"Dans la confusion de notre époque quand une centaine de voix contradictoires prétend parler au nom de l'Orthodoxie, il est essentiel de savoir à qui l'on peut faire confiance. Il ne suffit pas de prétendre parler au nom de l'Orthodoxie patristique, il faut être dans la pure tradition des saints Pères ... "
Père Seraphim (Rose) de bienheureuse mémoire

mercredi 22 mai 2019

Père Lawrence Farley: Un Psaume pour ceux qui désespèrent


Dans les six psaumes [Exapsalme] récités à chaque Matines de l'Église orthodoxe, on trouve un psaume unique parmi les psaumes du Psautier. 

Le psaume 87 des Septante (88 dans l'autre numérotation) est un psaume qui ne contient pas une lueur de lumière ou d'espérance. IL commence par ces mots : "Seigneur, Dieu de mon salut,  le jour et la nuit j'ai crié devant Toi ! Que ma prière entre en Ta présence ; incline l'oreille vers ma supplication ! Car mon âme est remplie de maux, et ma vie est au bord des enfers. J'ai été compté parmi ceux qui descendent dans la fosse ; Je suis devenu un homme sans secours, libre parmi les morts, comme ceux qui ont été blessés à mort, et dorment dans la tombe, eux dont tu ne te souviens plus, et que tu as écartés loin de ta main. On m'a mis au plus profond de la fosse dans les ténèbres et l'ombre de la mort." [1]Le psalmiste continue à se plaindre de versets en versets, sans espoir en vue. Et il termine sur une note de désespoir.

C'est unique parmi les psaumes. Beaucoup de psaumes contiennent de telles plaintes et lamentations. Dans beaucoup d'autres psaumes, le psalmiste crie vers Dieu, soulignant sa peine et demandant de l'aide. Prenons, par exemple, le psaume 6 : "Je me suis fatigué à gémir; de mes larmes, chaque nuit, je baigne ma couche. L'irritation a troublé mon œil, j'ai vieilli parmi tous mes adversaires."  Pourtant, son psaume se termine sur une note de confiance et de joie : "Que tous mes ennemis rougissent, et soient jetés dans un grand trouble, qu'ai plus vite ils retournent en arrière, couverts de honte." Ou considérez le Psaume 9. Cela commence par un questionnement perplexe sur l'amour de Dieu : "Pourquoi Seigneur es-tu parti loin de nous? ? Pourquoi nous dédaigner dans le besoin et la tribulation? Tandis que s'élève l'impie, le pauvre est consumé; il est pris aux ruses que les méchants ont tramées". Mais ce psaume se termine aussi sur une note de triomphe et de confiance en Dieu : "Le désir des pauvres, Seigneur, tu l'as exaucé; la préparation de leur cœur, ton oreille y a été attentive, pour rendre justice à l'orphelin et à l'opprimé." Mais il n'y a pas de fin aussi prometteuse dans le Psaume 87. Ce terrible psaume se termine par des paroles qui tombent comme un drap mortuaire sur le cœur humain : "Tu as éloigné de moi mes amis et mes proches, et mes compagnons, à cause de ma misère." Le psalmiste crie vers Dieu, et il n'y a pas de réponse, pas de lumière au bout du tunnel, pas d'espoir d'une réponse définitive. Tout s'estompe en noir.

Pourquoi trouve-t-on un psaume si terrible dans le Psautier ? Qu'est-ce que cela signifie ? Je suggère deux choses.

Tout d'abord, cela révèle que Dieu ne protège pas Ses enfants de tels moments de ténèbres et de désespoir. Le monde est un endroit dangereux, et personne n'est à l'abri de ses dangers ou à l'abri d'une catastrophe qui frappe avec une injustice arbitraire. Certains prédicateurs (souvent ceux qui vous sourient à la télévision) promettent que si vous devenez chrétien, vous trouverez une immunité heureuse contre de tels dangers, et vous passerez votre vie indemne, à l'abri des catastrophes et des ténèbres qui frappent les autres. Vous serez en bonne santé et riches ; vous vivrez (selon les paroles d'un de ces heureux évangélistes) "comme un enfant de roi", et il ne pleuvra jamais sur votre nuque!

Le Psaume 87 révèle qu'il n'en est rien. Dieu ne promet jamais à ses enfants l'immunité contre les ténèbres qui remplissaient le cœur du psalmiste d'un tel désespoir. Il est possible qu'un jour, vous aussi, vous serez comptés parmi ceux qui descendront dans la fosse, et que vous habiterez dans des régions sombres et profondes. Vous chercherez de l'aide et du réconfort autour de vous, pour découvrir que vos compagnons sont dans l'obscurité. Cela ne signifie pas que Dieu vous a abandonné, ou que vous n'êtes donc pas un de Ses enfants. Cela ne signifie pas que vous avez péché d'une manière ou d'une autre, et que Dieu vous punit. Cela signifie seulement que Dieu ne protège pas les siens des afflictions communes des hommes, et que la foi chrétienne exige du courage chrétien.

Deuxièmement et surtout, ce psaume révèle les profondeurs dans lesquelles Dieu lui-même était prêt à descendre pour nous sauver. Car le Christ, en assumant notre condition humaine dans le sein d'une adolescente juive, a aussi partagé tout ce qui appartenait à cette condition, y compris l'obscurité et le désespoir qui tombent parfois sur le cœur. 

C'est pourquoi ce psaume est utilisé dans les Vêpres du Vendredi Saint, où il décrit la mort et l'enterrement du Christ : "J'ai été compté parmi ceux qui descendent dans la fosse, etc..." Dieu n'a pas exempté même son Fils des troubles qui obscurcissent notre vie et nous conduisent au désespoir. Sur la Croix, le Christ s'écria : "Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? après quoi Il fut mis au plus profond de la fosse dans les ténèbres et l'ombre de la mort, au séjour des morts. Il n'y a aucune profondeur à laquelle nous ne pouvons descendre que le Christ n'ait déjà sondée pour nous.

Que se passe-t-il ensuite ? Que se passe-t-il après le Psaume 87 ? Il ne sert à rien de tourner la page du Psautier pour regarder le Psaume 88, car le Psautier est une collection de psaumes, et non un journal théologique séquentiel. (D'ailleurs, le Psaume 88 se termine aussi sur une note de perplexité angoissée.) Pour savoir ce qui se passe ensuite, nous ne regardons pas les pages du Psautier, mais la vie du Christ. Après avoir été mis au plus profond de la fosse dans les ténèbres et l'ombre de la mort, le deuxième jour de sa mort, Il s'est levé en triomphe le troisième jour. Dans un échange béni, le Christ a pris sur Lui toute notre douleur et notre affliction humains, afin qu'Il partage avec nous Son triomphe divin et Sa joie.

Les psaumes du Psautier, comme tout le reste dans les Écritures hébraïques, trouvent leur accomplissement en Christ, et donc pour comprendre pleinement ces psaumes, nous devons nous tourner vers Jésus pour voir leur sens dans notre vie. Malgré toutes ses ténèbres apparentes et son désespoir, le psaume 87 enseigne finalement le triomphe de l'Amour de Dieu, car il révèle en Christ que même ceux qui habitent dans les ténèbres profondes peuvent trouver leur espérance en Lui.

Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après


NOTE
[1] Toutes les citations des psaumes viennent de la version du Psautier des Septante de Père Placide [Deseille] de bienheureuse mémoire. Le version anglaise des psaumes utilisée par le Père Lawrence Farley est quelquefois légèrement différente.

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