Comme l’indique son titre, ce livre propose un commentaire de la Liturgie eucharistique en suivant pas à pas son texte et son rituel, avec la particularité de les situer dans leur évolution historique. Synthèse des cours que le Père Cyprien Kern donna à l’Institut Saint-Serge – dont il fut de 1936 à 1960, le professeur de théologie liturgique et de théologie pastorale –, publié en russe en 1946, il est sa première œuvre traduite en français.
Cette vaste étude est précédée d’une introduction du traducteur, le Père Marc Andronikof, qui présente la vie du Père Cyprien (1899-1960), sa personnalité et son héritage humain et intellectuel. Au sein de ce dernier, il faut mentionner, en dehors des études liturgiques, des études patristiques, en particulier sur saint Grégoire Palamas dont il fut l’un des redécouvreurs et dont il traduisit en russe les œuvres publiés dans la Patrologie grecque de Migne, étant aussi, à l’Institut Saint-Serge, professeur de langue grecque ancienne.
Le livre comporte deux parties.
La première (pp. 43-212) présente l’origine et l’histoire de la Liturgie. C’est une étude savante, qui ne se contente pas, en ce qui concerne les origines, de présenter l’institution eucharistique lors de la Cène, mais fait des rapprochements avec les rituels hébraïques. L’auteur présente après cela les connaissances fragmentaires que nous avons de ce qu’a pu être la Liturgie aux temps apostoliques (où son lien problématique avec les agapes est étudié), puis aux IIe et IIIe siècles d’après les informations peu nombreuses que nous ont laissées les premiers Pères. La Liturgie est ensuite étudiée dans les formes nombreuses et diverses qu’elle a prises dans les Églises locales. Puis l’étude se concentre sur les formes progressivement dominantes et unifiées, à partir du IVe siècle, que nous connaissons aujourd’hui dans l’Église orthodoxe sous les noms de Liturgie de saint Jean Chrysostome, Liturgie de saint Basile et Liturgie de saint Jacques, lesquelles n’ont cependant pas cessé, sauf pour la partie centrale de l’anaphore, d’être modifiées par la suite (le plus souvent sous la forme d’une augmentation), et cela jusqu’à une époque récente.
La deuxième partie (pp. 213-542), après des remarques liminaires sur les conditions requises pour la célébration (concernant les personnes qui l’accomplissent, le moment, le lieu, les instruments, les livres), est une explication de la Liturgie eucharistique en suivant ses différentes étapes, fournissant la fois des indications pratiques (sur les gestes accomplis par le célébrants) et un commentaire théologique (sur le sens des rites). Cette partie mentionne les évolutions historiques du texte et du rituel, et évoque les discussions auxquelles certaines d’entre elles ont donné lieu, par exemple le rite du zéon ou l’interpolation du tropaire de tierce dans le texte de l’anaphore.
La question de l’épiclèse, sujet majeur de controverse entre orthodoxes et catholiques, fait l’objet d’un très long développement (pp. 370-457). Ici comme sur d’autre sujets, l’auteur fait place aux positions des liturgistes catholiques ou protestants de l’époque et les discute (il faut rappeler que le P. Cyprien Kern fut, avec le P. Nicolas Afanassieff, le fondateur, en 1953, des « Semaines d’études liturgiques de Saint-Serge », qui réunissent périodiquement, jusqu’à aujourd’hui, des liturgistes de toutes les confessions chrétiennes).
Le Père Cyprien insiste sur la dimension sacrificielle de la Liturgie, sous-estimée, selon lui, dans des commentaires orthodoxes.
La présentation de la variété historique des formes liturgiques dans les premiers temps et des modifications subies par la Liturgie au cours des siècles a comme effet pervers de relativiser sa forme actuelle, donnant à penser par exemple, que si tel rite ou telle prière sont apparus tardivement, on peut éventuellement s’en passer, ou si telle pratique existait à l’origine, on peut l’intégrer. L’auteur met en garde contre la tentation de constituer des Liturgies « à la carte », et fait remarquer que si certaines réformes peuvent être justifiées (comme par exemple celle de lire à voix haute les prières dites « secrètes », elles ne sauraient en aucun cas être laissées à l’arbitraire de tel ou tel prêtre, mais doivent résulter d’une décision prise conciliairement par les hautes autorités ecclésiastiques (voir p. 258-264).
Si la première partie du livre du Père Cyprien est plutôt réservée à des spécialistes, et est à certains égards déroutante par la multiplicité des formes liturgiques qu’elle évoque (ce que compliquent encore les références aux rituels hébraïques), la seconde partie, très abordable par son caractère le plus souvent descriptif et explicatif, est d’une grande utilité pour parfaire la formation des prêtres et des fidèles.
Archimandrite Cyprien Kern, L’Eucharistie. Étude historique, théologique et pratique. Traduit du russe par Marc Andronikof, Éditions Apostolia, 2023, 553 p.
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