7.
Ma première
rencontre avec le père Sébastien m’a complètement sidérée. J’étais arrivée à
Karaganda le 31 août 1952, soit huit ans après Batiouchka. J’y étais venue
rendre visite à ma meilleure amie, médecin elle aussi. Karaganda me plut et je
décidai de m’y installer.
À la fin d’octobre,
mon amie tomba gravement malade de malaria, et la fièvre atteignit 40-41°C,
provoquant un profond délire de psychose aigüe. Sa fille appela l’ambulance en
pleine nuit : mon amie fut conduite dans un hôpital psychiâtrique. Quand
nous sommes allées là-bas, à 20 kilomètres de Karaganda, sa fille et moi, elle
était méconnaissable, horrible à voir. Elle nous arrachait des mains la
nourriture que nous avions apportée, elle l’engloutissait puis en reprenait.
Ensuite elle s’est mise à quatre pattes, à tourner autour de nous. Les aides-soignantes
l’ont emmenée dans sa salle. Nous étions sidérées, anéanties. Sa fille
sanglotait, nous étions mortes de fatigue. Nous voyant dans cet état, ma
voisine apprenant ce drame, nous dit : –Ne désespérez pas. Je vous conseille
d’aller dès demain à Mikhaïlovka. Il y a là un prêtre-moine tout à fait
exceptionnel. Nombreux sont ceux qui croient fermement en son aide.
Demandez-lui de prier pour votre amie. Allez-y sans douter et sans crainte.
S’il est d’accord, la malade guérira. Expliquez-lui ce qui se passe. Elle ne
connaissait pas l’adresse, mais, dit-elle, il est connu à Mikhaïlovka, on vous
montrera le chemin.
Dès mon arrivée à
Karaganda, je m’étais rendue les samedis et dimanches à l’église du 2e
puits de mine, j’y avais fait connaissance avec beaucoup de gens, mais personne
ne m’avait parlé de ce prêtre de Mikhaïlovka.
Dès le lendemain,
je me suis rendue à Mikhaïlovka. Les femmes m’ont effectivement montré le
chemin de la rue Basse où il habitait. Mère Agrippine m’a ouvert la porte. Je
lui ai exposé l’objet de ma visite. Elle m’a dit très aimablement : –Oui,
il faut que vous parliez au père Sébastien. Elle m’a indiqué comment se rendre
là où le père Sébastien célébrait un office à la mémoire d’un défunt. « Asseyez-vous
sur le banc près de la maison, et quand vous entendrez chanter, cela voudra
dire que le père va sortir. Il n’aime pas s’arrêter dans la rue, mais vous,
marchez à côté de lui, et dites-lui tout ce qu’il faut lui dire. Tout en
marchant, il vous écoutera. »
Il en fut
exactement ainsi. Il marchait sans rien dire, sans ralentir, mais il écoutait
attentivement mes propos. Lorsque je lui demandai son aide, il s’arrêta, me
regarda avec une expression empreinte de bonté et un regard qui pénétrait dans
l’âme et doucement, il dit : « Elle n’est pas orthodoxe, ni même
croyante ». J’en fus stupéfaite. « Oui, dis-je, elle est luthérienne.
Son père était estonien et sa mère russe. Elle n’est pas contre la foi, mais
elle en est loin. Pourtant elle est bonne et gentille ». Le prêtre avait
repris sa marche rapide. « Les luthériens sont aussi des chrétiens, dit
Batiouchka. Je vais prier pour elle. Allez la voir d’ici deux ou trois jours et
priez vous-même de tout cœur. »
Trois jours plus
tard, en arrivant à l’hôpital, une infirmière nous vit dans la cour et nous dit
en souriant : « J’ai une bonne nouvelle pour vous : hier votre
malade est sortie de crise : elle se repose chez les convalescents.
Mon amie était
redevenue comme avant. Nous étions très heureuses d’un tel changement en
l’espace de deux jours. Dans le train qui nous ramenait à la maison, j’étais
assise dans un coin, je me suis tournée vers la fenêtre et me suis mise à
pleurer. Cher père Sébastien ! Quel miracle !
Le lendemain,
juste après avoir achevé la tournée des malades, je suis sortie de l’hôpital
pour aller remercier Batiouchka.
À la maison, il
était attentionné, accueillant. Il m’a invité à rester pour le repas de midi
avec eux, il était joyeux et m’a posé beaucoup de questions.
Mère Agrippine m’a donné une adresse où je pourrais
dormir après les liturgies nocturnes. Peu après, je suis devenue le médecin
traitant de Batiouchka et sa fille spirituelle. Ma vie a pris alors un tout
autre cours.
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