La commission secrète du printemps
1970.
La petite commission qui a
étudié cette possibilité de concélébration eucharistique [entre le pape Paul VI
et le patriarche Athénagoras Ier] s’est réunie au centre orthodoxe de Chambésy
(Genève) les 27-29 avril 1970, et les 14-15 mai, puis à Zurich du 5 au 7 juin.
La dernière réunion a eu lieu à Zurich, car le travail, à la demande du pape et
du patriarche, se faisait dans le plus grand secret, et il y avait eu des
« fuites ».
La commission était composée :
du côté orthodoxe par l’archimandrite Damaskinos Papandreou et J. Zizioulas, du
côté catholique par le père Pierre Duprey et le révérend père Lanne. Elle émet
un avis favorable à la concélébration et donne des indications pour sa
réalisation. Voici les dernières lignes du rapport :
Il semble prématuré au
stade actuel de préciser les formes de réalisation de l’acte envisagé. Il
paraît suffisant de dire pour le moment qu’il semblerait désirable qu’il y ait
une double concélébration. Si le Saint-Père l’acceptait, la première
concélébration, pour des raisons psychologiques et pour mettre en valeur
l’initiative qui lui appartient et que le patriarche a soulignée à plusieurs
reprises, pourrait avoir lieu dans une église orthodoxe et selon la liturgie
orthodoxe (à Istanbul ou en Crète, par exemple). La seconde pourrait avoir lieu
de préférence dans les jours qui suivent la première, à Rome, selon la liturgie
romaine (Rapport commun de la commission. Archives privées).
Une partie de ce rapport commun, avec
des modifications et l’absence de toute référence pratique, a d’ailleurs été
publiée dans Proche-Orient chrétien (1972, p. 3-17) par le père Duprey, et dans
Oriente Cristiano (1974, p. 7-25) par le métropolite Damaskinos. C’était une
façon de tester les réactions de part et d’autre. (…)
La commission émet donc un avis
favorable. Pourquoi n’y a-t-il pas eu de passage à l’acte ? Celui-ci ou
simplement la divulgation de l’éventualité aurait eu des conséquences
catastrophiques non seulement pour le patriarche Athénagoras, mais pour
l’Eglise orthodoxe. On craignait que le patriarche fût immédiatement désavoué,
voire déposé. Au cardinal Willebrands, en visite officielle auprès de l’Eglise
de Grèce, en mai 1971, l’archevêque d’Athènes disait lors du discours de
réception officielle :
Comme le sait votre
Eminence, dans l’Eglise, les actes des dirigeants eux-mêmes ne sont bénis et ne
portent des fruits que lorsqu’ils sont la répercussion des sentiments et de la
foi du corps tout entier de l’Eglise et lorsqu’ils correspondent aux aspirations,
conformes à sa foi, du peuple fidèle de l’Eglise. Au contraire, les efforts
entrepris hâtivement […] ne peuvent provoquer que des dommages et plus tard des
troubles » (Hiéronymos d’Athèmes, « Allocution pour la réception du
cardinal Willebrands, 18 mai 1971 », DC 1971, p. 709-710).
Le message était donc clair. Du côté
de Paul VI, il y avait la ferme volonté de ne pas diviser l’orthodoxie. De
plus, le patriarcat de Moscou avait été averti discrètement du projet et son
intervention a contribué à empêcher le passage à l’acte. Un témoin de l’époque,
très averti de ces question estime que, malheureusement, c’était raison. D’autant
plus que l’initiative venait de Paul VI. On a jugé que ce geste généreux aurait
créé le plus grand désordre dans l’ensemble de l’Eglise orthodoxe. Et l’Eglise
catholique en aurait aussi porté les conséquences dans ses relations avec
l’ensemble de l’orthodoxie. Le message de l’archevêque d’Athènes ci-dessus
était suffisamment clair. La levée des anathèmes de, le 7 décembre 1965, avait
déjà rencontré des obstacles. La concélébration du pape et du patriarche aurait
compromis les relations péniblement renouées avec les autres Eglise orthodoxes.
Paul VI voulait conserver la ligne
d’un rapprochement organique avec l’ensemble de l’orthodoxie. Réaliser le
projet, c’était prendre le risque de perdre la confiance des Russes et de
bloquer tout rapprochement avec Athènes et avec Bucarest. L’œcuménisme ne peut
accepter une unité qui se réaliserait au prix de nouvelles divisions, comme « effets
collatéraux ».
Frère Patrice Mahieu, o.s.b.
« PAUL VI ET LES ORTHODOXES », collection « Orthodoxie »,
CERF 2012, pp. 197-200
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