Une des grandes joies d'être iconographe est de rencontrer les saints merveilleux que je n'aurais très probablement pas rencontrés, si je n'avais pas été chargé de peindre leurs icônes.
Un tel saint est Ronan, dont je viens de terminer l'icône. Il était le fils de saint Berach (disciple de saint Kevin), et était un évêque irlandais renommé au sixième siècle.
Pour se rapprocher de Dieu, il choisit un exil volontaire sur une terre lointaine pour vivre comme ermite, comme son contemporain saint Brendan le Navigateur.
Il aborda dans ce qui est aujourd'hui la Bretagne, la France et vécut la vie ascétique d'un ermite. Une communauté a grandi autour de son ermitage, connu aujourd'hui comme Locronan, c'est à dire, "le lieu de Ronan."
Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après
LA VIE DE SAINT RONAN.
(Version plus longue publiée dans le livre d'Albert le Grand : La vie des saints de la Bretagne armorique en 1901 )
Anachorete, Confesseur, lfête le 1/14 juin)
Saint RONAN estoit Hybernois de nation, de Parens de mediocre fortune
& Idolatres, lesquels, soigneux de son avancement, l’envoyèrent aux
écolles, où il profita si bien, qu’il devint, en peu de temps, fort
docte és sciences prophanes mais Dieu, luy ayant fait connoistre la
superstition du Paganisme,
luy fit naistre dans l’Ame un ardent désir de chercher la vraye
Religion. À cette fin, il passa en l’Isle de la Grande Bretagne, où,
ayant conversé parmy les Chrétiens & s’estant enquis de leur
Religion, il reconneut que c’estoit l’unique, laquelle conduisoit au
salut éternel, & se résolut de l’embrasser, se fit Cathcchiser &
receut le S. Baptesme, &, depuis, s’adonna du tout à l’Oraison
& lectures des Saintes Escritures, lesquelles, pour la pluspart, il
aprit par cœur. Ayant fait penitence de ses péchez passez, il résolut de
se faire d’Église ; &, ayant receu, en leur temps, les Ordres
Mineures, de Sous-Diacre & Diacre, il mérita, par sa vertu &
bonne vie, de parvenir au Sacerdoce.
II. Mais, considerant ce que dit Nostre Seigneur que a quiconque ne
renonce à tout ce qu’il posséde ne peut estre son Disciple, » il suivit
ce conseil Evangelique, quittant tout, pour l’amour de celuy qui luy
avoit tout donné, monta sur mer & aborda heureusement à la coste de
Léon, en la Bretagne Armorique, où, ayant trouvé un lieu désert &
inhabité, il s’y arresta & bastit un petit Hermitage, résolut d’y
passer ses jours en Penitence, Jeusnes & Oraisons. Il pensoit estre
en ce lieu si bien caché, que personne ne le connoistroit que Dieu, seul
témoin de sa Sainteté, mais il en arriva tout autrement. Car quelques
pauvres malades estans, de cas fortuit, ou plûtost par speciale
providence de Dieu, venus à son Hermitage chercher l’aumône, le Saint,
pauvre volontaire pour Jésus- Christ,
ne leur donna ny or ny argent, mais bien ce qu’il avoit & qu’il
pouvoit donner, à sçavoir la santé, qui leur fut beaucoup plus chere que
tout l’or du monde. Ces pauvres gens le remercierent, &, allans,
sains & dispos, mandier l’aumône par les villages circonvoisins,
publierent par tout que saint Ronan les avoit gueris par sa priere ;
cela fut cause que, de tout le Leonnois, on accouroit vers luy, les uns
pour luy presenter des Paralytiques, Sourds, Muets, Aveugles &
autres malades, mais particulierement des possedez ; les autres pour
consulter avec luy des affaires de leur conscience ; mais ces visites
troublans le repos de sa solitude, il se resolut de quitter ce lieu
& de chercher séjour ailleurs.
III. Il consulta l’Oracle divin en l’Oraison & fut confirmé en sa
sainte resolution, pour laquelle effectuer, il se mit en chemin à
travers ce pays à luy inconnû ; mais un Ange luy servit de guide. Il
traversa le Leonnois, &, ayant passé le Golfe de Brest, entra en
Cornoüaille, jusques en la forest de Nevet à trois lieües de
Kemper-Corentin, où, s’estant arresté, il jugea le lieu propre à son
dessein & commença à y bastir une petite Cellule, ce qu’il fit en
peu de jours, par l’assistance que luy donna un paysan du voisiné, fort
bon Chrestien & grandement charitable ; lequel, un jour, supplia
saint Ronan de luy dire d’où il estoit & ce qu’il faisoit en ce
pays: « Je suis (dit saint Ronan) Hybernois de nation, qui
volontairement ay quitté mon pays, mes parens, mes biens &
possessions pour l’Amour de Jesus-Christ, & me suis banny de mon
pays, esperant pouvoir mieux luy servir, estant détaché de toutes ces
choses. » Son hoste, ayant entendu cela, luy resta plus affectionné
qu’auparavant & luy promit de l’assister en tout ce qu’il pourroit.
IV. Saint Ronan, ayant pris congé de son hoste, se retira dans la
forest de Nevet, vaquant à prieres, jeusnes & penitence, son
charitable hoste luy fournissant soigneusement ses necessitez ; mais il
n’y fut gueres, que Dieu le manifesta, par le moyen de grands miracles
qu’il faisoit, guerissant les malades qui, de toutes parts, le venoient
trouver ; à l’endroit desquels Dieu faisoit des œuvres merveilleuses par
ses merites. Les yeux chassieux de quelques Chrêtiens débauchez, ne
pouvans supporter l’éclat des vertus dont l’Ame de saint Ronan estoit
ornée, l’accuserent malicieusement & à tort devant le Roy Grallon
(lequel estoit lors à Kemper), le calomniant d’estre Sorcier &
Negromantien, faisant comme les anciens Lycantrophes qui, par magie
& art diabloique, se transformoient en bestes brutes, courroient le
garou & causoient mille maux par le Païs. L’Enfant d’une femme du
voisné estant mort, ils persuaderent à la mere du defunt que le Saint,
par ses sorcelleries, avoit tué son fils & l’amenerent à Kemper, où,
en presence du Roy & de toute la Cour, elle demanda justice de
saint Ronan.
V. Le saint Hermite, d’un costé, asseuré du fidelle temoignage que
luy rendoit sa conscience ; d’ailleurs aussi, bien aise d’endurer
quelque chose pour l’amour de Jesus-Christ, se resolut à la patience,
&, ayant esté cité à comparoir devant le Roy à Kemper, s’y en alla,
en compagnie des Satellites, Sergens & autres Ministres de Justice
qui l’estoient venus prendre comme criminel. Estant arrivé à Kemper, il
fut mis en prison ; &, le lendemain, le conseil estant assemblé, il
fut mené au Palais, où les crimes dont il estoit accusé, recitez, il se
purgea de tous, l’un aprés l’autre, rendant raison de sa vie & de
toutes ses actions, se déchargeant de ces calomnies, lesquelles il
dissipa, comme le Soleil feroit quelques nuages & broüillards ;
&, pour confirmation de son innocence, & fermer la bouche à
cette femme dont l’enfant estoit mort, laquelle ne cessoit de crier
aprés luy, il fist apporter le corps mort de l’enfant, &, en
presence du Roy, de son Conseil & de toute sa Cour fit sa priere ;
laquelle finie, prenant la main de l’enfant, il luy
commanda, au nom de Jesus-Christ, duquel il estoit serviteur, de se
lever ; à laquelle voix le mort obeïssant se leva sur pieds & fut
rendu à sa mere, laquelle se jetta aux pieds du Saint, luy demanda
pardon de la calomnie qu’elle avoit forgée contre luy, découvrant la
malice de ceux qui l’avoient persuadée de l’accuser ; lesquels, s’estant
évadez de bonne heure, échapperent la juste punition que le Roy
s’estoit resolu de leur faire sentir ; l’enfant aussi, declarant la
cause de sa mort ne proceder, en façon quelconque de saint Ronan, le
déchargea entierement, au grand contentement des gens de bien, confusion
& honte de ses envieux.
VI. Le Roy Grallon, ayant veu ce miracle fait en sa presence, honora
fort saint Ronan, comme aussi tous les Seigneurs de sa Cour & le
peuple ; duquel s’estant, à grande peine, dépestré, il s’en retourna en
son Hermitage, où il estoit si souvent visité par les Kemperrois &
autres Habitans de Cornoüaille, que, dans peu de temps, le grand chemin
fut ouvert de Kemper-Corentin à son Hermitage. Le Roy mesme, Prince fort
Religieux, alloit souvent en propre personne le visiter en son
Oratoire, &, ayant receu sa benediction, s’en retournoit fort
édifié. Le bon Homme qui l’avoit receu, dés son arrivée, & accomodé
de ses necessitez en son Hermitage, ravy des œuvres merveilleuses qu’il
faisoit, ne se pouvoit separer de luy ; mais, collé à ses pieds, estoit
attentif aux Predications qu’il faisoit au Peuple qui le venoit visiter.
Cette maniere de vie ne plaisant pas à sa Femme, elle le tançoit
rudement de ce qu’il estoit si faineant, sans se soucier du mesnage ;
&, s’en prenant au Saint, fut si effrontée que de l’attaquer &
luy dire que c’estoit luy qui avoit charmé son mary & l’avoit rendu
si fâcheux. Le Saint patienta les paroles indiscretes de cette insolente
femme, taschant de l’adoucir par belles paroles, mais en vain. Un jour,
lisant un livre, à la porte de sa Cellule, il apperceut un loup qui
entroit dans la forest, portant une brebis en sa gueule ; saint Ronan
l’appella & luy commanda de rendre la brebis, ce qu’il fit à
l’instant, la mettant en ses pieds, & le Saint la rendit à son
maistre ; mesme miracle fit-il à plusieurs autres fois.
VII. Ayant vescu un long-temps en grande Sainteté, en ce sien
Hermitage, chargé d’ans & de merites, il changea cette vie mortelle à
l’immortelle & fut ensevely en son Hermitage. Depuis, par laps de
temps, s’est basty le Bourg, qui, de son nom, s’appelle
Loc-Ronan-Coat-Nevent, à la croupe de la Montagne de saint Ronan, où nos
anciens Princes Bretons ont reveré & honoré sa memoire par la
structure & dotation d’une belle Chappelle, frequentée par les
Pelerins de tous les Cantons de Bretagne, qui y viennent reverer ses
saintes Reliques ; partie desquelles y sont richement enchassées, le
reste estant gardé en l’Eglise Cathedrale de Cornoüaille. L’Hermitage de
saint Ronan a esté, un long-temps, habitué par plusieurs personnages
signalez en Sainteté, lesquels y ont passé leur vie en solitude,
entre-autres Robert, lequel, l’an 1102, fut sacré Evesque de
Cornoüaille, aprés la mort de Budik III du nom. De sept ans en sept ans,
se fait la Procession qu’ils appellent de saint Ronan, le jour de sa
Feste, en laquelle on porte ses Reliques sur un branquart à bras,
richement paré, tout à l’entour de sa montagne ; à laquelle Procession
se trouve, d’ordinaire, une grande affluence de peuple de tout le pays
circonvoisin. Il y a plusieurs Chapelles en Bretagne dediées à ce saint,
entr’autres de Loc-Ronan-ar-fancq en Leon, où il y a une Barre Royalle
& dont la Paroisse est dediée à saint Ronan, qu’ils nomment Renan.