"Dans la confusion de notre époque quand une centaine de voix contradictoires prétend parler au nom de l'Orthodoxie, il est essentiel de savoir à qui l'on peut faire confiance. Il ne suffit pas de prétendre parler au nom de l'Orthodoxie patristique, il faut être dans la pure tradition des saints Pères ... "
Père Seraphim (Rose) de bienheureuse mémoire

lundi 2 décembre 2013

Jean-Claude LARCHET: Rencension/Grégoire de Nysse, « Contre Eunome », II


Contre Eunome II



Grégoire de Nysse, « Contre Eunome », II. Texte grec de W. Jaeger (GNO I). Introduction, traduction, notes et index par Raymond Winling, Éditions du Cerf, Paris, 2013, 560 p. (Sources chrétiennes n° 551).
Le « Contre Eunome II » de saint Grégoire de Nysse, bien que constituant une partie essentielle de la réfutation de l’« Apologie de l’apologie » d’Eunome à laquelle s’est livré le grand Cappadocien prenant la suite de son frère Basile de Césarée, a été relégué par ses éditeurs anciens à la fin du « Contre Eunome III », en raison de son caractère très technique. C’est à juste titre que dans cette édition il reprend sa vraie place. Ce traité est en effet l’un des plus remarquables jamais écrits, par les écrivains et les philosophes religieux sur la nature du langage, et il retient aujourd’hui encore l’attention des linguistes. Ayant à la base comme but de contrer la doctrine d’Eunome selon laquelle le nom d’ « inengendré » exprimerait l’essence même du Père et les noms seraient révélés, l’évêque de Nysse examine de manière approfondie le rapport du langage aux réalités qu’il exprime (quelles soient naturelles ou divines) et à la raison humaine, et il tente de préciser ce qu’il doit à celles-là et à celle-ci. L’une des questions essentielles abordées ici est : dans quelle mesure peut-on adéquatement parler de Dieu ? C’est notamment dans cette partie du Contre Eunome que saint Grégoire montre, à la suite de saint Basile de Césarée, que Dieu est inconnaissable dans Son essence mais est en revanche connaissable dans Ses énergies. On peut voir ici, comme dans le Contre Eunome de saint Basile, que la distinction de l’essence et des énergies divines, souvent considérée par des théologiens occidentaux comme une innovation de saint Grégoire Palamas, est déjà ici nettement posée avec une argumentation forte. Mais la question est abordée ici aussi de savoir dans quelle mesure les Noms divins, qui correspondent pour la plupart aux énergies divines, expriment adéquatement la réalité auxquelles ils se rapportent. Saint Grégoire de Nysse a une réponse mitigée : nous connaissons bien et nommons bien quelque chose de Dieu, mais notre connaissance et les noms qui l’expriment, tout en étant véridiques, ne sont pas un pur reflet des réalités divines connaissables, mais doivent quelque chose à notre raison et à la capacité créative que Dieu lui a donnée. Comme l’a exprimé de son côté saint Jean Chrysostome en des termes moins techniques, l’apophatisme ne concerne pas seulement l’essence divine, mais porte aussi dans une certaine mesure sur les énergies qui, si elles sont connaissables et exprimables, ne le sont pas pleinement, l’arrière-fond mystérieux de celles-ci correspondant à ce qui les rattache à l’essence. Comme l’avait déjà fait remarquer saint Basile, il est d’autant plus vrai, en ce qui concerne Dieu, que les concepts et les mots restent en deçà de la réalité, que la réalité matérielle elle-même ne peut être pleinement connue ni exprimée.
L’ouvrage suit un plan assez compliqué, non du fait de Grégoire lui-même, mais du fait que sa réfutation épouse les méandres de l’argumentation d’Eunome.
Cette édition est munie d’une riche introduction due à Raymond Winling – professeur émérite à la Faculté de théologie catholique de Strasbourg – à qui l’on doit aussi une traduction claire et précise.
À la suite des remarques que nous avions formulées au sujet du premier volume, le traducteur a renoncé à traduire le mot grec agnnèsia par le néologisme « agénnésie » et le rend maintenant par « être-inengendré ». Il a renoncé aussi à traduire ousia par « ousie » et le rend par « substance », ce qui certes a l’avantage de permettre un passage aisé à  l’adjectif « consubstantiel » ; nous continuons cependant à penser que le mot « essence » est préférable dans la mesure où il évite les connotations scolastiques du mot « substance » qui, au lieu de désigner « ce qu’est » fondamentalement une chose, désigne plutôt sa réalité permanente et subsistante derrière les « accidents » contingents.

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