M. Dimitrios Tselengidis, professeur à
la Faculté de théologie à l’Université Aristote de Thessalonique, a
envoyé ses premières observations théologiques aux hiérarques orthodoxes
de plusieurs Églises orthodoxes locales (dont celles de Grèce, Russie,
Serbie, Géorgie, Bulgarie, Alexandrie et Antioche) concernant le texte
« Relations de l’Église orthodoxe avec le reste du monde chrétien »*. Nous reproduisons ci-dessous lesdites observations.
« Ce texte manifeste de façon récurrente l’inconséquence et la
contradiction théologique. Ainsi, il proclame dans son article premier
la conscience de soi qui est celle de l’Église orthodoxe, considérant
celle-ci – et ce très justement – comme « L’Église une, sainte,
catholique et apostolique ». Or, dans l’article 6, il y a contradiction
avec la formulation de l’article premier susmentionné. Il mentionne en
effet, de façon caractéristique, que « l’Église orthodoxe reconnaît
l’existence historique d’autres églises et confessions chrétiennes ne se
trouvant pas en communion avec elle ». C’est ici qu’une question fort à
propos se pose : si l’Église est « Une », conformément à notre Credo et
à la conscience de soi de l’Église orthodoxe (article I), comment
peut-il être fait mention d’autres Églises chrétiennes ? Il est clair
que ces autres Églises sont hétérodoxes. Les « Églises » hétérodoxes, au
demeurant, ne peuvent nullement être appelées « Églises » par les
Orthodoxes. En considérant les choses dans une perspective dogmatique,
il n’est pas possible de parler d’une multiplicité « d’Églises » avec
des dogmes différents et ce dans un grand nombre de thèmes théologiques.
En conséquence, tant que ces « Églises » restent inflexibles dans les
erreurs de leur foi, il n’est pas juste théologiquement de leur accorder
une ecclésialité – et ce institutionnellement – hors de « l’Église une,
sainte, catholique et apostolique ». Dans le même article (6), il y a
une autre contradiction théologique sérieuse. Au commencement de
l’article, il est dit ce qui suit : « D’après la nature ontologique de
l’Église, son unité ne peut pas être compromise ». Or, à a fin du même
article, il est écrit que, par sa participation dans le mouvement
œcuménique, l’Église orthodoxe « a pour objectif d’aplanir la voie
menant à l’unité ». Ici se pose la question : Étant donné que l’unité de
l’Église est un fait reconnu, quel type d’unité des Églises est
recherché dans le contexte du mouvement œcuménique ? Cela signifie-t-il,
peut-être, le retour des chrétiens occidentaux à l’Église UNE et
unique ? Une telle signification, cependant, ne transparaît ni dans la
lettre, ni dans l’esprit du texte entier. Au contraire, en réalité,
l’impression est donnée qu’il existe une division établie dans l’Église
et que les perspectives des dialogues ont pour but l’unité déchirée de
l’Église.
La confusion théologique est également
causée par l’ambiguïté de l’article 20 qui dispose : « Les perspectives
des Dialogues Théologiques de l’Église orthodoxe avec les autres Églises
et Confessions chrétiennes sont toujours déterminées sur la base des
critères canoniques de la tradition ecclésiastique déjà constituée
(canon des Conciles œcuméniques : 7 du IIème et 95 du Quinisexte) ».
Mais le 7ème canon du IIème Concile œcuménique et le 95ème canon du
Concile Quinisexte concernent la reconnaissance du baptême d’hérétiques
qui avaient manifesté leur intérêt à se réunir à l’Église orthodoxe. Or,
il ressort de la lettre et de l’esprit du texte préconciliaire,
considéré dans une perspective théologique, qu’il n’y est absolument pas
question du retour des hétérodoxes à l’Église orthodoxe, la seule
Église. Au contraire, dans le texte, le baptême des hétérodoxes est
considéré comme accepté a priori – et ce sans décision panorthodoxe. En
d’autres termes, le texte endosse « la théologie baptismale ».
Simultanément, le texte ignore délibérément le fait historique que les
hétérodoxes contemporains d’Occident (catholiques-romains et
protestants) n’ont pas un seul, mais une série de dogmes qui diffèrent
de l’Église orthodoxe (à côté du Filioque, de la grâce créée dans les
sacrements, la primauté du pape, le rejet des icônes, le rejet des
décisions des Conciles œcuméniques, etc.). L’article 21 soulève
également des questions appropriées, lorsqu’il mentionne que « L’Église
orthodoxe… évalue positivement les textes théologiques édités par la
commission… [à savoir « Foi et Constitution] pour le rapprochement des
Églises ». Il convient d’observer ici que ces documents [de la
Commission] n’ont jamais été entérinés par les hiérarques des Églises
orthodoxes locales. Enfin, l’article 22 donne l’impression que le futur
Grand et Saint Concile juge à priori de l’infaillibilité de ses
décisions, puisqu’il considère que « la préservation de la foi orthodoxe
pure n’est sauvegardée que par le système conciliaire, qui, depuis
toujours au sein de l’Eglise, constitue le juge désigné et ultime en
matière de foi ».
Dans cet article, le fait historique est ignoré que,
dans l’Église orthodoxe, le critère final est toujours la conscience
dogmatique vigilante du plérôme de l’Église qui, dans le passé, a validé
ou considéré comme « brigandages » des Conciles œcuméniques. Le système
conciliaire en lui-même n’assure pas mécaniquement la justesse de la
foi orthodoxe. Cela se produit seulement lorsque les évêques
conciliaires ont le Saint-Esprit et la Voie Hypostatique – le Christ –
qui agissent en eux et ainsi, comme « syn – odikoi » (i.e. faisant route
ensemble) en actes « suivent les saints Pères ».
Évaluation générale du texte
Par tout ce qui est écrit et ce qui est clairement sous-entendu dans le
texte susmentionné, il est manifeste que ses initiateurs et rédacteurs
entreprennent une légitimation institutionnelle du
syncrétisme-œcuménisme chrétien par la décision d’un Concile
panorthodoxe. Or, cela serait catastrophique pour l’Église orthodoxe.
Pour cette raison, je propose humblement le retrait total du texte.
Pour terminer, une observation théologique sur le texte «Le sacrement du
mariage et ses empêchements ». Il est mentionné dans l’article 5a) :
« Le mariage entre orthodoxes et non orthodoxes ne peut être béni selon
l’acribie canonique (canon 72 du Concile Quinisexte in Trullo).
Toutefois, il peut être célébré par indulgence et amour de l’homme à la
condition que les enfants issus de ce mariage soient baptisés et élevés
dans l’Église Orthodoxe ». Ici, la condition expresse que « les enfants
issus de ce mariage soient baptisés et élevés dans l’Église Orthodoxe »
contredit la protection théologique du mariage comme sacrement de
l’Église orthodoxe et ce parce que la maternité revient – en fonction du
baptême des enfants dans l’Église orthodoxe – à légitimer la
célébration du mariage mixte, laquelle est clairement interdit par un
canon d’un Concile œcuménique (72è canon In Trullo). En d’autres termes,
un concile non-œcuménique, comme l’est le futur Grand et Saint Concile,
relativise explicitement une décision d’un Concile œcuménique. Cela est
inacceptable. Et encore une autre question : si le mariage célébré ne
donne pas d’enfants, est-ce que ce mariage est simplement légitimé par
le fait de l’intention de l’épouse hétérodoxe d’intégrer ses enfants
éventuels dans l’Église orthodoxe ?
Si l’on veut être conséquent théologiquement, l’article 5.1. doit être enlevé.
Dr Dimitrios Tselengidis
NOTE:
* C'est à ce texte que faisait allusion Père Peter Alban Heers, dans le message que nous avons posté hier!