Quand j'ai rejoint l'Église orthodoxe, il y a douze ans, j'ai pris une décision que j'avais mûrie pendant vingt-et-un ans. C’était devenu nécessaire parce que j'ai réalisé que ma seule raison de rester catholique était ce que les autres pourraient penser si je devenais orthodoxe, à cet stade, ce n'était plus vraiment un choix. Je croyais à l'orthodoxie, « j’adorais » aussi souvent que je le pouvais dans les églises orthodoxes et rester catholique n'était pas moralement possible.
En même temps, je craignais de devenir un converti. Laissez-moi vous expliquer ce que je veux dire: j'avais connu des gens qui s’étaient convertis au catholicisme, dans une version du catholicisme qui faisait passer Torquemada pour quelqu’un de décontracté. Cela ne ressemblait pas du tout au catholicisme, sain et bon-vivant avec lequel j’avais grandi. Il y avait un enthousiasme chez beaucoup de convertis dont je me méfiais. J'éprouvais une certaine consolation dans le fait de penser qu'il avait fallu tant de temps pour aller vers l’orthodoxie et que cela peut-être me protégerait. J'avais pris conscience de beaucoup de problèmes institutionnels de l’Orthodoxie, et, malgré mon désaccord avec l'ecclésiologie catholique, j'étais conscient des nombreux points forts du catholicisme. Mais il n'y avait pas d'ambivalence dans la mentalité de certains convertis, aucun sens du gris. Tout était ainsi « ou bien…ou bien ». Ce n'était pas moi.
Six ans après je suis devenu orthodoxe je suis allé au séminaire, et je fus plus tard ordonné prêtre. Cela m'a donné beaucoup de temps pour connaître des convertis à l'orthodoxie et une modeste capacité de généraliser à leur sujet, avec au moins un peu d'autorité. Mon intuition est que ce que j'ai vu s'applique aux nouveaux convertis de toute religions (ou, d'ailleurs, de tout système de croyances profondément ancrées, qu’elles soient politiques ou philosophiques).
La moitié des séminaristes orthodoxes que j'ai rencontrés provenaient de milieux non-orthodoxes, et l’éventail en était surprenant. Plusieurs étaient issus de milieux évangéliques ou fondamentalistes, quelques-uns venaient de foyers catholiques, il y avait deux Juifs, et un luthérien, il y avait quelques anciens anglicans, et un de mes camarades de classe passa la majeure partie de l'année dans un monastère bouddhiste avant de devenir orthodoxe. Plus tard, je devais rencontrer un certain nombre de convertis dans les paroisses, et je vis dans chacun d'eux, séminariste et paroissien deux types de modèles.
Le premier est que dans la plupart des convertis il y a un profond sentiment de gratitude: après des années de recherche, ils ont trouvé un lieu qui semble juste, ils ont connu une sorte de retour au bercail. Ce sens d ' «un lieu qui semble juste» peut être trouvé chez presque tous les convertis, mais pour un nombre significatif il ne s'agit pas tant de reconnaissance, mais d’une forme de fuite, un refuge, une nécessité pour ce sentiment de certitude qui est sans doute névrotique. Une chose est de chanter, comme l'Église à la fin de la liturgie: «Nous avons vu la vraie lumière! Nous avons reçu l'Esprit céleste! Nous avons trouvé la vraie foi, adorons la Trinité indivisible, car c’est Elle Qui nous a sauvés. " Autre chose est d’ajouter: «Et la vraie foi signifie ce que je dis que cela signifie, et toute question à ce sujet, ou tout désaccord avec moi, sont hérétiques."
Il y a certainement des enseignements chrétiens non négociables. Un orthodoxe qui propose une théologie unitaire, ou nie la présence eucharistique du Christ, n'est pas un orthodoxe. Mais personne ne semble se disputer au sujet de ces choses. J'ai, toutefois, vu une fureur presque hystérique visant des évêques qui osent dire que le fait que l'orthodoxie n’ordonne que des hommes à la prêtrise ne devrait pas être considérée comme un sujet fermé à la discussion, ou à ces prêtres qui utilisent "vous (YOU)" plutôt que " tu (THOU) "quand ils s'adressent à Dieu dans la prière liturgique.
Le problème ici c'est que certaines personnes ne se convertissent pas à une croyance autant qu'ils se convertissent pour s’éloigner d’une autre croyance. Il y a une certaine sorte de catholiques qui, en devenant orthodoxes, ont rejoint l'Église qui n’est pas passée pas par ce qu'on appelle souvent «le chaos» qui a suivi Vatican II. Ils sont parfois déçus quand ils rencontrent des évêques qui ne sont pas aussi autoritaires qu’ils pensent que les évêques devraient être, et ils sont particulièrement bouleversés à l'idée que la liturgie orthodoxe pourrait subir une modification de quelque sorte que ce soit. Il y a une certaine sorte d’épiscopaliens, qui en rejoignant l'orthodoxie, rejoignent l'Eglise qui n'a pas ordonné de femmes, et l'idée que le sujet pourrait être discuté les rend furieux, comme si la seule pensée signifiait une trahison de l'Orthodoxie.
Étant donné l'état de beaucoup d'églises de nos jours, je peux comprendre ce qui inquiète certains de ces gens. Se référer à Dieu comme "Père-Mère" semble et devrait sembler bizarre à toute personne possédant des oreilles pour entendre, et j'ai été dans certaines liturgies catholiques qui étaient carrément effrayantes. (Je suis aussi beaucoup allé dans certaines liturgies orthodoxes qui étaient, d'un point de vue esthétique, assez terribles.) Un grand nombre de gens qui défendent l'ordination des femmes le font pour des raisons qui ont plus à voir avec la politique culturelle que les besoins les plus profonds de l'Église. Beaucoup de gens dans les églises majoritaires d'Amérique acceptent une approche essentiellement laïque pour toutes les questions morales et éthiques (et les orthodoxes ne sont pas à l'abri de cela).
Dans le même temps, si nous croyons que le Christ a vaincu la mort elle-même, qu'avons-nous à craindre? Presque toute question peut être abordée avec clarté, et tout peut être abordé avec la charité. Là où la tradition de l'Église est manifestement contre la dérive de la culture, elle doit être ferme, mais elle doit aussi donner une explication à la culture ambiante, et cela doit être fait avec compassion. Le besoin d'avoir raison, qui alimente tellement la question débattue n'a rien à voir avec un véritable amour pour la vérité, mais plutôt avec la protection de l'ego.
Mon approche dans ce contexte a été de dire à tout candidat à la conversion de prendre un certain temps, de fréquenter l'Église pendant une année ou deux, de voir ce que c'est que d'être orthodoxe, et enfin de s'assurer que c’est vers l’Orthodoxie qu'il va venir, et non pas qu'il va fuir quelque chose d'autre. Le Baron von Hugel a déclaré à une nièce anglicane qui voulait devenir catholique qu'elle devait apprendre les forces de l'anglicanisme, et ne pas devenir catholique jusqu'à ce que cela soit à l'évidence un péché pour elle de rester dans sa propre tradition, jusqu'à ce qu'il soit complètement nécessaire pour elle de se convertir. Cela semble assez juste. Les gens qui passent d'une tradition à l'autre pour des raisons négatives apportent toutes ces raisons négatives avec eux.
Il y a quelques semaines, je parlais avec un ami prêtre des moments où il faut un peu plier les règles liturgiques pour accueillir les gens pastoralement. «Je pense que nous n’aurons pas de problème au jour du jugement», dit-il, «pour autant que Dieu ne soit pas un converti orthodoxe. »
Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire