La Musique Orthodoxe Russe est dérivée de la musique Byzantine avec laquelle elle partage un même système tonal ( les 8 tons).
Aux temps apostoliques, ces huit tons étaient utilisés par tous les musiciens du Moyen-Orient. On pense que ces tons ou modes étaient issus de la musique Pythagoricienne qui avait elle aussi huit tons.
Le symbolisme du huit pour les Pères de l'Eglise est obvie: il s'agit du chiffre de la perfection, le huitième jour étant dans l'histoire du salut, celui de la Résurrection du Christ, le premier et le dernier jour, le symbole de l'éternité...
Lorsque cette musique est perçue par une oreille occidentale, la première chose remarquée,est l'absence totale d'instruments de musique. La Tradition Orthodoxe interdit en effet l'emploi d'instruments d'accompagnement, car, selon les Pères, un tel usage serait contraire au caractère pur et solennel de la religion du Christ.
Saint Jean Chrysostome, tout en reconnaissant que l'Eglise de L'Ancienne Alliance employait des instruments de musique pour louer Dieu, enseignait que depuis l'incarnation du Christ, le corps devait seul servir d'instrument pour la louange. De fait, ni les Apôtres ni les Pères de l'Eglise n'utilisèrent d'instruments autres que la voix pour louer Dieu.
La musique orthodoxe est donc purement vocale, et l'art de la psalmodie comprend non seulement le chant mais aussi la récitation ou la lecture en Eglise des textes sacrés.
La voix humaine est en effet utilisée d'une manière différente dans l'Arche de l'Eglise. La manière de parler de tous les jours, l'intonation de la voix utilisée dans les affaires profanes, fait place à une voix transfigurée par le ton, la manière de lire ou de réciter et par le chant. La voix est alors l'instrument par lequel l'homme exprime la louange de l'Eglise envers son Créateur.
Le chant et la psalmodie, sont une discipline qui nécessitent d'abord des qualités spirituelles plutôt que des qualités techniques et du savoir musical.
Un bon chanteur profane ne devient pas automatiquement un bon chantre d'Eglise.
C'est, selon les Pères, une lourde tâche que de chanter: l'acte de psalmodie vise en effet à purifier à la fois celui qui chante et ses auditeurs, il tend à créer un lien spirituel entre le monde profane et le monde spirituel. A l'origine, les chantres étaient tous ordonnés, ceux qui n'étaient pas ordonnés, se contentaient de chanter le "Kyrie eleison" pendant l’office divin.
Les Pères ont insisté sur l'importance de la purification intérieure, sur la lutte contre les passions et les émotions lors du chant.
La sobriété est nécessaire. Ni pathos ni penthos ne doivent se glisser dans le chant. Le chantre doit devenir, toujours selon les Pères, un instrument véhiculant la grâce de Dieu, l'amour du prochain et l'Amour de Dieu.
Ceux qui ne chantent pas, participent à l'office en écoutant et les deux rôles sont importants.
La Liturgie Orthodoxe, par son symbolisme mais aussi par son chant accomplit le miracle qui consiste à faire descendre le Ciel sur la terre. On peut comprendre que le Saint Prince Wladimir, cherchant une religion pour son peuple, décida de choisir la religion orthodoxe après que ses envoyés lui eussent fait part de leur émerveillement: à Byzance, pendant la Liturgie: ils ne savaient plus - dit la Tradition- s'ils étaient au ciel ou sur la terre!
Ce fut la beauté qui décida le Saint Prince à se convertir à la religion chrétienne orthodoxe. Ses envoyés avaient rejeté les autres religions ou rites car ils n'étaient pas aussi beaux à leurs yeux. L'amour de la beauté, la philocalie, voilà ce qui caractérise l'orthodoxie et son chant.
Le chant doit être , comme l'icône, une fenêtre ouverte sur l'éternité.
La participation à la Divine Liturgie, devient alors participation à la Vie Divine, le Ciel descend sur la terre, comme le Christ, notre Sauveur est venu ici-bas dans notre chair et le peuple de Dieu dans l'Eglise devient contemporain des événements de l'Ancien et du Nouveau Testament: la beauté du chant est un signe sûr de la présence de Dieu dans ce temps immobile de l'Eternité.
Ce n'est pas une beauté sensuelle ou physique, c'est quelque chose de différent qui vient de l'Autre Monde. Il y a symphonie et harmonie des couleurs, des icônes, de l'encens, des vêtements liturgiques symboles de l'Eglise des Cieux, et la musique est par la voix des fidèles, voie qui joint la louange de la terre à celle des Cieux.
Il est profondément ancré dans la conscience orthodoxe que la psalmodie ou le chant d'église ne font qu'imiter les harmonies divines du chant céleste, le chant des anges devant le trône de Dieu. Cela est si vrai que des hymnes de l'Eglise Orthodoxe, ont été, suivant la tradition- transmis à certains compositeurs de l'Eglise par des anges ( l'hymne "Axion Estin ","Il est digne", chant à la Mère de Dieu en particulier).
A l'origine ceux qui composaient pour l'Eglise étaient moines et définissaient le chant comme dialogue avec Dieu.
L'Eglise Russe, dans les premiers siècles de son existence, utilisait la monophonie,comme l'Eglise byzantine grecque. A partir du dix-septième siècle, elle commença hélas à utiliser la polyphonie, la monophonie restant confinée aux monastères avant de disparaître progressivement en Russie. ( Sauf chez les Starovyères où elle reste la norme jusqu’à nos jours).
Progressivement, imitant la pratique occidentale, des compositeurs non ecclésiastiques se mirent à écrire pour l'Eglise et leurs oeuvres furent adoptées par l'Eglise Russe enlevant souvent à son chant la sobriété qui sied à l'office divin. Il y eut alors deux sortes de musique ecclésiale, celle des paroisses, qui pouvait être simple ou très ampoulée et celle des monastères, plus sobre et plus proche par là des origines et de la Tradition.
Celle-ci, si elle a abandonné la monophonie originelle, a gardé le système traditionnel des huit tons. Ces tons sont utilisés tout au long de l'année liturgique qui commence en Septembre avec le ton un. Le ton change tous les dimanches jusqu'à la nouvelle année liturgique .
L'ordre des parties chantées est immuable, rien ne peut y être changé. Il n'y a pas de place pour l'improvisation ou l'innovation dans l'ordo des services liturgiques. Comme chaque office réactualise un événement cosmique, le rend présent et réel dans la célébration, il est obvie que rien ne peut y être changé sans briser l'ordre cosmique.
Un Higoumène de Valamo à qui l'on demandait comment il fallait chanter, répondit qu'il fallait le faire comme lorsque l'on pratiquait la prière de Jésus, c'est à dire en faisant venir sa voix du cœur!
Claude Lopez-Ginisty