Ceux qui connaissent la Liturgie de l'Église orthodoxe savent que le terme « paix » est fréquemment utilisé dans ses services. Les principaux offices orthodoxes contiennent tous la « litanie de paix », qui commence par la supplique : « En paix, prions le Seigneur », puis poursuit : « Pour la paix d'en haut et le salut de nos âmes [...] pour la paix du monde entier, le bon état des saintes Églises de Dieu et l'union de tous, prions le Seigneur ».
Les fidèles orthodoxes sont habitués à des suppliques répétées pour la paix, dans ses dimensions personnelle, sociale et mondiale.
De nombreux chrétiens sont conscients que le concept biblique de paix est enraciné dans le « shalom » hébraïque (« salam » arabe), contient une conception positive de la paix. Cela signifie que la paix n'est pas seulement l'absence de guerre et de conflit, mais qu'elle est un état actif d'harmonie et de bien-être qui s'applique à toutes les relations, et surtout et fondamentalement, à la relation entre Dieu et l'homme.
L'Église de Jésus-Christ, en tant que manifestation historique du Royaume de Dieu, incarne et favorise l'aspiration dynamique à toutes les formes de paix dans le monde.
Suivant les traditions de la Sainte Écriture et l'enseignement des Pères de l'Église, l'Église orthodoxe enseigne que la paix est une condition divinement ordonnée pour l'existence humaine, et que toute forme de conflit et d'agression est une manifestation du péché. La guerre, en tant qu'antithèse de la paix, appartient donc au domaine du péché humain. Ainsi, la guerre en tant qu'activité appartient au royaume de l'existence humaine déchue et ne peut en aucun cas incarner la justice, la rectitude et même la paix qui sont l'essence même de la réconciliation de Dieu et de l'humanité.
Cependant, lorsque l'on examine plus en détail les offices de l'Église orthodoxe, on trouve d'autres demandes instantes qui impliquent la reconnaissance de la guerre en tant qu'activité dans laquelle le peuple de Dieu est activement impliqué. Les forces armées nationales sont régulièrement commémorées, et il est demandé qu'elles bénéficient de la « victoire sur tout ennemi et adversaire ». Des expressions telles que « donne la victoire à ton peuple fidèle sur les barbares » incarnent des réminiscences historiques dans lesquelles un empire chrétien repousse activement les attaques barbares. Suivant le précédent de Constantin le Grand, la croix est considérée comme un puissant symbole par lequel les ennemis de la foi et de l'empire sont vaincus. Même la Vierge Marie est présentée comme intercédant au Ciel et protégeant la communauté chrétienne contre de tels assauts.
Pourtant, en dépit de ces sentiments apparemment favorables à la guerre, le droit canonique orthodoxe prescrit que les soldats qui tuent dans la guerre doivent subir une période pénitentielle de séparation de l'eucharistie, qui est « l'excommunication » dans le langage oriental. La prise de la vie humaine est toujours considérée comme un mal objectif, même lorsqu'elle est faite dans la poursuite d'une « cause juste ». En tant que tel, cela a pour effet de rompre sa communion avec le Christ et exige donc la repentance.
Comment ces accents apparemment opposés peuvent-ils coexister dans la tradition chrétienne orthodoxe ? Peut-être cela peut-il être mieux compris par les applications uniques de "l'acribie" et de l'"économie" dans l'éthique orthodoxe et le droit canonique.
« L'Acribie » représente la stricte application des principes évangéliques incarnés dans le droit canonique. « L'Économie » est une dispense de cette exigence stricte compte tenu de la faiblesse humaine et des circonstances compromettantes de la vie dans un monde déchu. Le divorce en est peut-être un bon exemple. Selon « l'acribie », la norme est un mariage à vie, et le divorce et le remariage constituent un adultère. C'est une parole directe du Seigneur.
Néanmoins, l'Église orthodoxe bénit le remariage des personnes divorcées dans diverses circonstances comme acte de miséricorde, connaissant les faiblesses de notre nature déchue et les situations difficiles de la vie. Simultanément, la norme est maintenue et il y a un accommodement des réalités du monde déchu - un concept et une pratique qui peuvent sembler contradictoires aux chrétiens occidentaux.
De même, la paix est la norme et le but de la vie chrétienne pour tous. Dans sa nature même, elle incarne l'Evangile du Royaume. La guerre par nature est une manifestation du péché et, par conséquent, ne peut jamais être « juste ». La guerre doit être évitée à tout prix, et la résolution pacifique des conflits humains doit être poursuivie sans limitation.
Cependant, il y a des occasions où la résolution pacifique des conflits est en fait impossible. Tel est le cas lorsqu'un ennemi hostile attaque et priverait les citoyens chrétiens pacifiques de la vie et de la liberté. Dans de telles situations, une position pacifiste peut en effet attirer et engendrer la violence en raison de son refus public de défendre même les innocents contre la violence et le meurtre.
Les chrétiens orthodoxes entreprennent en effet la guerre dans de telles situations, mais uniquement comme un « mal nécessaire ». Il est nécessaire parce que l'innocent et le bien doivent être protégés ; c'est le mal parce qu'une telle protection implique la prise de vie humaine, ce qui, au dire de tous, est l'un des crimes les plus terribles.
L'Église orthodoxe n'est donc pas pacifiste, bien qu'elle encourage dans la pratique les gouvernements à toujours poursuivre « l'option préférentielle pour la paix ». Néanmoins, l'Église reconnaît que ce monde est déchu et n'est pas encore équivalent au Royaume de Dieu. Pour cette raison, les gouvernements en général ne peuvent être tenus aux exigences strictes de l'Évangile. Bien que placés sous l'autorité de Dieu, ils appartiennent au monde déchu.
Parfois, les gouvernants échouent, et les chrétiens sont appelés par leurs gouvernements à défendre leur communauté par la guerre, car ne pas le faire entraînerait une augmentation de la mesure du mal dans le monde.
Cela ne signifie pas que la guerre peut être « juste ». Elle peut servir une cause juste, mais la guerre elle-même est injuste par nature. L'Église orthodoxe n'a donc jamais élaboré de théorie de la « guerre juste ». Pour les chrétiens orthodoxes, la « guerre juste » est une contradiction en termes.
Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après
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