10 avril. Nuit de Pâques. Le père Sébastien a voulu qu’on
le conduise l’église, mais il n’a pas pu se lever. Aux garçons qui étaient venus
le chercher, il a dit de retourner à l’église. Nous l’attendions tous avec un « désarroi
spirituel ». Les matines pascales se déroulaient mais nous avions tous de
la peine au cœur. Un moment, je quittai l’office pour courir chez le père
Sébastien :
– Pourquoi
avez-vous quitté l’office ? me demanda-t-il. Je ne suis pas encore mourant !
D’ailleurs, j’aurai encore le temps de vous donner le baiser Pascal. Que
chantait-on quand vous êtes sortie ?
– On chantait :
« Ayant contemplé la Résurrection du Christ. »
– Donc les
matines n’étaient pas finies. Retournez à l’église, ne vous inquiétez pas.
J’obéis et je rassurai
les fidèles.
Au début de la
liturgie, j’ai couru à nouveau chez le père Sébastien. Il était paisible, même
joyeux :
– Je veux aller
l’église dit-il. Durant la semaine Sainte, j’ai chanté quotidiennement l’office
de Pâques dans ma chambre. À présent, je veux l’entendre chanter à l’église.
Mais il ajouta : donnez-moi mon mandyas et mon klobouk. Je désire au moins
assister à la liturgie puisque je suis trop faible pour pouvoir célébrer.
– Cependant vous
avez très bien lu les Évangiles le Jeudi Saint, de façon tout à fait claire et
distincte. Du reste, beaucoup mieux que ne le fit le père Alexandre ou même le
diacre Paul.
Le père Sébastien
se réjouit : – Vraiment ? Et moi qui me faisais du souci pensant que
je ne lisais pas assez fort ! Que Dieu vous sauve ! Et de nouveau, il
répéta : – Je vous recommande à tous de vivre en paix et dans l’amour je
n’exige rien d’autre de vous : la paix et l’amour sont indispensables pour
le salut. Enfin il rappela : tout ici-bas n’a qu’un temps, tout est
éphémère ; pourquoi s’en soucier ? Il faut penser à ce qui est
éternel…
On l’habilla et
on le conduisit à l’église. Selon son désir, on lui apporta un plateau avec des
prosphores dont la plus grande partie fut coupée en quatre morceaux et distribuée
à l’église. Le père Sébastien demanda qu’on remette une prosphore entière à
certaines personnes qu’il désigna.
Il était très
fatigué et s’allongea sur le lit. Puis il revêtit le mandyas, mais il n’eut pas
la force nécessaire pour le klobouk : tant pis, je resterai ainsi.
Le père Sébastien
s’assit avec difficulté et ferma les yeux. Son pouls changea de rythme. Nous
avons pensé alors lui faire une piqûre ici même, dans l’église, mais nous avons
décidé de ramener le père Sébastien dans sa chambre pour la lui faire.
Après la piqûre,
s’est assoupi. La liturgie finie, nous avons mangé le repas de Pâques. La porte
de la chambre du père Sébastien restait ouverte. De temps en temps, nous
allions jeter un coup d’œil. Il dormait paisiblement, respirait de façon
régulière.
À 13 heures, je
me suis rendue auprès du père Sébastien
–Le Christ est
ressuscité ! lui dis-je.
– En vérité il est ressuscité. Prenez un
œuf et asseyez-vous près de moi. Puis il ajouta :
– Alors que j’étais couché, je me
souvenais de la façon dont mouraient les startsy à Optino : Le père Joseph
fut malade très longtemps. Pour sa part, le père Anatole ne fut jamais malade.
Il mourut paisiblement. D’âme et humilité, il était, d’entre nous, le plus
proche du père Nectaire.
Ces deux startsy moururent
après la révolution et furent enterrés au cimetière d’Optino. Le père Théodose,
qui avait la responsabilité du skite, mourut en 1920, avant les persécutions.
Mais après la fin de la guerre civile en 1921, tout changea à Optino, il y eut
beaucoup d’arrestations, de condamnations.
Le père Anatole
fut arrêté le 28 juillet de cette année-là. On lui coupa les cheveux, on lui
rasa la barbe. Il supportait tout avec patience. Mais il demanda à ses
bourreaux de lui accorder un sursis pour se préparer, soit jusqu’au lendemain
matin. Ce délai lui fut accordé. Et le père Anatole se mit à prier. Deux heures
après, son serviteur de cellule, vint le trouver et lui dit : – père,
préparons-nous.
– Ne me dérange pas, lui répondit le starets.
Qu’as-tu à t’inquiéter ? Je n’irai nulle part avec eux.
La même scène se
répéta deux heures plus tard, mais la troisième fois où le serviteur de cellule
vint de nouveau trouver son starets, il le trouva mort sur son lit, les bras
croisés sur la poitrine. On habilla le starets Anatole. On alluma des cierges.
On lut des psaumes et l’Évangile. Au petit matin, ces gens-là vinrent le chercher.
Demandant si le starets était prêt, ils furent très impressionnés de le voir
mort et partirent.
Le père
Sébastien, fatigué par cette longue évocation de souvenirs, ferma les yeux et
s’assoupit.
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