Les moniales de Diviyévo (de gauche à droite): Moniale du grand schème Marguerite, Nikodima, Susanne et les autres.
21. L'Héritière des moniales de Diviyévo
Lorsque
Mère Susanne était encore en vie, elle et Mère Nikodima vécurent ensemble, mais
l'Ennemi, afin de les dresser l’une contre l’autre, sema les graines de la
discorde entre elles. Matouchka était une cuisinière expérimentée, elle aimait
ce travail et aimait le faire bien, mais Mère Susanne avait un fond plus
spirituel. Elle avait lu des livres spirituels et c’était une grande femme de
prière. Marthe et Marie. Ainsi ont-elles vécu. Un jour, Matouchka a cuit des
tartes, mais elles étaient trop salées. Sans trop y réfléchir, elle les a portées
à la Laure et les as données aux pigeons. Mais Mère Susanne a été offensée de
ne pas avoir eu de tartes. Elle a dit à son père spirituel, le Père Séraphim,
que Nikodima avait cuit des tartes, mais qu’elle n’en avait pas gardé une seule
pour elle, pas même pour y goûter. Père Côme, qui aime plaisanter, est venu et
a annoncé, "Mères Susanne et Nikodima, vous êtes convoquées au tribunal
pour un procès." "Quel procès?" "Père Sérapion ordonne que
vous veniez à cette telle heure, un certain jour. S'il vous plaît, ayez l'amabilité
de venir." Il a fait l'annonce et il est parti. Mère Nikodima ne
comprenait pas de quel procès, il parlait. Mais Mère Susanne a compris que le
jugement serait à propos des tartes.
Ils
sont venus, Matouchka ne sachant pas ce qui se passait. Et qui serait le juge?
Les juges, bien sûr, étaient trois moines du monastère.
Père
Sérapion aussi aimait plaisanter et rire. Matouchka était si gaie,
disaient-ils, qu’elle mourrait un jour de rire. Elle ne riait jamais, mais
était toujours joyeuse. Elle ne voulait pas l’exprimer haut et fort, mais
néanmoins avec tant de ferveur, si joyeusement, d’une manière si enfantine que
nous nous esclaffions tous de rire quand elle nous y entrainait. C’était tout à
fait joyeux et gai, si facile à vivre avec elle.
Les
juges annoncèrent "Nikodima, qu’as-tu fait? Comment as-tu pu faire une
telle chose? Où est ton amour? Tu as fait cuire des tartes au four, et tu n’en
as même pas offert à ta propre sœur de sang. Explique-toi." Elle a dit:
"Pardonnez-moi saints Pères, je suis coupable. Les tartes n’étaient pas
bonnes et j’en ai nourri les pigeons. Je vous demande pardon et je reconnais ma
culpabilité, mais on ne peut plus rien faire à ça maintenant…" "Bon,
d'accord," a déclaré le Père, "nous allons conférer entre nous sur ce
qui devrait être fait avec toi, comment tu devrais être punie. Bien sûr, toi,
Nikodima, tu as commis un grand crime; Oui, c’est comme un... manque d'amour,
Et Mère Susanne a raison (elle était assise l’air très important, comme une
enfant, profondément blessée de ne pas avoir eu de tartes). Ils ont annoncé la sentence:
exiler Mère Nikodima pour son acte au monastère de Pioukhtitsa. Avec tristesse,
elle devait accepter la décision. Mais rien ne pouvait être fait, elle devait
obéir.
Elle
était déjà dans le couloir, la cour était ajournée, et elle se promenait très fâchée,
triste comme on peut l'être. Puis l'un des moines qui avaient participé au
jugement accourut, et elle lui demanda, "Batiouchka, je dois emballer mes
choses. Quand dois-je aller?" Il a mis de l'argent dans sa main et a dit:
" Va vers tes orphelins à Diviyévo. Tu n’as rien à faire à Pioukhtitsa."
Matouchka
fut ravie et elle s’est immédiatement absorbée dans les pensées de Diviyévo. Telles
étaient les épreuves qu’on lui donna, uniquement des plaisanteries, mais tout était
spirituel. Mais ici c'était un miracle. Elle n’alla pas à Diviyévo seule. Un
moine, le Père Antoine, déclara: "Matouchka, je vais à Diviyévo."
Elle a dit: "Je vais avec toi." Elle a même eu de l'argent pour le
voyage.
Ils allèrent donc, et il y avait là, la
bienheureuse Mastridia, un esclave de Dieu à la vie spirituelle élevée. Elle
avait vécu 25 ans dans la prison et l'exil, et elle était clairvoyante. Comme
disent ceux qui l'ont connue quand elle était vivante, c’était une merveilleuse
praticienne de la prière de Jésus. Parfois, les gens venaient à elle et elle disait
tout simplement: "Comment ? Comment ? Comment ?"
Personne ne pouvait comprendre, comment quoi? Il s'avère qu'elle parlait de la
façon de prier la prière de Jésus. "Comment?” et elle répondait tout de
suite, "Ah! Vous ne savez pas quoi que ce soit. Seigneur, Jésus-Christ, aie
pitié de moi pécheur." C’était une folle-en-Christ, même quand elle
était dans le monastère, nous a dit Matouchka. Puis elle a disparu.
Elle fut en prison et en exil pendant vingt-cinq
ans. Eh bien, quand Mère Nikodima est allée à Diviyévo avec le Père Antoine, cette
bienheureuse folle-en-Christ, Mère Mastridia, a couru comme une flèche sur le
porche et a crié si fort que tout le village pouvait entendre: "Ma mère
vient! Ma mère vient!" Mais ils ne comprenaient pas de quelle mère elle parlait.
Qu’avait-elle dans la tête, qu’était donc ce comportement stupide?
Alors Père Antoine et Mère Nikodima sont apparus.
Père Antoine a dit: "Je suis venu pour toutes vous tonsurer."
Elles ont toutes accepté avec empressement, avec
Mastridia devant pour donner l'exemple, c’était une folle-en-Christ, de sorte
que la tonsure n'était pas nécessaire pour elle, mais pour… donner l'exemple,
pour montrer que c'était la volonté de Dieu, elle a accepté. Avec des larmes
dans les yeux, mais avec empressement, toutes ont accepté de recevoir la
tonsure, toutes ces sœurs qui étaient encore en vie, vivant dans différents
villages autour de Diviyévo.
C’était là le miracle. Là, Tanya [diminutif de
Tatiana], était une moniale rassophore. Elle ne savait rien à ce sujet, elle
avait marché depuis quelque village lointain juste avant la tonsure. Saint
Séraphim avait réuni tous ensemble, tous ces petits oiseaux. Donc Matouchka
était là pour elles et les couvrait toutes, comme le raconta Mère Marguerite:
"Elle nous a toutes couvertes,
nous petits poussins avec sa mantia, et nous avons pleuré et
pleuré."
Mais Matouchka pleurait surtout, tout d'abord
parce qu'elle se considérait comme la plus indigne de toutes, et d'autre part
parce que c'était une grande responsabilité, et elle était profondément inquiète.
En voyant cette angoisse, Mastridia lui dit: "Mère, n'aie pas peur, je
vais prier pour te sortir [de l'enfer]." Ainsi Mastridia, qu’elle avait
tonsurée, est devenue sa première fille spirituelle. Peut-être qu'elle n'a pas
été tonsurée en premier, mais selon sa spiritualité, Matouchka considéra toujours
Matridia comme la première, et la plus précieuse. Matouchka a toujours prié
pour elles. Il n'y avait pas beaucoup de ces vieilles moniales qui étaient
encore en vie, peut-être dix ou onze. Elle a toujours prié pour elles avec des
larmes. Elles avaient beaucoup de respect pour elle, et il y avait un tel amour
entre elles, un tel respect. Elles ont estimé qu'elle était leur mère et elles
lui obéissaient aveuglément. Elles n'étaient pas dans l'obéissance aux prêtres,
mais quand Matouchka parlait, aucun Père n’existait pour elles, elles n’agissaient
que comme l'avait dit Mère Nikodima.
Elle a toujours prié pour elles avec des larmes
et elle disait seulement: "Je ne serai pas en mesure de prier pour elles pour
qu’elles sortent [de l’enfer], Je ne serai pas en mesure de prier pour elles
pour qu’elles sortent [de l’enfer]!" Mais Mastridia disait: " Je ne
vais pas mourir. Elle [Matouchka] me sortira [de l’enfer]."
Durant ses derniers jours, elle pleurait tout le
temps. Elle avait un grand don des larmes et elle criait qu'elle se mourait, que
son âme se mourait.
Bien sûr, tout cela n’était qu’humilité de sa
part. Elle n'avait qu'une seule consolation: "Mastridia, Mastridia m'a
promis qu'elle me sortirait [de l'enfer] par ses prières et j'ai mis mon espoir
en elle, elle me sortira [de l'enfer] par ses prières."
Voici toutes les moniales que j'ai pu rencontrer
quand elles étaient vivantes: Mère Séraphima l'iconographe, Mère Alexandra d’Arzamas,
qui a vécu avec la bienheureuse Mastridia, et la bienheureuse Annouchka. Je
n'ai pas rencontré Agathe [Agafia]. Dominique [Domnica], les deux Dominique :
Matouchka en accepta une, l'autre n'était pas sa fille spirituelle, mais elle était
de Diviyévo et elle est venue nous voir, elle avait aussi une vie spirituelle
élevée et elle conservait le Psautier de saint Séraphim. Je n'ai jamais
rencontré Eusébie [Eusebia].
Toutes étaient les élues de Dieu, toutes comme ne
faisant qu’une seule, et elles avaient toutes les dons particuliers de
simplicité et de sagesse. Elles avaient une foi qui était sans hypocrisie et
sincère, comme celle des enfants. Il y avait, par exemple, Raïssa-Eusébie.
Elle était bienheureuse. Dans son jardin, elle avait
fait une Jérusalem et un Bethléem, et elle y cheminait, vénérant ces lieux
saints. C'était comme saint Séraphim dans son ermitage, [les moniales] l'imitaient
en tout. Mère Nikodima était la plus modeste et la plus méthodique, la plus
sage et celle qui avait le plus de contrôle sur elle-même, et, je dois dire que
c’était très instructif. Peut-être que c'est la raison pour laquelle le
Seigneur l’avait désignée comme staritza pour elles toutes.
Elles étaient toutes comme des enfants avec elle.
Mère Anne l’aimait beaucoup, et disait: "J’aimerais que Nikodima vienne!"
Elle n'avait même jamais donné ses foulards à laver (!), mais elle fut toujours
très affectueuse avec Matouchka, elle l'aimait et lui montrait du respect. La bienheureuse
Anya elle aussi l’aimait beaucoup. Même à notre époque, il y avait de tels
esclaves de Dieu. Nous allions parfois à Diviyévo pour visiter ces orphelins.
Maintenant cet esprit se perd. Elles étaient uniques en esprit et en
simplicité, et elles ont sauvé leurs âmes par une profonde sagesse. Néanmoins, elles
étaient toutes différentes, chacune si inimitable, si particulière que l'on ne
pouvait pas la comparer à une autre, mais en même temps, elles étaient toutes
comme similaires. Il n'y a rien de pareil maintenant, cela existait au temps
jadis. Je ne sais pas si cela sera jamais ressuscité en nous, les nouvelles? Quelle
profondeur de Sagesse en Dieu elles avaient ! Elles étaient vraiment les
vases du Saint-Esprit, et les lampes de la foi sur terre.
Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après
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