"Dans la confusion de notre époque quand une centaine de voix contradictoires prétend parler au nom de l'Orthodoxie, il est essentiel de savoir à qui l'on peut faire confiance. Il ne suffit pas de prétendre parler au nom de l'Orthodoxie patristique, il faut être dans la pure tradition des saints Pères ... "
Père Seraphim (Rose) de bienheureuse mémoire

samedi 7 décembre 2013

Sur "Parlons d'Orthodoxie", un bel article sur Père Victor de Washington, que beaucoup d'entre nous connaissent en Suisse!


Le Washington du père Viktor Potapov
Tatiana Veselkina pour Pravoslavie.ru
Traduction Elena Tastevin

Dans Shepherd’s street (rue des Bergers) on entendait beaucoup le russe. En face de la cathédrale russe, la troisième génération de scouts russes jouait au volley. Par moment ils passaient à l’anglais. Sous une tente à côté de la cathédrale un groupe d’enfants plus petits répétait le « Notre Père » en slavon. Je me tenais pas très loin et admirais les mosaïques et les carreaux de la cathédrale éclairée par le soleil de midi.

La Cathédrale Saint-Jean Baptiste à Washington représente appartient au style de Moscou et d’Iaroslavl du XVIIe siècle. Aux Etats-Unis il y en a très peu de semblables aux Etats-Unis. Le monde orthodoxe compte en tout à peine 25 cathédrales Décollation de Saint-Jean Baptiste.

La fondation de la cathédrale est liée à un épisode connu de la vie de l’Eglise Orthodoxe Russe Hors Frontières. En 1949 l’archevêque Jean (Maximovitch) s’est rendu à Washington de l’île reculée de Tubabao afin d’intercéder pour ses ouailles obligées de quitter la Chine communiste et « descendus » sur cette île contre leurs gré. 

Le Washington du père Viktor Potapov
Seul le gouvernement des Philippines avait accepté de recevoir 5 000 russes en leur accordant l’hébergement sur une île inhabitée. Pendant trois ans de vie au milieu de la jungle Mgr Jean prenait soin de ses ouailles, officiait dans une église sous une tente et faisait chaque jour le tour de l’île en priant. Pendant tout ce temps aucun typhon ne s’y est abattu. En 1949 Mgr Jean s’est rendu à Washington pour solliciter les sénateurs de changer le quota d’émigration. Il en résulta un amendement selon lequel 5000 russes ont obtenu le droit de séjour aux Etats-Unis. C’est lors de sa visite à Washington que Mgr Jean a fondé la première cathédrale de l’Eglise Orthodoxe russe Hors-Frontières en mémoire de la Décollation de Saint-Jean Baptiste.

En 1983 le Protopresbytre Viktor Potapov recteur de la cathédrale, est allé en pélerinage avec ses paroissiens dans le monastère Saint-Georges dans le désert de Judée en Terre Sainte où se trouve la tête de Saint-Jean Baptiste. L’higoumène de ce monastère a remis une parcelle des reliques à la paroisse de Washington.

Le père Viktor officie depuis 37 ans. En parallèle de son ministère il travaille à la station de radio « Voice of America » (Voix de l’Amérique). Né en 1948 dans un camp pour personnes déplacées en Allemagne , le père Viktor est issu de la famille d’un officier de l’armée Vlassov qui a été obligé de changer son nom pour Potapov.

« Mon père a été fait prisonnier avec d’autres combattants du général Vlassov. Après la guerre il a été extradé aux autorités soviétiques qui voulaient le fusiller le lendemain de son extradition. Dans la nuit il a fait un rêve où une voix lui disait de s’enfuir. Il s’est évadé du camp de transit. Après 30 jours d’errance dans les forêts il est arrivé dans un camp pour personnes déplacées. Dans ce camp il a fait connaissance avec ma mère dont la famille a été transférée de force en Allemagne pour y travailler. Ils s’y sont mariés. C’est le Protopresbytre Mitrofan Znosko-Borovsky devenu plus tard évêque de l’EORHF qui a célébré le mariage.

« En 1951 nous sommes arrivés à New York. Mon père a appris le métier de construction, chaque année il construisait 3 ou 4 maisons ce qui nous permettait de vivre. D’ailleurs, notre cathédrale Saint-Serge à Cleveland est également construite par mon père ». 

Le Washington du père Viktor Potapov
« J’allais à l’église par contrainte »

« Je grandissais à l’époque de la « guerre froide » et je voulais m’intégrer à la société américaine. Les américains ne comprenaient pas la différence entre russes et soviétiques. Nous avons beau expliquer que les russes étaient les premières victimes du régime communiste mail ils étaient automatiquement perçus comme des communistes. C’était désagréable et je cherchais à intégrer le melting pot américain le plus vite possible.

J’allais à l’église par contrainte, il fallait y accompagner ma grand-mère qui habitait dans un quartier défavorisé. Un jour à l’âge de 14 ans je suis allé à l’église avec elle. Ce jour il n’y avait pratiquement pas de paroissiens. Le père Michel Smirnov officiait et en un instant par la grâce de Dieu j’ai soudain compris que tout ce qui m’entourait avait le sens le plus profond. Depuis ce jour je me suis initié à l’Orthodoxie. Le père Michel m’a invité à servir dans l’autel, il m’a appris le slavon. Adolescent, je bégayais et grâce à la lecture aux offices j’ai réussi à surmonter ce défaut.
Après l’école je suis entré au séminaire Sainte-Trinité où j’étudiais avec Igor Kapral, le futur Mgr Hilarion,. Pendant quelques mois nous avons partagé la même cellule. 

Le Washington du père Viktor Potapov
J’ai rencontré ma future femme dans l’église du Saint-Sépulcre

En été 1970 je suis allé à Jérusalem avec un groupe de paroissiens. Juste avant je me suis rendu au mont Athos, je pensais m’engager dans la voie monacale. A Jérusalem une de mes paroissiennes a voulu me présenter à une jeune fille, Maria Tchertkova de Paris, fille du Protopresbytre Serge Tchertkov, protodiacre de Mgr Jean (Maximovitch) à l’époque où il était archevêque de Bruxelles et d’Europe Occidentale. Maria séjournait en Terre Sainte avec un groupe de jeunes russes de Paris.

J’ai accepté de faire connaissance uniquement par convenance et pour ne pas froisser la paroissienne. 4 jours après notre connaissance Maria est rentrée en France et moi je suis revenu aux Etats-Unis. Nous avons correspondu et en 1971, un an après, nous nous sommes mariés à Cleveland.

Nous avons été mariés par le Protopresbytre Serge Tchertkov et le père Vladimir Rodzianko, futur évêque de l’Eglise Orthodoxe Russe aux Etats-Unis. Ensuite on m’a ordonné diacre et transféré dans la paroisse de la Protection de la Vierge à Nayak, non loin de New York.

A l’école de la paroisse j’enseignais la catéchèse et publiais conjointement avec Elena Slobodskaya et Sofia Koulomzina une revue orthodoxe pour enfants « Trezvon » qui a existé pendant 20 ans ».

A Nayak où j’ai été nommé diacre nous avons eu un enfant qui est mort sept jours après sa naissance. Nous avons vécu une expérience qui nous a beaucoup aidé par la suite ensuite dans notre pastorale.

Comment j’aidais les émigrés. 

Puis j’ai trouvé un poste, car il fallait gagner sa vie aux éditions Bedford. Les éditions existaient grâce aux subventions publiques. Leur vocation consistait à diffuser en russe les livres interdits en URSS comme, par exemple, « 1984 » de Georges Orwell, les œuvres de Soljenitsyne, les écrits du Samizdat. On trouvait des moyens pour faire parvenir tout cela en Union Soviétique. J’ai été embauché pour réaliser des interviews avec de nouveaux émigrés. J’aidais les nouveaux arrivés à s’installe , louais des camions pour transporter leurs bagages et rendais des services aux ménages.

Les interviews faisaient ressortir l’importance de la religion dans la vie des émigrés. Beaucoup écoutaient les émissions religieuses de la BBC avec la participation de Mgr Antoine (Bloom), du père Vladimir (Rodzianko), le futur évêque Basile, de Mgr Jean Shakhovkskoy et du père Alexandre Schmeman. Les gens voulaient avoir la Bible et des livres sur des sujets philosophiques et religieux. Ainsi, j’ai proposé à mes supérieurs d’envoyer des livres religieux en URSS. Ma proposition a été soutenue et j’ai été chargé d’acquérir de tels livres et de les envoyer en URSS. J’achetais des œuvres de Boulgakov, de Franck, de Berdiaev, de Soljenitsyne ainsi que des ouvrages publiés par le monastère de la Sainte-Trinité de Jordanville et, ensuite, je trouvais des marins, des enseignants qui acceptaient volontiers de les introduire en URSS.

Pendant trois ans tous les jours je faisais trois heures de trajet pour travailler. Dans le train je lisais et perfectionnais mon russe. Le travail me passionnait mais suite à la crise la direction m’a licencié. Je ne m’imaginais plus, cependant, ma vie sans la Russie et j’ai envoyé mon cv dans toutes les grandes sociétés qui avaient un lien avec la Russie en leur proposant mes services de traducteur ou de consultant.

Le Washington du père Viktor Potapov
L’aide de Mgr Jean

Je savais que je serais licencié et un soir de 1976 après les vigiles ma femme m’a demandé si je ne regrettais pas d’être prêtre. Je lui ai répondu que lorsque j’officiais devant l’autel cela me donnait de telles forces et une telle joie que j’étais prêt à endurer n’importe quelles difficultés. Dans la nuit j’ai fait un rêve. Et même si d’habitude je ne prête pas attention aux rêves cette fois il m’a touché parce que dans le sommeil j’ai vu Mgr Jean de Shanghai qui m’a posé la même question. J’ai répondu de la même façon et il m’a prédit que j’allais bientôt accomplir une mission importante pour la Russie.

J’ai envoyé mon c.v. à la « Voix de l’Amérique ». On m’a invité à y passer un concours. Je l’ai fait et bientôt Nikita Moravsky, responsable du service soviétique, un de ceux que Mgr Jean avait sauvé de l’île Tubabao m’a donné une réponse favorable. Le métropolite Philarète m’a béni pour déménager et officier dans la paroisse de Washington.

« Au départ je n’étais qu’une voix…»

Au départ j’ai travaillé comme traducteur d’infos. La radio diffusait une émission consacrée à la religion. Elle était alors animée par V. Matline, un laïc. Un jour il a proposé que ce soit plutôt moi, prêtre, qui en devienne l’animateur. Le fait qu’un prêtre produise une émission était sans précédent et au départ on m’a dit de ne pas me présenter, je n’étais qu’une « voix ». J’ai préparé une émission « Le sens et la structure de la liturgie de Noël », pénétrée de l’orthodoxie, pleine de chants et des extraits de l’Evangile. Et un jour la femme d’ Alexandre Soljenitsyne a téléphoné à un de mes supérieurs pour dire que son mari avait beaucoup apprécié les émissions et voulait savoir qui en était l’auteur.

Cela a flatté ma direction et il a été décidé de me présenter en ma qualité de prêtre. Ensuite on m’a donné un temps supplémentaire. Mon émission s’appelait « La religion dans notre vie », elle durait 45 minutes et était reprise 5 fois par semaine. J’ai réussi à organiser la diffusion de la liturgie de la cathédrale Saint-Jean avec l’homélie dominicale. Quotidiennement, après une émission politique je lisais un extrait des Saintes Ecritures. Dans les années 1990 je préparais deux émissions hebdomadaires.

« Le malveillant »

Les autorités soviétiques brouillaient sans vergogne les fréquences de « La voix de l’Amérique ». En 1984, j’ai été envoyé pour la première fois en Russie. Cela faisait 7 ans que je travaillais pour la radio, mon nom était connu et c’est pourquoi on m’a muni d’un passeport diplomatique. La veille de mon arrivée le journal « Troud » a publié un article intitulé «Le Malfaiveillant » dans lequel on prévenait les citoyens d’éviter des rencontres avec moi.

J’ai emporté un poste de radio là-bas et m’étant installé à l’hôtel « Ukraine » j’ai essayé de capter mon émission pour voir comment ça marchait. Je n’ai entendu qu’un bruit épouvantable. Mes amis me consolaient en disant que tout le monde utilisait des antennes adaptées et ajustait les fréquences. Plus tard quand Gorbatchev a déclaré la perestroïka et glasnost, nous avons reçu un grand nombre de lettres de tous les coins de la Russie. Personnellement je recevais beaucoup de lettres et je répondais à certaines d’entre elles en direct. Je garde tous ces lettres pour les chercheurs.

Grâce à la radio j’ai fait connaissance avec des personnes remarquables : Alexandre Soljenitsyne et sa femme, Vladimir Solooukhine, Dimitri Likhatchev, Alexandre Gainsbourg.

Lorsque j’ai commencé à travailler à la radio, Mstislav Rostropovitch a été nommé directeur musical de l’orchestre symphonique des Etats-Unis. Une de mes paroissiennes était son secrétaire personnel et a demandé à ma femme d’être son interprète lors de rencontres avec des compositeurs français. En 17 ans nos familles sont devenues très proches : Mstislav Leopoldovitch est devenu le parrain de notre fille Sonia, nous sommes les parrains de son petit-fils aîné Ivan. Rostropovitch a beaucoup contribué à la construction de notre cathédrale. Avec son épouse Galina Vichnevskaya il a offert 5 cloches à notre cathédrale. Les noms de 7 grands musiciens russes exilés sont gravés sur la plus grande d’entre elles ».

* * *
Le Protopresbytre Viktor Potapov a été le conseiller du président Reagan pour les affaires religieuses en Russie. Il était également directeur du Comité de la défense des chrétiens orthodoxes où il publiait la revue trimestrielle en anglais « Revue Orthodoxe » consacrée à la situation des chrétiens en Europe de l’Est et en URSS. Il conciliait ce travail avec son ministère de prêtre et la reconstruction de la cathédrale devenue l’une des plus belles du littoral Est.

Paroissiens

En 35 ans plusieurs générations se sont succédé dans la cathédrale Saint-Jean Baptiste. Beaucoup de paroissiens sont des chercheurs et des artistes. Il y a beaucoup d’Américains convertis à l’orthodoxie et le samedi on y officie deux vigiles en anglais et en slavon ainsi que deux liturgies le dimanche. 5 prêtres et 4 diacres participent aux offices.

Non loin de la cathédrale se trouve le cimetière où reposent les premiers paroissiens : D. Levitsky, officier du général Vlassov, bienfaiteur de la paroisse. Ivan Sivy, fidèle fervent, K. Boldyrev, militant de l’Union des solidaristes russes (NTS).

« Bien avant les événements de 1991 je disais aux russes qu’un jour mon émission n’existerait plus parce qu’il n’y en aura plus besoin, parce que les Russes doivent faire ce genre d’émission eux-mêmes. J’ai travaillé à la « Voix de l’Amérique » pendant 30 ans et je pense avoir contribué à ce qui s’est passé en 1991. La Voix de l’Amérique n’est plus la même : l’une des radios les plus connues autrefois diffuse aujourd’hui uniquement sur internet. Notre paroisse a grandi et maintenant je n’aurais pas pu concilier le journalisme avec mon ministère. Le travail à la radio m’a apporté des rencontres intéressantes et la joie de la communication avec mes auditeurs en URSS puis en Russie. J’ai accompli ma mission en tant que journaliste et je suis infiniment reconnaissant au Seigneur pour la possibilité de participer à la renaissance religieuse de ma Patrie historique bien-aimée ».

Pravoslave.ru + PHOTOS Вашингтон отца Виктора Потапова

Aucun commentaire: