"Dans la confusion de notre époque quand une centaine de voix contradictoires prétend parler au nom de l'Orthodoxie, il est essentiel de savoir à qui l'on peut faire confiance. Il ne suffit pas de prétendre parler au nom de l'Orthodoxie patristique, il faut être dans la pure tradition des saints Pères ... "
Père Seraphim (Rose) de bienheureuse mémoire

dimanche 24 novembre 2019

Père Emmanuel Hatzidakis : LE MONARQUE ŒCUMÉNIQUE

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Le Père Emmanuel Hatzidakis est un prêtre orthodoxe et est l'auteur du Banquet céleste : Comprendre la Divine Liturgie et Jésus : Chue? La nature humaine du Christ examinée dans une perspective orthodoxe orientale.

Le "patriarche" Bartholomée


 18 novembre 2019

L'évêque d'Istanbul (la ville, ou plutôt la région qui fut jadis la capitale de "l'œcumène", c'est-à-dire la terre habitée) persiste curieusement à se qualifier "d'œcuménique ", comme si Istanbul était encore la capitale de l'Empire byzantin ou même ottoman. Comme ce n'est pas le cas, son statut devrait revenir à celui d'évêque suffragant, comme c'était le cas avant que saint Constantin le Grand ne déplace la capitale de l'Empire romain en 330 après J.-C. à l'emplacement de la ville de Byzance. Curieusement, l'Orthodoxie mondiale continue à donner à l'occupant de la capitale du temps du monde le même titre honorifique de "Patriarche œcuménique". Il n'est plus le Patriarche œcuménique (ci-après dénommé en abrégé PE), et tout le monde le sait, sauf l'occupant, qui continue à vivre dans les gloires du passé.

Le patriarche Bartholomée parle et agit comme s'il était le monarque absolu de l'Orthodoxie mondiale - et au-delà. Ses frères évêques l'ont toléré et l'ont accepté comme chef honoris causa de l'une des 14 Églises autocéphales et "premier parmi ses pairs" - toujours considéré comme le premier en honneur. Mais il n'est pas satisfait de ce titre honorifique. Bien que seulement quelques milliers de fidèles vivent dans le territoire historique du Patriarcat, il revendique l'univers entier comme sa juridiction. Il a convaincu l'Église de Grèce de lui céder toutes ses églises à l'étranger, et exige la même chose de toutes les juridictions, comme si elle lui appartenait canoniquement.

Voyons sur quelle base l'évêque d'Istanbul, anciennement Constantinople, justifie ses privilèges hérités. Le Deuxième Concile œcuménique (381), dans son 3e Canon, a élevé le statut d'évêque de la capitale de l'Empire romain :

"Que l'évêque de Constantinople ait les privilèges d'honneur (τὰ πρεσβεῖα τῆς τιμῆς) après l'évêque de Rome, parce que c'est la Nouvelle Rome. "

Le quatrième Concile œcuménique de Chalcédoine (451) a confirmé dans son Canon 28 que,

"de même que le trône de la Vieille Rome s'est vu accorder des privilèges en raison de son statut de capitale impériale, de même la très sainte Église de Constantinople a les mêmes privilèges (τὰ ἶσα πρεσβεῖα) en raison de son statut de siège de l'Empire, et après elle. "

Ces privilèges ont été réaffirmés une fois de plus en 692 par le 36e canon du Concile Quinisexte. Une chose est claire comme de l'eau de roche : le siège de Constantinople a été élevé à sa position élevée parce qu'il était la capitale de l'Empire. Clair comme de l'eau de roche ? Pas au PE !

Cela nous aiderait à comprendre sa pensée si nous considérons ce qui suit : Le Pape Léon, qui était évêque de Rome à l'époque du IVe Concile œcuménique, n'a pas accepté son 28e Canon. Pourquoi ? Parce que, à l'instar de ses prédécesseurs, il n'a pas fondé la primauté de l'évêque de Rome sur le fait d'être évêque de la capitale de l'Empire, mais parce qu'il était le successeur de Pierre, le fondateur de l'Église de Rome, qui fut le premier des apôtres. Les Papes ne se sont jamais vus comme les premiers en honneur, mais comme les premiers absolus. Nous le savons tous. Mais qu'en est-il de l'occupant du "trône" de la Nouvelle Rome ? Comment peut-il justifier les privilèges particuliers de la capitale de l'Empire byzantin ? Laissez à son orgueil, le nouvel archevêque d'Amérique Elpidophore. Dans une étude qu'il a écrite en 2014 intitulée "First Without Equals  [πremier sans égaux] : Réponse au texte sur la primauté du Patriarcat de Moscou", il a déclaré :

Dans la longue histoire de l'Église, le hiérarque présidant l'Église universelle était l'évêque de Rome. Après la rupture de la communion eucharistique avec Rome, canoniquement le hiérarque présidant l'Église orthodoxe est l'archevêque de Constantinople.
Le PE, selon les canons, était égal à l'évêque de la vieille Rome. Mais depuis le Grand Schisme (1054), il a pris la place du Pape, héritant de tous ses privilèges, et l’a laissé sine paribus, sans égal ! C'est si simple. Pas un mot sur l'enseignement erroné de l'Église romaine sur la primauté du Pape, qui fut la cause principale du Grand Schisme !

Mais ce n'était pas suffisant. Le PE devait justifier sa primauté absolue non seulement historiquement, mais aussi théologiquement. Et il l'a fait, encore une fois avec l'aide d'Elpidophore. En 2014, il a écrit une étude intitulée "First Without Equals : Une réponse au texte sur la primauté du Patriarcat de Moscou "  Il y contredit une déclaration du Synode du Patriarcat de Moscou intitulée " Position du Patriarcat de Moscou sur le problème de la primauté dans l'Église universelle "  Son étude elle-même est sans égal ! Il y affirme que, comme Dieu le Père est le premier parmi les trois personnes de la Sainte Trinité, il faut qu'un évêque soit le premier parmi les évêques. Sa primauté n'est donc pas honorifique mais absolue.

Cette position n'était pas entièrement nouvelle. Il en avait parlé le 16 mars 2009 lors d'une conférence qu'il avait donnée à la chapelle de l'école théologique de la Sainte-Croix à Boston, alors qu'il était Archimandrite et secrétaire en chef du Saint et Sacré Synode, intitulée "Les défis de l'Orthodoxie en Amérique et le rôle du Patriarcat œcuménique". Dans ce document, il avait déclaré :

Le refus de reconnaître la primauté au sein de l'Église orthodoxe, une primauté qui ne peut qu'être incarnée par un primus (c'est-à-dire par un évêque qui a la prérogative d'être le premier parmi ses confrères évêques) constitue rien de moins qu'une hérésie. On ne peut accepter, comme on le dit souvent, que l'unité entre les Églises orthodoxes soit sauvegardée par une norme commune de foi et de culte ou par le Concile œcuménique comme institution. Ces deux facteurs sont impersonnels, alors que dans notre théologie orthodoxe, le principe de l'unité est toujours une personne. En effet, au niveau de la Sainte Trinité, le principe d'unité n'est pas l'essence divine mais la Personne du Père (" Monarchie " du Père), au niveau ecclésiologique de l'Église locale, le principe d'unité n'est pas le presbyterium ou le culte commun des chrétiens mais la personne de l'Évêque, de même au niveau pan orthodoxe le principe d'unité ne peut être une idée ou une institution mais doit être une personne si nous devons être cohérents avec notre théologie.

Comme nous le voyons, les privilèges spéciaux du PE ne sont plus basés sur les Canons de l'Église, mais sur cette nouvelle théorie. Dans son zèle pour élever la primauté universelle du PE, il l'a élevée à de nouveaux sommets. Il tente de le soutenir sur une base théologique, en s'appuyant sur un argument catholique romain appelé analogia entis (analogie de l'être). Il y a une analogie, ou correspondance, dit-il, entre le PE et Dieu le Père ! De même que Dieu le Père est à l'origine des deux autres personnes divines ("monarchie" du Père), de même la source de l'unité entre les primats de l'Église est une personne et non un synode. Cette personne est le Patriarche œcuménique !

Cependant, selon les Pères de l'Eglise, nous ne sommes pas autorisés à tirer des conclusions de ce que nous savons de Dieu dans l'ordre des choses créées et des relations des Personnes divines avec les relations des humains. Les relations personnelles divines ne peuvent et ne doivent pas se refléter dans la structure administrative de l'Église. Le Canon apostolique 34 présente l'harmonie qui devrait exister entre le premier en honneur et le plus grand nombre, agissant toujours de manière consensuelle et coopérative, ce que la plupart des évêques ont tendance à ignorer.

Dans ce qui pourrait être la dernière déclaration orthodoxe d'un patriarche œcuménique, la Déclaration publiée par le patriarche Anthime VII et son Synode en août 1895 critique l'encyclique du pape Léon XIII Praeclara gratulationis publicae (De la réunion de la chrétienté) de Léon XIII:

...tel était l'ancien régime ecclésiastique ; et les évêques étaient indépendants les uns des autres et entièrement libres, chacun à l'intérieur de ses propres frontières, n'obéissant qu'aux ordres synodaux, et siégeant comme égaux les uns aux autres dans les synodes ; et aucun d'eux ne réclamait de droits monarchiques sur l'Église entière ; mais si quelques évêques de Rome avaient jamais exigé avec arrogance un absolutisme que l'Église ne pouvait connaître, ils étaient soumis à des mesures appropriées. "

Le "Pape de l'Orient" doit être contrôlé et discipliné de manière appropriée, qui, comme nous l'avons souligné, agit et se comporte comme un monarque absolu sans égal. Nous voyons que, de son propre gré (de motu proprio), agissant en tant que Pape de l'Orient, le Patriarche Bartholomée a écarté les têtes des autres Églises autocéphales, entrant en communion avec des évêques schismatiques et anathématisés, leur accordant même l’autocéphalie, et formant une Église reconnue par deux autres Églises autocéphales seulement. Si cet état persiste et qu'il ne change pas de cap, le Pape de la Nouvelle Rome peut se retrouver coupé de la communion de l'Église orthodoxe, comme le Pape de la Vieille Rome.


Version française Claude Lopez-Ginisty
D’après


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