6 octobre 1815
Mon très cher petit frère, Alexandre Ivanovitch,
Sois fort dans la Grâce du Christ!
J'ai reçu ta lettre très bienvenue, pleine d'amour fraternel sincère avec délice et je me suis sincèrement réjoui que vous soyez tous en vie et bien, et je remercie Dieu pour ta bonne intention agréable à Dieu de te libérer du fardeau passionné et occasionnant le péché du monde, qui est si lourd pour une âme qui aime le Christ. Car véritablement "le monde entier gît dans le mal" (I Jean 5:19), et son activité n'est orientée vers rien d'autre que la satisfaction de la convoitise de la chair, la convoitise des yeux, et l'orgueil opposé à Dieu (cf. I Jean 2:16). Avec ce motif les dévots du monde à la fois se trompent et trompent les autres avec des promesses flatteuses. Je me réfère à tes concessionnaires qui sont gentils avec toi, car ils sont à la recherche de profit et de pouvoir. Sur leur langue est un miel pur, mais dans leur cœur est le poison de l'avarice maudite, et avec ce motif leur bouche fais couler la douceur et ils chatouillent secrètement les gorges des âmes candides. Mais après, l'exact opposé de la douceur en résulte, et il s'avère que tout ce qui reste est amère tristesse et douleur sourde.
Le monde promet beaucoup de bonnes choses, mais en réalité, non seulement il ne souhaite pas donner quoi que ce soit, mais il veille même à vous priver de tout ce que vous avez. Quiconque examine objectivement la société mondaine viendra à la conclusion inévitable que la plupart de son activité est non seulement en contradiction avec l'Evangile du Christ, mais qu'elle est aussi tout simplement inhumaine. Le Prophète dit: "Car je vois dans la ville la violence et les querelle; elles en font jour et nuit le tour sur les murs; L'iniquité et la malice sont dans son sein; la méchanceté est au milieu d'elle, et la fraude et la tromperie ne quittent point ses places" (Psaume 54: 9-11).
Comme il est difficile pour celui qui aime Dieu et sa sainte loi de se trouver dans une telle société étrangère! Si d'une part on vit dans le monde sans se conformer à elle, on perd nécessairement sa faveur et son amitié et on est méprisé et ridiculisé. D'autre part, si l'on se conforme au monde et que l'on devient son fidèle ami, on devient forcément un adversaire de Dieu, " car un ami de ce monde est l'ennemi de Dieu" (cf. Jacques 4: 4).
Alors, que peut-on faire face à de telles alternatives opposées? On ne peut que choisir l'une ou l'autre. Soit on doit repousser l'amour de Dieu et Sa loi pour des raisons de conformité au monde, ou bien il faut mépriser le monde pour le bien de l'amour de Dieu. Le Christ notre Dieu Lui-même a dit: "Vous ne pouvez servir Dieu et Mammon" (Luc 16:13). C'est pourquoi, comme nous pouvons le voir dans l'histoire, ceux qui ont aimé Dieu avaient différentes façons de choisir une vie à l'étroit et affligée pour eux-mêmes, à l'exemple de la vie du Christ.
Certains, comme les martyrs, se retrouvant dans la société du monde, enduraient toutes sortes d'oppression et de torture et enfin terminaient leur vie par l'effusion de leur sang. D'autres, comme les moines, se détachaient des préoccupations matérielles nuisibles et de leur propre gré mortifiaient tous leurs désirs charnels, passant leur vie dans la pauvreté volontaire, et ainsi ils devinrent agréables à Dieu.
D'autres ont enduré des difficultés par d'autres manières pour l'amour du Christ et ont atteint au repos éternel après avoir parcouru de façon désintéressée leur propre chemin étroit au cours de leur vie. Et si toi aussi, mon cher petit frère, alors que tu te considères toi-même et le monde, tu dois choisir un mode de vie qui est adapté pour toi, mais assure-toi de suivre ton inclination intérieure et le désir de ton esprit. Avec foi suis Jésus-Christ qui t'appelle, si du moins tu as entendu sa voix dans ta conscience et dans ton cœur, tu as pris ta "lampe à tes pieds (cf. "Ta parole est une lampe à mes pieds, Et une lumière sur mon sentier." (Psaume 118: 105), id est la loi de Dieu.
Petit frère, ne crains pas d'être privé de l'honneur du monde et de confort plaisant. Si tu désires être honoré par Dieu et rafraîchi dans le repos éternel, béni, et très doux, tu dois en venir à aimer l'humilité et l'endurance des difficultés pour l'amour de Christ, Qui S'est humilié et a enduré une mort honteuse pour toi. Incline ta nuque sous son joug, "car il est bon de porter le joug du Seigneur dès sa jeunesse" (cf. Lamentations 3:27).
Le Fils de Dieu a dit: "Si quelqu'un me sert, qu'il me suive; et là où je suis, là aussi sera mon serviteur" (Jean 12: 2 6). Et ainsi nous voyons, et où est-Il trouvé après Son incarnation? D'abord, il est regardé comme néant par le monde fier, Il est vilipendé, couvert de crachats, frappé et cloué sur la croix. Mais où est-Il plus tard, où est-Il maintenant? Dans la gloire de Son Père, en la fête du Royaume éternel. Et donc remarque, cher petit frère, que celui qui veut être là où est le Royaume le plus glorieux et ineffable du Christ, il ne peut l'atteindre que par les souffrances, à la fois volontaires et involontaires. "Car ainsi il fallait que le Christ souffrît, et qu'il entrât dans Sa gloire" (cf. Luc 24:26, 46). La même chose nous attend, aussi. "Mon fils, si tu viens servir le Seigneur, ton Dieu, prépare ton âme à la tentation" (cf. Sirach 2: 1), et ainsi de suite.
Pourtant, tout comme il ne faut pas tromper en voyant le confort accessible de ce monde et sa douceur, de même il ne faut pas craindre la détresse et l'affliction pour le bien des commandements du Christ, car l'affliction est brève, mais le reste, la joie et la gloire après sont éternelles. Et pourquoi ne pas appréhender l'avenir ineffable, la béatitude éternelle en supportant la nécessité et la peine ici-bas, quand il est clair que même si quelqu'un ici devait "gagner le monde entier, et perdre son âme" (Matthieu 16:26), il s'éloignerait de cette béatitude éternelle avec le Christ, alors quel bien cela lui ferait-il? Aujourd'hui, il règne et est exalté par tout le monde, mais demain il entend le verdict, "Prenez le serviteur inutile, liez-lui pieds et mains, et jetez-le dans la géhenne de feu" (Matthieu 25:30, 22:13).
Cher petit frère, tandis que tu contemples l'inopportunité de la vie dans le monde et combien elle est incompatible avec ta bonne conscience, n'hésite pas à mettre de côté tous les soucis, et engage-toi envers la volonté de Dieu. Résous-toi à adopter quelque mode de vie aux principes élevés que Sa providence t'indique. Quand je n'ai pas reçu de réponse de ta part, je me demandais si tu avais reçu ma lettre, mais maintenant je suis heureux que l'aies reçue sans délai. Je te remercie de tout mon cœur à la fois pour ta lettre et pour l'argent -assure-toi de me faire savoir où tu décides d'aller, et quand. Je reçois fidèlement tes lettres par le Père hiérodiacre Smaragde. De tous les startsy, je suis plus proche de lui; donc écris sans doutes. Il est difficile pour moi d'aller chercher les lettres personnellement car la ville est à plus de vingt-cinq miles de distance.
Bien que ma lettre devienne longue, je veux encore ajouter quelque chose sur moi-même pour répondre à ta question sur ma santé. Dieu merci, je suis en bonne santé, et quant à ma vie, la meilleure façon dont je puisse penser pour la décrire est la suivante: elle comme un pèlerinage à Jérusalem, car une vie humaine est précisément un voyage. Et ce voyage est vers la Jérusalem d'En Haut. Car nous n'avons point ici-bas de cité permanente, mais nous cherchons celle qui est à venir" (Hébreux 13:14). Maintenant, imagine un voyage: à quoi ressemble-t-il? Il n'est pas monotone, mais varié. On rencontre des montagnes et des forêts, la faim et le froid, les intempéries et les tempêtes, les afflictions et les maladies, les tempêtes en mer et les attaques de brigands, la misère et la peur. Je ne vais pas énumérer les choses agréables que l'on rencontre également, même au milieu de tous les obstacles; surtout, l'espoir d'atteindre la ville tant attendue est une consolation particulière.
Tu vois, petit frère, à quoi ressemble un voyage. Il en va de même, non seulement sur le plan physique, mais aussi dans la vie spirituelle. À partir du printemps, j'ai pris soin du jardin, j'ai creusé, semé et planté. En été, je me suis construit une nouvelle petite cellule solitaire; maintenant je plante aussi tout autour. Au cours de l'hiver à venir, si le Seigneur m'en donne l'énergie et la santé, j'espère me reposer de tout cela, ou plutôt entreprendre des travaux plus spirituels. Je peux honnêtement dire, cependant, que je ne regrette pas mon mode de vie actuel ou désirer la vie dans le monde. Je ne peux pas assez remercier le Seigneur Dieu pour Sa grande miséricorde pour moi de m'avoir fait sortir de l'esclavage de l'Égypte et de me faire habiter dans cet ermitage, où je te souhaite le meilleur et reste ton frère dévoué,
Le pécheur T., moine.
Je m'incline très profondément devant vous tous.
Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après