Frère Grégoire [Svarkovski] avait l'allure typique du Fol-en Christ, maigre, émacié, la tête rasée... Il ne regardait jamais les gens et portait une longue chemise calicot et une simple robe de chambre d'hôpital. Il ne possédait rien de plus, et apparemment n'avait besoin de rien de plus. Il n'avait pas de lieu où rester, n'avait pas de travail, et au début, il ne restait pas toujours au monastère. Il vivait selon les règles des "travailleurs indépendants".
Les moines avaient des opinions variées le concernant:certains pensaient que c'était un saint, d'autres qu'il était clairvoyant, d'autres encore qu'il était fou.
Il se tenait devant les quartiers du hiéromoine Aristocle, ou bien près des ruches avec Père Moïse, et ces deux moines le vénéraient et pensaient qu'il était un saint.
Il était généralement assis parterre, devant un seau, et avec une paire de ciseaux, il coupait du papier, des haillons, des lacets etc... Quelquefois, il versait de l'eau sur ce qu'il avait coupé, et arrachait des poils de sa barbe. Il ne riait jamais, ne souriait jamais, parlait rarement et alors en allégorie (en utilisant le dialecte petit russien.*)
Un jour un des moines (devenu plus tard l'archimandrite Seraphim Verbin) travaillait au bureau et devait apporter des textes à Père Aristocle pour qu'il les signe. Quand il récita la prière habituelle à la porte, il n'y eut pas la réponse attendue, Amen! Il la dit une seconde fois, mais le silence continua. Quand il répéta la prière une troisième fois, il entendit la voix enrouée de Père Grégoire qui disait:" ouvrez à l'archimandrite!"
Il entra et trouva celui qui partageait la cellule qui était occupé, et n'avait pas entendu la prière. Frère Grégoire en robe de chambre, était imperturbablement assis devant un seau, et il découpait un vieux journal. Ce n'est que dix ans plus tard que, devenu archimandrite, Père Seraphim fut frappé par cette prophétie. Père Aristocle avait toujours une attitude révérencieuse envers lui, en dépit du fait que sa conduite n'était pas toujours agréable.
Une dame qui vivait près du monastère, raconte la chose suivante... Pendant la Première Guerre mondiale, son époux, qui était officier, fut mobilisé et après un certain temps, elle ne reçut plus de lettres de lui. Elle commença à s'inquiéter et demanda à sa mère d'aller à Glinsk prier la Mère de Dieu, et aller voir le fol-en-Christ Grégoire au cas où il pourrait dire quelque chose...
Quand la mère vint vers lui, il était occupé comme à son habitude, à couper du papier, et il ne lui prêta pas la moindre attention. Elle était sur le point de partir quand soudain il arracha quelques poils de sa barbe, saisit sa jambe et cria. "Aïe! Aïe! Une abeille m'a piqué! Il enroula un haillon autour de sa jambe et resta assis en silence à sa place, sans répondre aux questions de la mère.
Elle fut irritée par son silence et ne prêta aucune attention à son comportement bizarre. Après quelques jours, la dame reçut une lettre disant que son époux avait été légèrement blessé à la jambe. Alors les deux femmes réalisèrent la signification des paroles "une abeille m'a piqué!"
Durant le Grand Carême, on voulait envoyer du pain pascal [Artos?] à l'époux blessé, mais elles ne purent rien faire de la pâte: elle ne levait pas! D'abord elles attribuèrent cela à la pâte, puis elles versèrent dans la superstition: il devait y avoir eu une opération, une amputation, quelque infection ou quelque chose de pire encore.
L'absence de lettres confirmait leurs craintes... Pendant la Semaine Sainte, la mère de la dame alla à Glinsk et contacta le fol-en-Christ Grégoire. A ses requêtes , à ses questions, et à l'histoire de la pâte qui ne levait pas, il dit: " Ce n'est pas la peine!"
A Pâques, il n'y avait toujours pas de message, et la dame commença à craindre d'être devenue veuve. Puis après le service pascal, après le baiser rituel, elle se tourna et vit son époux. Il y avait eu une confusion sur la date de son départ, et il ne pouvait pas écrire pour dire s'il venait ou s'il ne venait pas. Chez elle sa mère se souvint de l'épisode de la pâte, de la prophétie de Grégoire et de son étrange comportement.
Juste avant la Révolution, le 2 mars 1917, Grégoire vint chez la dame, plaça une première petite table sur une deuxième , puis un fauteuil au sommet des deux tables et s'assit sur son "trône". Il tomba au sol et se blessa. Ils se précipitèrent vers lui, et le trouvèrent dans la pile de sièges, sur le tapis taché de sang. Il se tenait là, assis, se coupant les ongles des pieds avec un ciseau. Il saignait des tempes et des doigts.
Ils lui demandèrent: "Que se passe-t-il?" Il répondit " Cela doit en être ainsi!"
Le jour suivant les marchands de journaux des rues criaient: " Edition spéciale! Le Tzar a abdiqué." Tout comme l'archimandrite mégaloschème Iliodore l'avait prédit en 1870, Frère Grégoire le fol-en-Christ répéta la prophétie concernant ce jour de grande tragédie de la monarchie russe.
Frère Grégoire mourut dans une prison locale après l'établissement du régime communiste.
Frère Grégoire, prie Dieu pour nous!
Version française Claude Lopez-Ginisty
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dialecte ukrainien, par opposition au grand-russien (de Russie) ou au blanc-russien ( de Bélarus/(Biélorussie)