"Dans la confusion de notre époque quand une centaine de voix contradictoires prétend parler au nom de l'Orthodoxie, il est essentiel de savoir à qui l'on peut faire confiance. Il ne suffit pas de prétendre parler au nom de l'Orthodoxie patristique, il faut être dans la pure tradition des saints Pères ... "
Père Seraphim (Rose) de bienheureuse mémoire

mardi 17 mai 2022

STE MONIQUE : MODÈLE DE PATIENCE FEMININE

 

Fête le 4/17 mai

Car le mari incrédule est sanctifié par la femme (1 Cor. 7:14)

Si le lecteur sait quelque chose sur sainte Monique, c'est que ses supplications déchirantes et persistantes devant Dieu réussirent à ramener son fils à la foi chrétienne après qu'il ait été la proie de philosophies à la mode et de tentations charnelles - un fait dont le bienheureux Augustin atteste avec gratitude et éloquence dans ses confessions

Pour les mères qui s'efforcent d'inculquer la foi chrétienne à leurs enfants, mais qui les voient s'égarer sur une voie spirituellement périlleuse, sainte Monique est un exemple encourageant. Elle est aussi instructive comme modèle de patience féminine, créditée de la conversion très difficile de son mari - un fait moins connu mais qui mérite tout aussi notre attention.

Sainte Monique est née en 332 dans ou près de la ville nord-africaine de Tagaste, à une soixantaine de kms de la ville portuaire d'Hippone [future Bône]. Ses parents étaient des Africains natifs, liés ethniquement aux Berbères actuels et c'étaient de pieux chrétiens.

En plus de l'éducation attentive de ses parents, Monique bénéficia enfant de l'attention vigilante d'une infirmière âgée. Excellente chrétienne et respectée par ses chefs, elle disciplinait ses protégés à bon escient si elle était parfois encline à la "sainte sévérité". Toute la famille était imprégnée d'une atmosphère rare de piété chrétienne, et il n'est pas surprenant que Monique soit devenue une jeune fille sobre et vertueuse avec une habitude de prière bien développée. On se serait attendu à ce qu'elle se consacre entièrement à Dieu dans la vie monastique, ou qu'elle s'unisse à un mari également pieux et vertueux. Au lieu de cela, dès qu'elle atteignit l'âge de se marier, elle fut fiancée à un païen, un homme au tempérament colérique et à la morale dissolue. On se demande comment les parents de Monique avaient pu consentir à un tel mariage pour leur fille, après avoir pris tant de peine pour son éducation chrétienne. Certes, ils étaient certainement conscients de l'injonction de l'apôtre : Ne vous mettez pas sous un joug étranger avec les s avec les incroyants (2 Cor. 6:14). Malheureusement, de nombreux parents ne sont jamais aussi aveugles que lorsqu'ils organisent ou approuvent les mariages de leurs enfants.

Patrice était originaire de Tagaste, et avait deux fois les vingt-deux ans de Monique. Bien qu'il n'y ait pas d'informations précises sur ses antécédents, il est probable qu'il soit issu d'une vieille famille noble, plus importante que celle de Monique. En tout cas, c'est la supposition des anciens biographes du bienheureux Augustin, qui n'ont pu trouver aucune autre explication à une union aussi inégale. En fait, Patrice n'était pas riche. Il est vrai qu'il était administrateur municipal, mais à cette époque, quiconque possédait plus de soixante-dix acres de terre était obligé d'occuper un tel poste. Patrice n'était pas sans qualités généreuses, mais celles-ci étaient en grande partie dormantes et ne  devinrent animées que plus tard, en réponse aux prières inlassables de Monique et à son comportement chrétien exemplaire.

Quoi que Monique ressentit envers son fiancé, elle obéissait à la volonté de ses parents, se consolant à la pensée qu'il y avait là une âme perdue qui lui était confiée, et elle décida de se sacrifier à la tâche de guider cette âme sur le chemin du salut. Néanmoins, elle n'aurait pas pu anticiper exactement ce que ce sacrifice allait impliquer. Dans les jours et semaines qui suivirent le mariage, elle devint de plus en plus et douloureusement consciente de l'abîme qui se trouvait entre elle et son mari. Ses prières l'ennuyaient; il trouvait sa charité excessive ; il ne pouvait pas comprendre son désir de rendre visite aux malades ; il ne pouvait pas comprendre son amour pour les esclaves. À chaque étape de sa marche chrétienne, Monique rencontra d'innombrables obstacles. Son cas était loin d'être unique et il est bien décrit par Tertullien dans son traité À sa femme, dans lequel il parle des difficultés qu'une femme chrétienne endure aux mains d'un mari incrédule :

Quand il est temps d'aller à l'église, le mari emmène sa femme aux bains ; s'il y a des jeûnes à observer, le mari organise un banquet ; si elle souhaite rendre visite aux pauvres, aucun serviteur n'est disponible pour l'accompagner. Et un tel mari lui permettra-t-il d'être absente toute la nuit pour les solennités pascales ? ou lui permettre d'assister à la Cène du Seigneur, qu'il désavoue?

En tant que jeune mariée qui avait passé sa vie dans une atmosphère chrétienne, où le but même de l'existence était centré sur l'Amour de Dieu et du prochain, Monique s'est soudainement retrouvée dans un environnement étranger. Son mari, bien qu'il l'aimait à sa manière, était un étranger, pas une âme sœur ; et sa belle-mère acariâtre, qui vivait avec eux, ne fit que renforcer ses accès de colère avec les siens. Ceux-ci furent motivés par les calomnies des servantes, dont l'animosité envers leur jeune maîtresse intensifia une solitude déjà douloureuse. Encore plus grave était l'infidélité de Patrice, car quelle femme, en particulier une femme élevée, comme Monique l'était, avec des normes élevées de chasteté et de dévotion conjugale, peut-elle tolérer la souillure de son lit conjugal ?

La prière était la force de Monique, et les joies de la maternité servirent à atténuer l'amertume de sa situation. Elle enfanta deux fils et une fille, qu'elle nourrit dans la foi avec une grande diligence et un succès ultime. Enfant, écrit le bienheureux Augustin, « Je croyais déjà, ainsi que ma mère et toute la famille, à l'exception de mon père. Pourtant, il n'a pas prévalu sur la puissance de la piété de ma mère en moi, afin que, comme il n'y croyait pas, je ne crois pas moi non plus. Car elle s'est souciée que Toi, mon Dieu, plutôt que lui, sois mon père » (Confessions 1.11). À la grande tristesse de Monique, Patrice ne voulait pas faire baptiser les enfants. Et quand Augustin commença à montrer des promesses de brillance intellectuelle, Patrice l'envoya pour des études supérieures à Carthage, où le jeune homme tombat peu à peu en proie aux passions de la jeunesse.

Aussi jeune qu'elle fût, Monique porta sa croix avec une courage et une maturité spirituelle remarquables. Elle se rendit compte que les faiblesses et les manquements moraux de son mari découlaient du fait qu'il n'avait pas encore été éclairé par l'Évangile, qu'il lui manquait la Grâce de Dieu. Elle versait des larmes amères en son absence, mais elle savait qu'on ne pouvait pas s'attendre à ce qu'un homme qui n'aimait pas Dieu soit constant dans son affection envers l'une de ses créatures. Avec une ferme espérance, elle pria pour que Dieu Lui-même accorde à son mari la foi et l'amour pour Lui, qui sont les seuls capables d'inspirer à un homme le désir de mener une vie chaste.

Monique savait que les reproches étaient contre-productifs, et elle  apprivoisa le tempérament violent de son mari par sa douceur et son dévouement. D'autres femmes, qui subissaient des coups de leur mari, demandèrent à Monique comment il se faisait que Patrice, qu'elles savaient irascible, ne l'ait pas frappée une seule fois. Monique répondit qu'au lieu de blâmer leurs maris, elles devraient blâmer leurs langues, car « elle avait appris à ne pas résister à un mari en colère, pas seulement en actes, mais même en paroles ». (9,9)

Indépendamment de l'indifférence religieuse de Patrice et de son comportement souvent non chrétien, Monique était très attentive à lui, "à qui elle obéissait d'autant mieux, qu'elle obéissait aussi [Dieu] qui l'a tant commandé" (1.11). Contrainte parfois de le contredire et d'aller à l'encontre de sa volonté dans ce qui concernait la foi, elle lui était d'autant plus douce et soumise dans d'autres domaines. Et bien que supérieure à son mari en termes d'éducation et de qualités morales, elle fit tout son possible pour ne pas révéler son avantage. Elle croyait fermement que si la lumière de l'Évangile se reflétait dans toutes ses actions, Patrice serait finalement persuadé de sa puissance et de sa vérité, et s'y soumettrait plus facilement que si elle tentait de le persuader avec des arguments rationnels. En effet, sa conduite chrétienne agit comme un baume apaisant sur l'âme de Patrice et, sans qu'il s'en rende compte, elle le rapprocha progressivement  de la Foi. Comme l'a écrit saint Jean Chrysostome un demi-siècle plus tard dans son homélie Sur la virginité, la femme croyante « sera en mesure de sauver son mari en mettant l'Évangile en pratique ». C'est précisément ce que sainte Monique fit, conquérant non seulement son époux, mais également sa belle-mère.

Ce fruit de ses prières, de sa longue souffrance et de son application inébranlable des préceptes évangéliques mit beaucoup de temps à mûrir. Ce n'est qu'après seize ans que Patrice fut baptisé. Monique n'apprécia pas non plus longtemps la compagnie de son mari à la Cène du Seigneur, car il mourut un an plus tard, en 371. Néanmoins, son but avait été de sanctifier son mari pour la vie éternelle, et, par la Grâce de Dieu, elle l'avait accompli. Il lui restait à sortir son fils égare de l'illusion des passions et de l'hérésie manichéenne. Cela nécessita quatorze années supplémentaires de prière persistante. Quand enfin son cœur aussi se convertit, sa joie a été complète.

Monique était présente au baptême d'Augustin des mains de saint Ambroise à Milan pour Pâques, en 387, et ils retournaient en Afrique quand ils s'arrêtèrent pour se reposer dans la ville portuaire d'Ostie. Un soir, ils eurent une longue conversation au cours de laquelle elle lui dit : "Fils, pour ma part, je ne prends plus plaisir à quoi que ce soit dans cette vie. Je ne sais plus ce que je fais ici, et dans quel but je suis ici, je ne le sais pas, maintenant que mes espoirs dans ce monde se sont accomplis" (9.10). En effet, elle avait parfaitement accompli son but dans la vie et, après une brève maladie, Dieu la prise afin qu'elle reçoive la récompense qui lui revenait avec les saints dans son Royaume éternel. Elle fut enterrée à Ostie, fait vérifié par l'inscription sur une tablette de pierre qui y fut découverte par des archéologues en 1946.

Pendant des siècles, sainte Monique fut vénérée dans l'Église catholique romaine en tant que sainte patronne de femmes mariées. Il est temps que les femmes orthodoxes se familiarisent de plus près avec cet exemple de vertus féminines, dont les prières doivent être particulièrement invoquées par ceux qui ont des enfants égarés et par les femmes désireuses de sanctifier leurs maris incrédules.


Version française Claude Lopez-Ginisty

d'après

ORTHOCHRISTIAN

Paru à l'origine dans 

Orthodox America 

no. 154, Vol. 17, Non. 6 février 1998


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