8.
Je me souviendrai
toujours du premier cas de clairvoyance que j’ai remarqué chez le père Sébastien.
Il célébrait un office pour les défunts et lisait leurs noms inscrits sur une
liste qu’on lui avait remise. Soudain, il s’arrêta de lire et demanda qui avait
dressé cette liste. Une femme s’approcha.
–Quand est décédé Simon dont il est fait
mention ici ?
--Oh, cela fait
longtemps ! répondit la femme.
--Reprenez votre
liste. Je ne vais pas en faire mémoire. Apportez-moi son certificat de décès.
Comme on me
l’expliqua plus tard, si l’on prie pour une personne vivante comme pour un
défunt, cette personne devient tourmentée.
Batiouchka ne
connaissait pas cette femme qui était de passage, sans quoi elle ne se serait
pas risquée à vouloir le tromper.
J’étais
stupéfaite, non seulement par ce don de clairvoyance, mais également de la
façon dont le père Sébastien faisait mémoire de chaque défunt. Quelle force
possédaient ses prières pour eux !
En 1955 mère
Marie commença à souffrir de sa lèvre supérieure qui se déforma, enfla et
bleuit. Elle alla consulter un chirurgien : il faut opérer très vite, lui
dit-il. Pour ma part, je diagnostiquai un cancer.
Mère Marie alla
trouver le père Sébastien. « L’enflure est déjà grande. Si on opère la
lèvre, elle apparaîtra à un autre endroit. Il ne faut pas opérer. Baise l’icône
de la Sainte Trinité et ton mal guérira ».
Mère Marie se
réjouit. Quant à moi, je pensais qu’il n’y avait aucun espoir de guérison et
que les jours de cette moniale étaient comptés. Peu après, je partis en congé
pour deux mois. À mon retour, je fus étonnée de trouver la mère Marie toujours
aussi alerte et occupée à allumer l’encensoir pour un office des défunts. Sa
lèvre n’était plus enflée. Lorsque je lui demandai comment elle l’avait
soignée, mère Marie m’expliqua qu’elle avait suivi les recommandations du père
Sébastien. L’enflure régressa peu à peu pour disparaître complètement. Gloire à
Dieu !
Le père Sébastien
attribuait un grand pouvoir à la vénération des icônes et aux cierges. Il
invitait parfois chez lui l’un de ses enfants spirituels ou un paroissien et
lui remettait un paquet de cierges en disant : « Prends-les et
allumes-en plus souvent. »
Parfois, c’était
parce qu’une menace planait sur cette personne, souvent on en découvrait la
raison par la suite.
Si le père
Sébastien remarquait qu’une personne ne vénérait pas les icônes, il lui
disait : « Mon ami, quand tu acceptes ou refuses quelque chose, aie
dans ton cœur et dans ton esprit le discernement, qui est la plus grande
vertu ». Je l’ai même entendu dire à une personne : –Mon ami,
beaucoup de choses t’échappent, c’est pourquoi tu te trompes facilement.
Partout les gens prennent leur ignorance pour de la sagesse.
Il me dit un jour
que le starets Nectaire disait que la sagesse, la raison et le discernement
sont donnés par le Saint Esprit et qu’ils mènent à la sainteté. Il ajoutait que
l’on reconnaissait une personne privée du don de discernement à ce qu’elle se
considérait supérieure aux autres.
Le père Sébastien
parlait des icônes avec amour et pieusement. Il répétait : « La fête
du triomphe de l’orthodoxie commémore la défaite et l’anéantissement de
l’hérésie iconoclaste. À travers les icônes, il faut rendre grâces à Dieu.
Elles nous protègent des forces ténébreuses. Il en existe de particulièrement
saintes qui « thésaurisent » l’Esprit Saint. Il en est d’autres
miraculeuses. Les icônes, telles les mains du Christ, nous apportent la Grâce.
Il faut avoir envers elles une attitude de vénération, d’amour et de gratitude
pour Dieu ».
De même il
répétait qu’il fallait accomplir son devoir sans faille. Un jour, après une
pannikhide, je lui fis remarquer qu’il était fatigué, car il venait de célébrer
un très long office. Il prit une prosphore de la table des défunts et me
dit : Voyez cette prosphore : eh bien je me dois de prier pleinement
pour chacun de ces défunts.
Mon cœur se
serrait toujours, au cours de la liturgie, lorsque le père Sébastien sortait de
l’autel, et, devant les portes royales, regardait dans l’église. Il observait
toujours avec attention les personnes qui s’y trouvaient. Son regard pouvait
varier. Il était en temps perçant, pénétrant, tantôt dans le vague, comme s’il
ne voyait personne, tantôt concentré vers un endroit éloigné et il semblait
regarder quelque chose au loin.
Mais quand il
regardait en face une personne, son regard était alors toujours proche et doux.
J’ai fait moi-même l’expérience de ce regard. Un jour, une lourde épreuve
résultant de ma propre faute me fut donnée. Je me rendis à l’église. Le père
Sébastien célébrait les vigiles. Je me suis mise au fond de l’église dans un
coin. Je m’agenouillais et commençai à prier chaudement en versant des larmes.
Soudain poussé à lever la tête, j’ai vu près de moi le père Sébastien dont les
yeux me fixaient. J’ai compris alors qu’il était venu pour apaiser mon esprit.
Mes larmes continuèrent à couler mais de façon différente. À présent je
pleurais d’Amour, alors que le père Sébastien n’était resté près de moi qu’une
petite minute ! Ô saint amour dans le Seigneur. Comme il est facile de lui
confier ses malheurs ! Comme il est vrai que le Christ est parmi Ses
Saints !
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