Nous nous sommes rencontrés chez moi avant l’office, parce
que je voulais les préparer, les "préconvertir", si vous voulez.
J'avais un arsenal d'articles, de brochures magiques de Gillquist (membre de
l’Eglise Evangélique Américaine qui a produit de nombreux petits livrets sur la
foi orthodoxe dans un but de prosélytisme vis-à-vis des protestants évangéliques
américains) et les différentes étapes de l'histoire de l'Eglise. J'ai parlé
pendant une heure. J'étais éloquent. J'étais toute douceur. J'étais le
"channel" de saint Jean Chrysostome.
Cela s'est avéré être une idée horrible, grossièrement
sous-estimée quant à son résultat. Je m'attendais à quelques-unes des questions normales sur la liturgie
de la "haute Église", sur le chant, et les icônes, et la raison pour laquelle saint Georges
terrassait un dinosaure, comme un personnage de Donjons et Dragons (Célèbre jeu de
rôles).
J'ai même abordé le baiser "de vénération" des icônes comme n’étant
pas idolâtre. Je leur ai dit que c'est comme embrasser une image de grand-mère
qui avait Jésus dans son cœur et révérait ainsi le travail de l'Esprit Saint, sans pour autant adorer Kodak. Je pourrais dire que je parlais une langue étrangère pour eux et
ils me soupçonnaient de ruse
spirituelle.
Nous sommes allés à l’office en groupe. Je savais que mon
frère ne voulait pas aller à mon église parce qu'il n'avait pas écouté ma
conférence de préemption qui essayait désespérément de traduire l'Orthodoxie pour
son monde. Mais il fut contraint d'y assister en raison de la pression
familiale. Nous nous tenions tous au banc arrière de la nef obscure, et mon
frère s’est assis après qu’un psaume ait été lu, a remis son chapeau et l’a
tiré vers le bas sur ses yeux. Il avait passé sept minutes dans l’office. Le
reste de mes frères et sœurs étaient les yeux écarquillés, confus et se sentant
gênés de n’être pas mieux vêtus pour la circonstance.
Un vieux monsieur de notre paroisse s’est frayé un chemin
vers nous à partir de l'avant et a demandé à mon frère d'enlever son chapeau.
Cette expérience a été si horrible pour moi, que je suis rentré en moi-même et
silencieusement j’ai prié, disant "Kyrie éléison" encore et encore, aussi
vite que je le pouvais, pour sortir de mon embarras.
Mon frère ôta son chapeau, mais il ne se leva pas. Il croisa
les bras avec morgue et son entêtement s’installa. Je savais qu'il allait supporter
cet office orthodoxe une fois, mais plus jamais ensuite.
J'ai reconnu cette révolte intérieure
passive parce que nous avons les mêmes " blessures spirituelles à la
tête". Je savais aussi qu’il était sans espoir d'essayer de corriger cela,
mais je me suis quand même penché vers lui et à moitié faisant des excuses et à
moitié voulant le frapper au cou pour avoir agi comme un crétin, je lui ai
demandé : "Alors, c’est assez différent, hein? Qu'en penses-tu jusqu'ici?
"
Il me regarda et demanda: "Quelle langue est-ce?"
Je ne pus m'empêcher de rire et je répondis: "Euh, c'est l'anglais. Tout
est en anglais pour l'instant."
Il leva les yeux au ciel et attendit que
l’office soit fini. Il n'y avait "pas de place à l'auberge" pour mon
frère, et je suis sûr qu'il ne serait pas resté à l'Hôtel de l’Orthodoxie si
une chambre lui avait été offerte. Il n'a jamais fait marche arrière et nous
n'avons pas discuté d’Orthodoxie ou de Dieu depuis.
Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après
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