux qui connaissent Dieu et ceux qui ne Le connaissent pas. Étant conscient que l'humanité forme un corps, il ne pouvait plus rejeter aucun des membres de ce corps, ni cesser de désirer son salut. Il croyait que « Ceux qui n'aiment pas et rejettent leur prochain sont appauvris dans leur être. Ils ne connaissent pas le vrai Dieu, qui est un amour qui embrasse tous. Ils n'ont pas trouvé le chemin vers Lui. »[ 17]

Le commandement de l'amour pour les ennemis est le sommet des commandements, car il reflète le mode d'existence de Dieu. Il offre Sa vie sainte et sans fin à Son ennemi, à l'homme pécheur. Sans aucun doute, ce commandement dépasse la force de l'homme ; il est inaccessible sans la grâce du Saint-Esprit. C'est pourquoi pour saint Silouane, l'existence de cet amour était un signe de la présence du Saint-Esprit, à la fois au niveau personnel et ecclésiastique.

Son enseignement contient donc le critère infaillible et digne de confiance pour l'Église unique, qui ne peut être que l'Église portant en son sein des âmes corporelles qui sont des habitations du Saint-Esprit, porteuses d'« amour semblable à celui du Christ pour nos ennemis et d'une humilité semblable à celle du Christ ».[ 18]

Outre les effets que nous avons mentionnés, l'authenticité de la vision du Christ par saint Silouane est démontrée précisément par la simplicité de ses écrits. La richesse de la vie que Dieu donne à ses élus ne peut pas être décrite avec l'esprit. Elle n'est pas le fruit de l'imagination humaine et n'éveille en aucune façon l'imagination.

Les saints n'écrivent pas simplement de la poésie, mais décrivent leur expérience de vie. La perfection réside dans l'union avec le Seigneur. C'est cette relation que nous nous efforçons de cultiver et de rendre éternelle même à partir de cette vie. De telles paroles, comme cette parole de saint Silouane, jouent le rôle d'une étoile qui guide notre combat spirituel.

Version française Claude Lopez-Ginisty

D’après

PRAVMIR


mercredi 30 novembre 2022

Père Lawrence Farley: SOLA SCRIPTURA

 

La plupart des protestants évangéliques n'ont pas un grand amour pour le latin (les gens de mon millésime peuvent se souvenir de l'époque où le latin était inévitablement associé dans les esprits évangéliques aux horribles catholiques, qui utilisaient le latin comme langue liturgique), mais il y a deux mots latins très proches de leur cœur : "sola Scriptura", Ceux qui plongent un peu dans l'histoire de la Réforme se souviendront qu'elle partageait la scène avec quelques autres slogans latins, tels que "sola fide" (La foi seule), "sola gratia" (La grâce seule) et "solus Christus" (Le Christ seul). Les mots formaient quelque chose comme une bannière, un code pour l'ensemble des Réformés - et parfois un cri de guerre prononcé en entrant dans la bataille idéologique.

L'expression "sola Scriptura" au moment de la Réforme ne signifiait pas que les protestants agitant cette bannière n'avaient pas de temps à consacrer  à la tradition, aux Pères ou au savoir. Des réformateurs comme Luther et Calvin étaient heureux de citer les Pères (Augustin était l'un de leurs favoris), surtout lorsque les Pères semblent être d'accord avec eux. Dans l'église médiévale occidentale, il y avait deux façons d'établir une doctrine - l'Écriture et la tradition. Le Concile catholique romain de Trente finira par définir que la vérité de l'Évangile était accessible par les moyens jumeaux des Écritures et de la Tradition. Le décret final disait : « Cette vérité et cette règle sont contenues dans les livres écrits et dans les traditions non écrites. » Les deux réalités - l'Écriture et la Tradition - sont clairement distinctes l'une de l'autre, et l'une ou l'autre peut être utilisée pour établir une doctrine ou une pratique. 

Les réformateurs ne se souciaient pas de rejeter complètement la tradition, mais de la subordonner aux Écritures. Les réformateurs n'ont pas nié que les Pères avaient un rôle dans l'interprétation des Écritures. Ils ont juste dit que les opinions des Pères ne pouvaient pas être contraignantes ou faisant autorité. Ce qu'ils visaient, ce n'était pas tant les anciens Pères que le magistère catholique contemporain - et le pape en particulier, son principal représentant.

Les réformateurs ont bien sûr produit leurs propres déclarations de foi magistrales. La Réforme en a étailli un bon nombre d'entre elles : les articles luthériens de Schmalkald, le livre de la concorde, les confessions helvétiques réformées, la confession belge, le catéchisme de Heidelberg, la confession presbytérienne de Westminster et les trente-neuf articles anglicans. Mais malgré une telle effusion d'enseignement magistral, les réformateurs étaient clairs que ces confessions avaient un rôle distinctement secondaire et subordonné. Elles ne devaient pas être considérées comme des sources de doctrine faisant autorité, mais simplement comme des résumés fiables des vérités des Écritures. Les Écritures étaient à elles seules la seule source de la doctrine faisant autorité. Et on pensait que le principal message salvateur des Écritures était suffisamment clair pour être compris par tous ceux qui l'approchaient avec humilité et confiance en Dieu. Il y avait des parties de l'Écriture qui étaient moins claires, bien sûr, mais le principal message du salut était clairement exposé. La tâche de l'Église était de proclamer ce message et de diriger la vie de ses membres. "Sola Scriptura" ne signifiait pas que la tradition était sans valeur, et cela ne signifiait pas qu'un chrétien individuel pouvait se passer de l'Église tant qu'il avait sa Bible.

Maintenant, cependant, parmi la plupart des protestants évangéliques, l'expression "sola Scriptura" en est venue à signifier quelque chose d'un peu différent - et quelque chose dont leurs ancêtres réformés n'auraient pas été satisfaits. Maintenant, l'expression ne signifie pas tant "Écriture au-dessus de la tradition", mais plutôt "Écriture et pas de tradition". L'idée moderne est que la tradition est mauvaise, et que tout ce dont un cœur pieux a besoin pour comprendre que la Bible est un esprit ouvert et une bonne intention, et que le Saint-Esprit fera le reste. La promesse du Seigneur que l'Esprit conduira son Église dans toute vérité (Jean 16:13) est interprétée comme signifiant que le Saint-Esprit conduira chaque croyant individuel dans toute vérité, de sorte que la Bible seule est suffisante et que tout dans la Bible peut être compris immédiatement et facilement.

À cet égard, on entend parfois des slogans (plutôt insensés) tels que "Mon seul Credo est la Bible", ce qui est un peu comme dire : "Mon seul Credo est la bibliothèque théologique", puisque la Bible n'est pas un seul volume, mais une bibliothèque rassemblée de plus de soixante-six livres. On ne peut pas facilement traduire la signification de la valeur des livres de toute une bibliothèque en un système théologique ordonné, car la multiplicité des livres permet une multiplicité de significations possibles. Quelque chose en dehors de la bibliothèque biblique doit fonctionner comme une lentille à travers laquelle les livres sont lus si l'on veut trouver un seul sens cohérent à tout cela.

Néanmoins, les évangéliques persistent à dire que le message intégré unique de tous les soixante-six livres de la Bible est clair pour tous les lecteurs impartiaux, et que rien d'autre n'est nécessaire pour l'interpréter correctement. Je me souviens qu'un de ces auteurs évangéliques, Harold Hill, dans son livre How to Live Like a King's Kid [Comment vivre comme un fils de Roi], fait référence à la Bible comme « le manuel du fabricant ». Dans cette optique, la Bible fonctionne comme un ensemble divin d'instructions d'assemblage d'Ikea - tout ce dont on a besoin pour assembler une église et une vie chrétienne est la Bible. Aucun autre ensemble d'instructions n'est nécessaire. Ce point de vue est parfois exprimé en termes de piété chaleureuse, comme lorsqu'un homme chrétien est décrit comme « l'homme d'un seul livre ». L'homme lit la Bible et seulement la Bible et est capable de comprendre sans aide son message principal, car le sens de ce message est tout à fait évident. Parfois, cette piété va jusqu'à mépriser l'enseignement théologique, le rejetant comme un obstacle à la compréhension de la Bible, comme une source de confusion qui ne peut qu'embrouiller les âmes simples. Parfois, cette piété va jusqu'à  opposer le chrétien individuel à l'Église et déclare que l'Église n'a aucun rôle dans l'interprétation de la Bible. L'homme d'un livre peut comprendre la Bible par lui-même, merci beaucoup, alors pourquoi a-t-il besoin d'une église ou d'un pasteur pour lui dire ce que cela signifie ? Il peut très bien la lire par lui-même.

Il y a deux problèmes avec cette compréhension de la "sola Scriptura", même si l'on omet les erreurs plus grossières de rejet de l'éducation théologique et de rejet de tout rôle pour l'Église ou le pasteur.

Tout d'abord, il est clair que le principal message de salut dans la Bible n'est pas évident, et c'est pourquoi il y a littéralement des milliers de confessions protestantes, toutes lisant la même Bible et qui en trouvent toutes des interprétations différentes. Et ces interprétations diffèrent parfois sur des choses assez basiques. Répondez à la question de base : « Que dois-je faire pour être sauvé ? » Est-ce que se sauver a quelque chose à voir avec le baptême ? Le baptême sauve-t-il et régénère-t-il ? Qui peut être baptisé - adultes et bébés, ou juste des adultes ? Les pieux chrétiens intelligents ne sont pas d'accord sur cette question de base, bien que tous lisent la même Bible. Ou prenez la question tout aussi fondamentale : « Que fait l'Église lorsqu'elle se réunit ? » Devrait-elle se réunir le dimanche ou le samedi ? L'Eucharistie doit-elle être célébrée chaque semaine ? Et qu'est-ce que l'Eucharistie ? Est-ce un sacrifice ? En cela, recevons-nous le véritable corps et le vrai sang du Christ ? Les nourrissons peuvent-ils recevoir l'Eucharistie ? Les pieux chrétiens intelligents ne sont pas d'accord sur cette question. D'autres questions importantes subsistent également. Pouvons-nous prier pour les morts ? Pouvons-nous prier les saints ? Devons-nous faire face à une direction particulière lorsque nous prions ? La séparation d'une église pour former votre propre église (c'est-à-dire le schisme) est-elle autorisée ? Ce ne sont pas des questions secondaires sans importance. La question de savoir comment on devient chrétien, comment on adore Dieu chaque semaine, et à qui et pour quoi on peut prier constitue le message principal de la Bible, et c'est précisément là que l'on trouve des désaccords violents.

La confusion qui règne dans la réponse à ces questions révèle que la Bible ne s'interprète pas d'elle-même, mais qu'une optique est nécessaire à travers laquelle nous lisons les Écritures. L'orthodoxie dit que l'optique requise se trouve dans le consensus patrum, le large accord que l'on trouve chez tous les Pères. Et indépendamment de ce que les réformateurs du magistère ont dit à propos de la place subordonnée de leurs confessions, il semble clair que ces confessions fonctionnaient en fait de la même manière pour elles que le consensus patrum pour les orthodoxes. Les pieux adolescents presbytériens  ne croient pas à l'expiation limitée parce qu'ils voient qu'elle est évidente dans la Bible, mais parce que la Confession de Westminster leur dit que le Christ n'est mort que pour les élus. Même les évangéliques ont recours à une sorte de lentille - témoin de la popularité des Bibles d'étude, y compris la célèbre (ou infâme) Scofield Reference Bible avec ses notes dispensatives. Le message de la Bible ne semble évident que pour ceux qui y ont grandi dès leur jeunesse, parce qu'ils y ont lu l'enseignement de leurs confessions. Remarque : ce que ces confessions enseignent peut ou non être vrai. Mais même si c'est vrai, ce n'est pas évident. Le problème avec "sola Scriptura" est que pour que la Scriptura soit comprise, elle ne peut jamais être sola. Un objectif est nécessaire pour la comprendre.

Saint Vincent de Lerins il y a longtemps, l'a souligné lorsqu'il a écrit : "Peut-être, quelqu'un demandera-t-il, puisque le canon de l'Écriture est complet, et est en soi abondamment suffisant, quel besoin y a-t-il d'y joindre l'interprétation de l'Église ? La réponse est qu'en raison de la profondeur même des Écritures, tous les hommes ne donnent pas une interprétation identique. Les déclarations du même écrivain sont expliquées par différents hommes de différentes manières, à tel point qu'il semble presque possible d'en extraire autant d'opinions qu'il y a d'hommes... Par conséquent, en raison de la complexité de l'erreur, qui est si multiforme, il y a un grand besoin d'établir une règle pour l'exposition des Prophètes et des Apôtres conformément à la norme de l'interprétation de l'Église catholique. " Cette "règle" est le consensus patrum, également connu sous le nom de Sainte Tradition.

Deuxièmement, lorsque l'on examine les Écritures, on voit que les apôtres eux-mêmes se réfèrent aux traditions orales comme une source d'autorité égale. Ainsi, saint Paul écrit dans 1 Corinthiens 11:2, « Je vous félicite parce que vous vous souvenez de moi en tout et que vous maintenez les traditions tout comme je vous les ai livrées ». Ou encore dans 2 Thessaloniciens 2:15, où il écrit : « Alors, frères, tenez bon et conservez les traditions que nous vous avons enseignées, soit de bouche à oreille, soit par lettre ». Ce qui possédait l'autorité, c'était l'enseignement des apôtres, et il n'était pas pertinent de savoir s'il transmettait oralement (c'est-à-dire « par le bouche à oreille », la tradition orale) ou par écrit (c'est-à-dire par lettre, les épîtres du Nouveau Testament). L'autorité résidait dans la tradition apostolique, quelle que soit la manière dont elle était transmise. Les épîtres de Paul ne faisaient pas autorité parce que Dieu avait activé un commutateur d'inspiration avant que Paul n'écrive, puis l'était éteint à nouveau lorsqu'il avait fini d'écrire. Elles faisaient autorité parce que Paul était un apôtre - comme il l'a vigoureusement affirmé. Basile savait que l'autorité était dans l'enseignement apostolique, quelle que soit la façon dont il était transmis, et c'est pourquoi il a écrit : "En ce qui concerne les enseignements de l'Église, qu'ils soient proclamés publiquement ou réservés aux membres de la famille de la foi, nous en avons reçu certains de sources écrites, tandis que d'autres nous ont été transmis secrètement, par la tradition apostolique. Les deux sources ont une force égale dans la religion véritable. Personne ne nierait l'une ou l'autre de ces sources - personne, en tout cas, qui soit un tant soit peu familier des règles de l'Église " (extrait de l'ouvrage Du Saint Esprit).

On ne peut donc pas légitimement séparer les Écritures du reste de la Tradition, ni parler de "l'Écritures et la Tradition" comme de choses distinctes comme le fait l'Occident. Les Écritures font partie de la Tradition Apostolique avec un grand « T », et on ne peut pas plus parler de « L'Écriture contre La Tradition" que l'on peut parler du « Nouveau Testament par rapport à la Bible ». L'Écriture règne en maître dans l'Église, mais elle n'est jamais séparée de la tradition orale et elles est lue comme faisant partie de la tradition totale. C'est parce que cette tradition apostolique est suprême dans l'Église que l'Église est la seule interprète autorisée des Écritures. C'est pourquoi saint Paul déclare que « le pilier et le rempart de la vérité » n'est pas la Bible, mais l'Église (1 Timothée 3:15).

Toutes les confessions chrétiennes lisent les Écritures et font de leur mieux pour y être fidèles. Et chaque confession a une certaine optique à travers laquelle elle lit la Bible et fait ses interprétations. Le problème ultime avec Sola Scriptura tel que défini par les évangéliques modernes est que cette optique sert à les aveugler au fait qu'ils utilisent eux aussi une lentille interprétative. Et ils ne seront jamais en mesure de critiquer cet objectif et peut-être d'en choisir un autre jusqu'à ce qu'ils admettent en premier lieu qu'ils en ont un.

Version française Claude Lopez-Ginisty

d'après

ORTHOCHRISTIAN

Librairie du Monastère de la Transfiguration 29 novembre 2022



Nous avons le plaisir de vous informer de la mise en ligne de trois nouveaux ouvrages dont la vie de Saint Georges le Confesseur.

Saint Georges le confesseur du Christ. Protecteur des pauvres et des souffrants




La vie en Christ - Tome 1

Nicolas Cabasilas



La vie en Christ - Tome 2

Nicolas Cabasilas




Paru récemment


 
Collection des 9 tomes des catéchèses de l'Archimandrite Aimilianos


Monastère de la Transfiguration.

24120 Terrasson- Lavilledieu


mardi 29 novembre 2022

St. Gabriel d'Imereti. De la miséicorde

 

St. Gabriel d'Imereti était un saint hiérarque de l'Église orthodoxe géorgienne du XIXe siècle. Il distribua généreusement l'aumône aux veuves, aux orphelins et à tous ceux qui en avaient besoin ; il revêtait les mendiants nus et enterrait les mendiants, ayant pitié du moindre des frères. Saint Gabriel naquit le 15 novembre 1825 et naquit au Ciel le 25 janvier 1896.



Qui n'a pas connu ce doux plaisir intérieur indescriptible que notre cœur ressent lorsque nous parvenons, avec l'aide de Dieu, à aider un autre à sortir du chagrin, à gagner en confiance et à faire l'expérience de la joie au moins une fois dans sa vie ? La miséricorde est, en général, inhérente à la nature humaine. Mais les chrétiens ont l'exigence d'une miséricorde d'un genre et d'une qualité particuliers.

L'Évangile enseigne : Soyez miséricordieux, comme votre Père céleste (cf. Luc. 6:36). Dieu est la miséricorde et l'Amour les plus élevés, donc, si vous voulez amender et améliorer votre nature, banissez la colère et l'envie de votre cœur et acquérez un tel amour que votre nature même pourrait vous éveiller à montrer de la pitié et de la miséricorde envers les autres. Donc, si vous voyez un homme affamé, ne vous contentez pas de nourriture tant que vous ne l'avez pas nourri ; si vous voyez un homme qui n'a pas de vêtements, pratiquement nu, alors vous devriez ressentir du regret et de la honte d'être habillé si somptueusement alors que cet homme n'a même rien pour couvrir sa nudité. La miséricorde du Père céleste est désintéressée, donc, pour l'imiter, vous devriez essayer de rendre votre miséricorde semblable, sans la contamination de tout type de calcul ; c'est-à-dire pas parce que vous devriez montrer de la miséricorde afin d'être ensuite loué pour cela ou de recevoir une telle bonté en retour, mais uniquement par amour, selon l'appel sincère du cœur.

Notre Père céleste est porteur de la plus haute raison et de la plus haute sagesse. Et par conséquent, Sa miséricorde se manifeste différemment, selon ce qui est le plus utile pour celui qui en est l'objet. En suivant cet exemple, toi, chrétien, devrais essayer par tous les moyens de montrer de la miséricorde et de faire le bien avec raison et sagesse. Les œuvres de miséricorde devraient être bénéfiques pour les deux parties, tant pour toi que pour celui que tu aides. Pour toi, parce que si tu donnes d'un cœur pur, tu t'habitueras à être vertueux ; et pour celui que tu aides, seulement si, selon ta considération raisonnée, tu lui donnes précisément ce dont il a besoin à ce moment-là. Certaines personnes sont miséricordieuses et ont de nombreuses possibilités matérielles de fournir de l'aide, mais en raison de l'inexpérience, elles ne savent pas comment le faire avec un maximum d'avantages, c'est pourquoi la miséricorde qu'elles manifestent s'avère vaine, et parfois encore pire - elle apporte des ennuis et des difficultés.

La miséricorde est d'apporter de l'aide à nos frères souffrants qui ont peu, et elle est très agréable à Dieu. La miséricorde est le fruit qui témoigne qu'un homme possède aussi les vertus de foi, d'espérance et de charité. Notre miséricorde plaît au Sauveur, mais nous devons essayer de garder nos actes cachés.

Aider les pauvres et la souffrance équivaut à servir le Christ Lui-même. La miséricorde est donnée comme un prêt au Christ. La miséricorde chrétienne est le sentiment sincère d'un homme bon éveillé et renforcé par la foi. Si le cœur d'un homme n'est pas endurci, s'il n'est pas tombé moralement, alors à la vue de la souffrance et du dénuement, il commence lui-même involontairement à pleurer ; son âme souffre aussi, et il essaie d'atténuer la condition de cet homme malheureux.

Un chrétien doit être miséricordieux envers tous les êtres, quelle que soit leur religion ou leur proximité avec lui. Il ne devrait y avoir qu'une seule distinction : aidez d'abord celui qui en a plus besoin.

Montrez de la miséricorde de manière désintéressée, avec un cœur et un sentiment bienveillants, avec amour pour votre prochain et avec foi. De nombreux chrétiens font généreusement l'aumône, mais en même temps, ils aiment que le monde entier le sache, êtret loués pour leurs actes et qu'on en parle dans les journaux. Mais une telle miséricorde que celle citée plus haut aime son essence, son caractère chrétien.

Lorsque vous faites une sorte de bonne action, lorsque vous offrez de l'aide ou de la miséricorde, ne pensez pas que le Seigneur vous remerciera et vous remboursera avec le bien pour le bien. Certes, le Seigneur a pitié de tous les êtres pour leurs bonnes actions, mais si vous faites du bien et aidez les autres dans le but d'en bénéficier, et non par amour pour Dieu et vos semblables, alors sachez que vos actions ressemblent plus à une transaction et que votre miséricorde est similaire à la miséricorde des catholiques et des mahometans, qui comptent leurs bonnes actions comme un profit.


Version française Claude Lopez-Ginisty

d'après

ORTHOCHRISTIAN