Il naquit dans la famille d’un prêtre de la région de Kiev, en 1788 et fut baptisé Thomas. Nourrisson, il refusait catégoriquement d’ingérer du lait et sa mère, femme très simple et fruste, pensa qu’il était une sorte de monstre. Elle fut dégoûtée de cet enfant au point de demander à un domestique de le jeter dans la rivière.
Il en réchappa par trois fois et cela ne fit que confirmer pour la pauvre femme que cet enfant était anormal. Son père, averti des agissements de son épouse, le confia alors à une nourrice sèche.
Quand il mourut peu après, Thomas fut ballotté de famille en famille. Il se trouva finalement chez un meunier aisé qui, connaissant l’épisode de la noyade manquée, voyait une bénédiction du Ciel dans la charge de cet enfant. Il n’avait pas de descendance et voulait faire de Thomas son héritier.
Mais la Providence en avait décidé autrement : Thomas se retrouva à nouveau orphelin alors qu’il n’avait pas encore trois ans. L’épouse du paysan, voulant se remarier, se débarrassa de l’enfant en le confiant au prêtre du village.
Il y vécut jusques à l’âge de sept ans, fuyant les jeux de son âge et se réfugiant à l’église. Il devint pieux, ne manquant aucun service religieux. Quand on le cherchait en dehors du temps de prière, on le retrouvait devant la porte du temple. Les autres enfants se moquaient de lui et le battaient. Il s’enfuyait pour pleurer dans les bois.
A sept ans, le prêtre lui apprit à lire mais, peu de temps après, il mourut et l’on renvoya l’enfant chez sa mère, pensant qu’à présent, elle serait plus douce avec son fils. Cependant, dès qu’elle le vit, s’emparant d’une hache, elle le frappa durement à l’épaule.
On se souvint alors qu’il avait un oncle prêtre et veuf qui vivait comme staretz dans un monastère de Kiev. On y emmena Thomas. Il y avait dans le monastère de Bratsky une école écclésiastique. Thomas y commença des études. Dès ce moment, il aima beaucoup les psaumes.
Sa mère étant atteinte d’une maladie incurable ouvrit les yeux sur son comportement et demanda pardon à son fils. Son fils pleura et pria pour elle et ils furent réconciliés avant qu’elle ne meure.
Son oncle mourut alors en paix. Elle pouvait donc mourir elle aussi à présent et quitter la terre des vivants où, depuis tant d’années, elle avait été une véritable étrangère, étrangère oui, mais non aux peines des hommes.
Thomas ne put continuer ses études. Il quitta l’école de Bratsky. Il pensait déjà devenir moine. En 1810, il alla à Tchiguirine comme lecteur, mais comme sa voix n’était pas assez belle, on le dirigea vers Oboukhov où il devint sacristain. Il n’y resta pas longtemps et retourna au monastère comme postulant.
Il eut diverses obédiences avant de devenir carillonneur. Il aimait monter au sommet du beffroi et y prier. Personne ne l’y importunait.
Il fut tonsuré moine le 11 décembre 1821, sous le nom de Théodoret, et devint hiérodiacre en 1822. Il entrait maintenant dans le Saint des Saints, durant la Divine Liturgie. Il ne possédait rien, distribuait tout ce qu’on lui donnait et restait parfois trois jours sans manger. En 1827, il fut ordonné hiéromoine et il redoubla son ascèse.
Il faut aussi nommé intendant, ce qui était une position importante mais trop en contact avec le monde extérieur. Il demanda vite à être déchargé de son fardeau et refusa toutes les obédiences qu’on lui donna. Il voulut se retirer dans une grotte de Saint Théodose, à Lesniky, mais cela lui fut refusé. C’est alors qu’il revêtit son comportement de folie pour le Christ. Le 9 décembre 1834, il prit le schème (grand habit) et devint Théophile.Le changement de nom est un nouveau baptême qui fait renoncer à l’identité passée pour accéder à une vie spirituelle plus ancrée dans le Ciel. Pour Théophile, ce fut la mort au monde et à ses usages. Il redoubla de folie pour le Christ. Ascète superbe, il ne voulait pas de l’admiration humaine pour ses exploits spirituels. Seul le Père le voyait dans le secret de son âme et cela lui suffisait.
Il était chaussé d’une botte et d’une pantoufle, son habit était rapiécé avec des haillons de couleurs différentes et, quelquefois, il attachait une vieille serviette autour de sa tête. Au réfectoire, il mélangeait tous les aliments avant de les ingérer car, expliquait-il, ainsi va la vie, le doux est mélangé à l’amer!
Il tricotait et tissait, ne restant jamais oisif. Il avait un carrosse : sur une charrette, il avait installé un lutrin dans le sens contraire de la marche. Il y avait mis un psautier qu’il connaissait par cœur et avait attelé un bœuf qui le traînait partout pendant qu’il lisait. Il laissait l’animal féroce avec tout le monde et doux comme un agneau avec lui aller où il le désirait. Il pénétra ainsi un jour dans le jardin de l’évêque et l’on trembla pour ses treilles, mais l’animal fit demi-tour dans une allée étroite et rien ne fut abîmé! Cet animal pointe son museau malicieux sur l’icône du saint à présent.
Il eut le don de guérison, de discernement des pensées et de prophétie. Quand il confessait les gens, il plaçait ses mains sur la tête de la personne confessée et disait lui-même les péchés, même ceux que le pénitent avait oubliés.
Un jour, le métropolite Philarète de Kiev se trouva sur la même route que Théophile. La route étant étroite, il ne pouvait passer. Ce dernier ne voulut pas céder le passage au hiérarque qui commença à perdre son calme. Théophile lui dit expressément que c’était lui, le métropolite, qui devait rebrousser chemin. Et aussitôt arriva un messager qui demandait au hiérarque de retourner à la Laure de Kiev parce qu’un artisan s’était tué en tombant d’un échafaudage.
Un paysan naïf et curieux de savoir comment le bienheureux en était arrivé à voir l’avenir vint vers lui.
- Père, comment se fait-il que tu saches tout et que tu puisses prédire la vie des gens ?
- Il n’y a rien de difficile à cela!
- Père, serait-ce aussi simple?
- Très simple!
- Veux-tu faire la même chose?
- Bien sûr, Père, apprends-moi!
- Alors, prends un de tes cils et fais-y deux nœuds. Quand tu pourras faire cela, tu seras aussi sage que moi!
- Tu veux dire que c’est ainsi que tu as dû procéder ?
- En effet, dit le staretz Théophile.
Le paysan naïf essaya de mettre en pratique ce conseil, mais quoiqu’il essayât, il ne put faire même un nœud dans le cil.
- Ce fut aussi difficile pour moi pour atteindre ma présente condition, dit le bienheureux en quittant le paysan.
Il était constamment importuné. Quelquefois, des curieux l’approchaient ou des dames oisives de la bonne société. L’une d’entre elles lui demandant une bénédiction, il la fit attendre, alla essuyer ses mains sur un linge souillé et les lui donna à embrasser.Comme elle était choquée, il lui dit que son âme à elle sentait plus mauvais que les mains du pauvre Théophile.
Théophile fut persécuté par les siens. On n’aimait pas sa manière de servir à l’autel. Il supportait tout avec joie. Il disait alors à son syncelle : Ah Ivan ! il vaut mieux supporter l’injustice que de la commettre. Il disait aussi : Nous devons prier pour nos ennemis, ils sont en fait nos bienfaiteurs !
Ivan était un déserteur qui avait commis plusieurs crimes et que le bienheureux Théophile avait accepté comme fils spirituel. Un jour, ils se promenaient tous deux et le fol-en-Christ annonça un orage. Le ciel était clair et bleu. Il insista. Ivan le contredit.
- L’orage approche, dit le saint.
Ils furent alors attaqués par trois voyous avec des bâtons qui en voulaient à un argent qu’ils n’avaient pas. Il leur offrit de son panier un champignon. Ils furent vexés et le battirent cruellement. Ils battirent également Ivan. C’était l’orage prédit par le bienheureux staretz !
Les miracles du saint furent innombrables. Sa vie en fut parsemée.
Lorsqu’il parvint au terme de son pèlerinage terrestre, il se comporta d’une manière inhabituelle pour ses proches. Il mit un banc en travers de la porte de sa cellule et s’y étendit, disant à ceux qui passaient qu’il était étonné de ne pas avoir pensé plus tôt à se reposer ainsi.Il chargea Dimitri d’aller porter de l’encens et de la myrrhe au père Jean, à la grande église de la Laure de Kiev. Celui-ci vint voir l’ascète admirable. Quand il lui demanda pourquoi il lui avait envoyé l’encens et la myrrhe, il répondit que le mercredi, il y aurait un ensevelissement pour celui que Dieu appellerait.
- Peut-être moi, dit-il.
II l’emmena alors dans le beffroi de l’église pour lui montrer la longue boîte remplie de cierges qui devait lui servir de cercueil.
Il demanda ensuite par messager au hiéromoine Anatole de lui apporter les Saints Dons dans sa cellule, le mercredi 28 octobre. Il répéta plusieurs fois le message.
Il reçut ce jour-là les Saints Mystères du Corps et du Sang du Christ et il devint calme.
À Dimitri, il demanda de ne pas quitter sa cellule.
- Tu verras quelque chose d’extraordinaire! ajouta-t-il.
Il fit nettoyer sa cellule, encenser, allumer les lampades devant les icônes. Il s’allongea sur le banc, fit mettre deux cierges sur les montants de la porte, se fit remettre la croix de bénédiction qu’il utilisait habituellement pour ses visiteurs.
Il bénit ses syncelles, et envoya l’un deux demander au hiéromoine Anatole de faire sonner la cloche pour le trépas de Théophile.
Le hiéromoine fit donner les cloches puis, apprenant que c’était Théophile lui-même qui venait de le demander, il se précipita dans la cellule du staretz. Dimitri était resté avec le bienheureux.
Il pleurait en écoutant les derniers enseignements de son staretz et, soudain, il sentit un courant d’air frais sur son visage, comme un éclair passa.
Il vit, pétrifié, le plafond de la cellule qui s’élevait et le ciel bleu.
- Entre tes mains, je remets mon esprit, Seigneur ! dit alors le staretz et il mourut aussitôt.
Dimitri s’enfuit.
Quand ils revinrent tous dans la cellule, tout était comme avant.
De toute la région, les fidèles vinrent pour un dernier adieu. Des grappes de cierges brûlaient près de son cercueil. Son ensevelissement fut calme et paisible. Il y eut de la tristesse mais peu de larmes.
Les miracles continuèrent sur sa tombe, innombrables, comme lorsqu’il était en vie. Sa renommée franchit les frontières. Il apparut à un médecin grec de Jérusalem qui souffrait de la goutte et devait se déplacer en fauteuil roulant et, se présentant à lui, lui dit qu’il serait guéri s’il faisait le pèlerinage à Kiev, sur sa tombe. Le rêve se répéta deux fois encore. Ayant décidé de faire ce que le bienheureux Théophile avait dit, il put déjà se déplacer avec des béquilles. Après son pèlerinage, il était complètement guéri.
Une pieuse intercession populaire est attribuée au saint : on demande sa prière pour retrouver les objets perdus. Et on les retrouve !
Le saint staretz a été glorifié par le Patriarcat de Moscou et par l’Eglise Russe Hors-Frontières.
Il intercède à présent plus que jamais pour que tous les fidèles retrouvent le chemin royal du Christ afin de gagner son Royaume.
Saint & Bienheureux Père Théophile, prie Dieu pour nous!
Version française Claude Lopez-Ginisty
d’après la version anglaise de sa vie publiée par Holy Trinity Monastery.
Jordanville. N.Y.
USA
Texte français publié en 2002
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