Mardi 19 avril. Jour des défunts. Le père
Sébastien n’était pas aussi faible qu’il y a deux ou trois jours, mais il avait
le sommeil agité et il se tournait souvent dans son lit.
À quatre heures,
le père Sébastien a sonné. Véra est allée le trouver, lui a donné à boire et
est sortie. Il se sentait très mal et désirait une piqûre, Olga Fiodorovna la
lui fit et posa un linge humide sur sa tête. Soudain, il demanda à Olga
Fiodorovna :
– Avec qui vivez-vous ?
– Avec mes parents et mon frère.
– Je sais, répondit le père Sébastien,
je me souviens même d’un autre membre de votre famille, A.N. Mais je vous
demande autre chose. Avec qui vivez-vous ?
Olga Fiodorovna
se taisait, ne comprenant pas ce que demandait le père Sébastien. Véra entra et
tendit un verre au père Sébastien qui demanda alors quelle heure il était
– Quatre heures
et demie.
– Comment, déjà ?
Dès lors, sa
respiration devint difficile. Le père Sébastien toussa si violemment que du
sang jaillit de sa gorge. Il ne parvenait plus à respirer. Alors Olga Fiodorovna
introduisit de l’oxygène par le nez, puis par la bouche. Les lèvres du père blanchirent
et ses yeux se mirent à changer. Olga Fiodorovna commença le bouche-à-bouche,
la respiration artificielle. Mais rien n’y faisait. Déjà le père Sébastien
baissa la tête sur la poitrine et ne respirait plus. Il était 4h45. Olga
Fiodorovna annonça le décès aux personnes qui se trouvaient dans la pièce
voisine.
Anfisa, qui était
de garde, vint à son tour m’annoncer la nouvelle. Lorsque j’arrivai dans la
chambre du père Sébastien, il reposait sur un drap blanc et était vêtu d’une
nouvelle soutane en soie de couleur crème. Un tissu de cette teinte recouvrait
son visage. Un autre, identique, ses pieds.
Je me suis
penchée et j’ai soulevé le tissu. Le visage du père Sébastien était paisible,
il semblait vivant. Je me suis agenouillée et j’ai baisé ses mains posées sur sa
poitrine. Elles étaient chaudes.
Dans la pièce,
personne ne pleurait et une certaine paix enveloppait l’âme. Le père Sébastien
était toujours avec nous.
Une fois l’office
des morts terminé, nous sommes tous sortis de la pièce et le père Sébastien a
été revêtu de ses vêtements sacerdotaux. Puis on a lu des psaumes. Le père
Sébastien reposait désormais sur une table, coiffé de son klobouk et recouvert
de la tête aux pieds par son mandyas ; un prêtre lisait l’Évangile.
À 17 heures, on a
apporté le cercueil. La dépouille du père Sébastien a été conduite à l’église
alors qu’on chantait : « Mon aide et mon protecteur a été pour mon
salut. C’est mon Seigneur… » De très nombreux prêtres d’autres villes sont
venus se recueillir. Une foule d’anonymes est venue s’incliner devant la
dépouille du père Sébastien.
À chaque heure,
au cours de la nuit, on célébrait l’office des morts et on chantait souvent :
« O Toi qui T’es endormi comme un mortel, ô Roi et Seigneur »… Dans
l’église, de très nombreux cierges et veilleuses brûlaient.
Jeudi 21 avril. Le père Sébastien fut enterré au
cimetière de Mikhaïlovka Le corbillard ne fit qu’une petite partie du chemin.
En effet, le cercueil fut porté à bout de bras, la plus grande partie du chemin,
pour que la foule, nombreuse, puisse apercevoir le père Sébastien. La
circulation, très dense sur cette chaussée qui conduit au cimetière, fut arrêtée
tant la foule était nombreuse. Les fenêtres des maisons étaient ouvertes et les
gens guettaient le cortège du père Sébastien. On se frayait un passage à
travers la foule pour approcher le père Sébastien, effleurer sa main, puis on
se retirait pour laisser la place à d’autres personnes. Beaucoup de gens
avaient même devancé le cercueil et attendaient au cimetière pour assister à
l’inhumation.
La tombe avait
été creusée à l’extrémité du cimetière, à la limite de la steppe odorante, avec
les buissons de karagannik [Caragana
Frutex] qui commençaient à fleurir sur les collines, l’absinthe parfumée et
le thym. Au loin, dans la steppe, on voyait briller de petits lacs.
L’évêque célébra
l’office des défunts. Le père Sébastien fut inhumé, la croix plantée sur le
monticule de terre, mais Batiouchka demeure avec nous pour l’éternité.
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