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ABBA ISAAC. Il n'est pas moins difficile d'expliquer de quelle manière différente les sentiments intérieurs de l'âme se manifestent. C'est souvent par une joie ineffable et par des transports spirituels qui ne peuvent se contenir, et qui font arriver, jusqu'aux cellules voisines de nos frères, les signes de notre ravissement. Quelquefois, au contraire, l'âme se renferme dans un profond silence; l'étonnement où la jette cette illumination subite lui ôte la parole; tous ses sens sont suspendus, et elle n'a plus , pour élever ses désirs vers Dieu, que des gémissements inénarrables. D'autres fois , le coeur éprouve une componction et une douleur si vives, qu'il n'a, pour se soulager, que l'abondance de ses larmes.
ABBA GERMAIN. J'en ai fait moi-même en partie l'expérience; car souvent le souvenir de mes fautes fait couler mes larmes, et la visite de Dieu m'inonde alors tellement de cette joie ineffable dont vous nous parlez , que je ne crains pas d'espérer mon pardon. Il me semble que rien ne serait plus heureux que cet état, si nous pouvions nous y mettre volontairement. Mais j'ai beau faire tous mes efforts pour renouveler cette contrition et ces larmes ; j'ai beau me rappeler toutes mes erreurs et toutes mes fautes pour m'exciter à les pleurer , mes yeux restent secs comme la pierre, et je ne puis en tirer une larme. Autant je suis heureux quand je puis pleurer abondamment, autant je souffre quand je ne puis le faire comme je le désire.
ABBA ISAAC. Toutes les larmes ne viennent pas du même sentiment et de la même vertu. On pleure quelquefois, lorsque l'épine du péché déchire notre âme et nous fait dire : « J'ai souffert dans mes gémissements; je laverai toutes les nuits mon lit de mes larmes, je l'arroserai de mes pleurs » (Psaume 6:7); et encore : « Versez jour et nuit des torrents de larmes; ne prenez aucun repos, et que la prunelle de vos yeux ne se tarisse pas. » (Thren., 2:18) On pleure aussi en contemplant les biens éternels , et en désirant la gloire qui nous est réservée. Dans l'attente de cette joie, de ce bonheur ineffable, nos yeux deviennent comme deux fontaines de larmes, et notre âme, altérée de Dieu, qui est l'eau vive , s'écrie : « Quand arriverai-je , quand paraîtrai-je en la présence de Dieu. Je me suis nourri de larmes , la nuit et le jour. » (Psaume 41:4) Elle gémit sans cesse en disant : « Hélas! que mon pèlerinage se prolonge, et depuis combien de temps je suis exilée. » (Psaume 119:5) Quelquefois ce n'est pas le remords de la conscience qui fait pleurer , mais la crainte de l'enfer et la pensée du terrible jugement. Le Prophète s'écrie alors épouvanté : « Seigneur, n'entrez pas en jugement avec votre serviteur, car aucun vivant ne sera justifié en votre présence. » (Psaume 142:2) On pleure encore quelquefois non sur ses propres fautes, mais sur l'endurcissement et les péchés des autres. Samuel pleurait sur Saül ; Notre-Seigneur répandait des larmes sur Jérusalem, comme Jérémie qui avait dit : « Qui donnera de l'eau à ma tête et une fontaine à mes yeux? et je pleurerai, nuit et jour, les morts de la fille de mon peuple. » (Jérémie 9:1.) Ce sont ces larmes dont parle le Psalmiste : « Je mangeais la cendre comme le pain, et je mêlais mes larmes à mon breuvage. » (Psaume 101:10)
Ces larmes sont différentes des larmes du Psalmiste, dans le vie psaume; au lieu d'être celles d'une personne pénitente , ce sont celles du juste au milieu des misères de cette vie et des tristesses de ce monde. Non-seulement le texte, mais le titre du psaume, le prouve : Prière du pauvre affligé qui répand sa prière devant Dieu ; et cette prière est celle du pauvre dont parle l'Évangile : « Bienheureux les pauvres d'esprit, parce que le royaume des cieux leur appartient. » (Saint Matthieu, 5:3.) Combien peu ressemblent à ces larmes, celles qu'on tire avec peine d'un coeur desséché. Il ne faut pas cependant les croire inutiles; car elles montrent une bonne disposition , dans ceux surtout qui ne possèdent pas la science parfaite et qui ne sont pas encore purifiés de leurs fautes passées ou présentes.
Cependant ceux qui se sont déjà attachés à la vertu ne doivent pas rechercher ces larmes qui coulent avec tant de peine et qui viennent seulement de l'homme extérieur; car, lors même qu'ils réussiraient à les répandre, elles n'ont aucun rapport avec cette abondance de larmes que Dieu donne tout à coup. Ces efforts ne font que distraire et abattre l'âme qui prie ; elle ne peut s'élever à cette contemplation de Dieu, qui la fixerait en sa présence, et elle retombe sur elle-même, pour n'obtenir que quelques pauvres larmes stériles.
Pour vous faire comprendre la véritable prière, je ne vous parlerai pas moi-même; je laisserai parler le bienheureux Antoine, que nous avons vu souvent si absorbé dans la prière, que le soleil le surprenait dans son extase, et nous l'avons entendu s'écrier : «0 soleil, pourquoi m'arrêter? Tu ne te lèves que pour m'ôter la clarté de la lumière véritable. »
Ce saint homme disait de la prière cette parole surhumaine et céleste : « Il n'y a pas de prière parfaite si le religieux s'aperçoit lui-même qu'il prie. » Nous oserons, malgré notre faiblesse, ajouter quelque chose à cette parole admirable, et nous indiquerons, d'après notre expérience, les moyens de reconnaître que Dieu nous a exaucés.
Si, quand nous prions , nous ne ressentons aucune hésitation, aucun doute, si nous croyons sentir que nous sommes exaucés, soyons persuadés que nos prières ont réussi auprès de Dieu. Plus nous croirons que Dieu nous regarde et nous écoute , plus nous mériterons d'obtenir ce que nous demandons; car Notre-Seigneur est fidèle dans ses promesses, et il a dit : « Tout ce que vous demanderez dans votre prière, croyez que vous le recevrez, et vous l'obtiendrez. » (Saint Marc, 11:24)
Saint Jean Cassien
Conférences
d'après l'édition française de 1868
traduction
E. Cartier
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qui a beaucoup d'autres ressources orthodoxes intéressantes
(Il faut seulement adapter les citations de l'Ecriture qui utilisent le vouvoiement en usage dans les antiques traductions françaises)
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