La vie réserve de ces surprises. Prenez Arnaud Gouillon. En 2004, ce Grenoblois de 19 ans débarquait au Kosovo avec ses valises d’humanitaire. Dans sa tête, un objectif : secourir les chrétiens serbes persécutés par les Albanais musulmans. Avec sa camionnette, slalomant entre nids de poule et obus, il partait dans de petits villages de montagnes escarpées pour livrer des cadeaux de Noël aux enfants. Si on lui avait dit qu’il finirait ministre, il aurait sans doute bien rigolé.
Cela lui est tombé dessus comme une roquette sur un monastère. Il y a quelques jours, le président de la République de Serbie, Aleksandr Vukic, et le ministre des Affaires étrangères Nikola Selakovic, l’ont contacté. Résultat, ce jeudi 26 novembre à 14h, M. Arnaud Gouillon, président de l’ONG française Solidarité Kosovo, a été nommé secrétaire d’Etat pour les Serbes de la diaspora.
Un humanitaire français qui devient ministre serbe, ce n’est pas si courant. Son but sera de "préserver l’identité culturelle, religieuse et nationale du peuple serbe dans les Balkans et la diaspora". Il devra aussi développer les relations économiques et culturelles entre la Serbie et les populations serbes émigrées.
Gouillon est un idéaliste plein de fougue. La politique ne lui est pas tout à fait inconnue. Comme beaucoup de ses homologues à droite ou à gauche, en France ou dans le monde, il s’est formé dans un groupe aux idées bien affirmées. Pour lui, ce fut le Bloc identitaire. Il a même endossé, le temps de quelques semaines, le rôle de candidat à la présidentielle. Déçu par les coulisses politiciennes, il a raccroché les gants dès 2011.
La cause des chrétiens serbes du Kosovo, désintéressée, sans arrière-pensée, sans double jeu, était sa véritable vocation. Il est parti vivre en Serbie. A appris la langue. S’est marié. Il a repris sa camionnette, puis d’autres encore, jusqu’à devenir l’acteur central de l’action humanitaire dans la région.
Si on veut faire un reportage au Kosovo, on finit forcément par croiser son chemin. Parfois dès l’aéroport, car il est le meilleur guide pour découvrir la réalité et les profondeurs de cette zone grise. En 2015, il a été classé parmi les 20 personnalités les plus importantes de Serbie. Depuis, il est numéro trois, derrière le géant du tennis Novak Djokovic et l’archimandrite du monastère de Visoki Decani (cœur spirituel de l’Eglise orthodoxe serbe), Sava Janjic – mélange d’abbé Pierre pour la popularité et de Jean Moulin pour l’esprit de résistance.
Arnaud a appris à vivre avec la célébrité sans en faire un plat. Dans les rues, les restaurants, à la douane, des inconnus viennent le saluer ou se faire photographier avec lui. Même des policiers ! Presque gêné, il explique : "Disons que les Serbes ont été touchés de voir un Français prendre leur défense. Je suis souvent invité dans les médias."
Pas seulement. Avec son ONG, Gouillon fournit de l’aide d’urgence aux plus démunis et multiplie les opérations d’aide à l’enfance : "Le convoi de Noël et les classes d’été, au cours desquels nous emmenons de petits Serbes du Kosovo en vacances, restent les temps forts de notre année". Mais son objectif principal est de permettre à ceux qui le souhaitent de s’ancrer durablement : "Nous construisons des fermes, des serres, de petites entreprises artisanales, des écoles, nous aidons les monastères, nous fournissons du matériel agricole, tout ce qui peut permettre à une communauté de travailler et vivre dignement – éventuellement en autarcie".
Ces dernières années, Arnaud Gouillon a reçu de nombreuses propositions politiques et a toujours refusé. "J’ai accepté celle là, dit-il, car elle a vraiment du sens avec mon engagement initial, qui est de protéger les minorités serbes, comme je le faisais depuis des années au Kosovo." Concernant le risque de se perdre à nouveau en politique, Gouillon, qui a été vacciné très jeune, se montre serein : "Le gouvernement que je rejoins est très populaire. Ils n’avaient pas besoin de moi pour "faire un coup" mais vraiment pour mener à bien une mission que j’estime taillée sur mesure. J’ai vu que je pouvais avoir un véritable impact. Ensuite, j’ai plusieurs boussoles : ma conscience, mon épouse et le regard des Serbes du Kosovo. Cela m’aide à garder le bon cap."
Pierre-Alexandre Bouclay
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