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Dans l'esprit occidental, sainte Marie Magdeleine est souvent choisie comme la prostituée pénitente, femme de mauvaise réputation rachetée par la miséricorde du Christ... ou pire. C'est une histoire fascinante, dégoulinante du drame du péché et du salut. Mais ce n'est pas la vérité.
Commençons par les Évangiles, le fondement de la vérité chrétienne. Marie-Madeleine apparaît dans les quatre évangiles, surtout dans saint Jean, où elle est la première à rencontrer le Christ ressuscité (Jean 20:11-18). Elle est décrite comme une adepte dévouée, l'une des femmes qui ont soutenu le ministère de Jésus (Luc 8:1–3). Luc nous dit qu'elle a été délivrée de « sept démons » (Luc 8:2). Ce détail parle de l'affliction spirituelle, pas de l'échec moral. En effet, nulle part dans l'Ancien Testament, la possession démoniaque n'est décrite comme une punition ou une conséquence de péchés de luxure - ou de tout autre péché, d'ailleurs.
De même, nulle part dans le Nouveau Testament, elle n'est identifiée comme une prostituée. Cette idée découle d'une habitude latine de confondre Marie-Madeleine avec la « femme pécheresse » sans nom qui oint les pieds de Jésus dans Luc 7:36-50. Cette femme, souvent supposée être une prostituée en raison du contexte culturel de sa réputation « pécheresse », n'est jamais nommée. Pourtant, au sixième siècle, le pape Saint Grégoire le Grand a concrétisé cette identification dans une homélie, et l'Occident l'a adoptée.
L'Église orthodoxe, cependant, n'a jamais adhéré à ce récit. En Orient, Marie-Madeleine est vénérée comme une sainte de dévotion irréprochable, l'« apôtre aux apôtres », qui apporta la bonne nouvelle de la Résurrection aux disciples. Le Synaxaire, collection de vies de saints de l'Église orthodoxe, ne fait aucune mention de prostitution. Au lieu de cela, il met l'accent sur son rôle de myrrhophore : l'une des femmes qui sont allées oindre le corps du Christ au tombeau. Ses hymnes dans la liturgie orthodoxe chantent sa fidélité, son courage et son amour pour le Sauveur. L'idée qu'elle était une femme déchue rachetée par la grâce est absente de la tradition orientale, qui la voit comme un modèle de sainteté, et non comme un exemple édifiant de rachat du péché.
Alors, d'où vient le mythe de la prostituée ? C'est un cas classique d'éiségèse*- lire dans le texte ce qui n'est pas là. L'Église latine, dans son zèle pour élaborer un récit de rédemption, a cousu des fils disparates : la femme pécheresse de Luc 7, Marie de Béthanie (qui oint Jésus dans Jean 12) et Marie-Madeleine. Le résultat fut une figure composite, une prostituée pénitente dont les larmes et le parfum sont devenus des symboles de contrition. C'est une belle histoire, mais la beauté ne la rend pas vraie. En effet, cela impute à cette grande sainte un crime qu'elle n'a jamais commis.
Le fait que l'Église orthodoxe n'ait jamais « développé » cette « tradition » est la preuve en soi que le concept latin est faux. Après tout, comment se fait-il que l'Église de Jérusalem - dont les premiers membres étaient les amis et la famille de Marie-Magdeleine - ait oublié ses péchés, mais qu'ils aient été transmis secrètement à l'Occident, pour ne faire surface au VIe siècle ?
Dieu merci, l'Église orthodoxe a une mémoire longue et claire. Ses membres ont gardé les chiffres distincts, reconnaissant que les Évangiles ne justifient pas une telle confusion. Les Pères orientaux, comme saint Jean Chrysostome, parlent de la dévotion de Marie-Madeleine sans un soupçon d'histoire scandaleuse.
Les « sept démons » mentionnés dans Luc 8:2 sont souvent cités comme preuve d'un passé sordide, mais c'est une interprétation hâtive. Comme nous l'avons dit, dans le monde antique, la possession démoniaque était associée à des maux spirituels ou physiques - pas nécessairement à la dépravation morale. Le chiffre sept, symbole de l'exhaustivité, suggère une profonde affliction, peut-être un tourment mental ou spirituel. Équivaloir cela à la prostitution, c'est imposer une vision moderne à un texte ancien. Les Évangiles sont silencieux sur la nature de ses démons, et le silence exige l'humilité, pas la spéculation.
Cette mauvaise caractérisation est importante parce qu'elle déforme notre compréhension de la sainteté. Marie-Madeleine se tenait à la Croix lorsque les apôtres se sont enfuis (Jean 19:25). Elle s'est attardée au tombeau quand l'espoir semblait perdu (Jean 20:11). Sa rencontre avec le Seigneur ressuscité est l'un des moments les plus intimes des Écritures : « Marie », dit-il, et elle répond : « Rabbouni ! » (Jean 20:16). Ce n'est pas le profil d'un pécheur réformé, mais celui d'une femme entièrement dévouée à son Seigneur, un prototype de disciple chrétien.
Le mythe de la prostituée risque également de réduire Marie-Madeleine à un trope. Elle devient un symbole, un jeu de moralité, plutôt qu'une personne. La tradition orthodoxe préserve son humanité, la décrivant comme une femme de courage et de foi. Cela s'aligne sur l'éthique orthodoxe plus large, qui résiste au sensationnalisme en faveur de la révérence sobre. La fascination de l'Occident pour les histoires de conversion dramatiques - bien que parfois utiles pastoralement - peut masquer le témoignage plus calme, non moins profond, de ceux qui suivent simplement le Christ sans histoire sordide.
Pour être juste, la tradition occidentale a produit un bel art et une dévotion inspirés par la pénitente Madeleine. Pensez aux peintures obsédantes de Caravage ou aux légendes médiévales de sa vie ascétique dans le désert. Mais la beauté doit servir la vérité, pas la supplanter. L'Église orthodoxe, avec son insistance sur la fidélité aux Écritures et à la tradition, offre un correctif nécessaire. Marie-Madeleine n'était pas une prostituée. Elle était une disciple, un témoin, une sainte. Son histoire n'a pas besoin d'embellissement pour inspirer. La vérité est assez puissante telle qu'elle est.
À une époque qui aime le sensationnel, le témoignage orthodoxe sur Marie-Madeleine nous ramène à la vérité simple des Évangiles. C'était une femme qui aimait le Christ, qui portait la myrrhe de la dévotion et qui fut la première à voir le tombeau vide. Honorons-la telle qu'elle est, et non telle que nous l'avons imaginée.
Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après
NOTE:
*L'« éiségèse » (orthographe correcte en français) est l'interprétation d'un texte en y projetant ses propres idées, présupposés ou préjugés, plutôt qu'en extrayant le sens voulu par l'auteur, ce qui est l'exégèse. C'est une lecture subjective, souvent appelée « lecture personnelle »

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