Grand-père n'était pas lié à moi par le sang. Mais cela n'avait pas d'importance : Grand-père était un bon grand-père. Il m'emmenait à la pêche, préparait une délicieuse soupe de poisson et me portait sur ses épaules. Qu'est-ce qui n'est pas agréable pour un enfant ?
Grand-père était un homme très gentil. Il aimait les gens et n'était jamais cupide. Passionné de pêche, il ne vendait jamais ses prises, mais les donnait à ses voisins.
Un jour, il m'a raconté une histoire de son enfance. Au cours d'une de ses promenades avec des amis près de la rivière, Grand-père a vu un petit garçon d'environ trois ans qui jouait sur la rive sablonneuse. Grand-père, lui-même jeune garçon à l'époque, fut surpris - un si petit garçon, et tout seul. Il s'approcha de lui. Le garçon était vêtu de haillons, tout sale et maigre, et tout ce dont mon grand-père se souvenait aujourd'hui, c'était de ses grands yeux bleus et de ses cheveux blonds en bataille. Sans hésiter, mon grand-père ramena ce garçon à la maison, où il le lava et l'habilla avec de vieux vêtements et lui donna à manger. Lorsque la mère de mon grand-père rentra du travail le soir, elle ne fit que constater. Elle s'était déjà habituée à ce que son fils au grand cœur ramène à la maison toutes les créatures malheureuses - des chatons par-ci, des oiseaux blessés par-là - mais un enfant ? Ce bambin était une première !
La nuit tombait et ils décidèrent de le garder avec eux jusqu'au matin. Le matin, mon grand-père et sa mère partirent à la recherche des parents du petit garçon, et ils le trouvèrent, mais avec beaucoup de difficultés. Nous ne raconterons pas pourquoi ou comment le petit garçon fut laissé seul, mais à partir de ce moment-là, ce bambin devint un visiteur fréquent de la maison de mon grand-père.
À l'époque, j'avais du mal à imaginer mon vieux grand-père comme petit garçon. Comment un petit garçon aussi gentil et brillant pouvait-il se cacher sous les traits de ce vieil homme ridé, empestant toujours les cigarettes bon marché "Prima" ?
Malgré toute la bonté de son cœur, Grampa était un farouche ennemi de Dieu. Il se disputait constamment avec ma mère, maudissant Dieu et essayant de prouver qu'il n'existait pas :
"Si votre Dieu existe et qu'il est si bon et si juste, pourquoi avons-nous encore des guerres et pourquoi des enfants sans défense continuent-ils à mourir ? Pourquoi ne descend-Il pas du Ciel et ne frappe-t-il pas de son poing sur tout le monde ? Quel genre de Dieu est-Il pour n'avoir aucune compassion pour nous ?!"
Il était inutile d'argumenter avec Grand-père sur ce sujet. D'ailleurs, il ne pouvait pas vraiment écouter son adversaire, qui s'entêtait à vouloir prouver son point de vue. Il faut savoir que Grampa était un homme intelligent et cultivé qui se rendait régulièrement dans une bibliothèque et avait probablement lu tous les livres qui s'y trouvaient. Ainsi, lors de ses disputes avec ma mère, il contrait habilement ses arguments en citant la Bible, puisqu'il avait lu le Livre des livres plus d'une fois.
Et voilà que j'ai moi-même vingt-cinq ans, alors que mon grand-père en a plus de quatre-vingts. Il est toujours le même vieux et féroce combattant de Dieu et il ne supporte pas la vue des "prêtres", mais maintenant il m'a comme adversaire dans ces arguments. Mais comme je ne sais pas argumenter, je préfère me taire, et ses tentatives d'argumentation se transforment rapidement en monologue. Grand-père est également gravement malade : il souffre d'un cancer de la langue et de la gorge. Je me suis souvent demandé si cette maladie l'avait frappé parce qu'il avait blasphémé Dieu. Mais Grampa a supporté sa maladie avec constance et sans se plaindre, même s'il n'a jamais fait la paix avec Dieu.
"Je vais mourir, mais ne laissez pas ces "prêtres" s'approcher de moi !" annonçait-il, menaçant, chaque fois que la conversation tournait autour de la foi et de l'Église.
Le jeûne de la Nativité commença.
Le grand-père se sentait de plus en plus mal. Il ne pouvait plus parler, manger ou même boire. Il était maintenu en vie par des perfusions. La mort le regardait en face en souriant avec avidité - eh bien, cette fois-ci, c'était la bonne. Les proches du vieil homme venaient déjà à la maison de mon grand-père.
"Il est déjà en train de mourir... On pourrait peut-être inviter un prêtre ?" demandai-je, penaud, à l'oncle Vitya, le fils de mon grand-père.
"Tu plaisantes ? On te l'a déjà dit. Il le mettra à la porte !"
J'ai reculé. Mais ma tante Valya n'a pas reculé et elle est entrée dans la chambre du mourant. Elle s'est assise à côté de grand-père, lui a passé les bras autour des épaules et lui a demandé chaleureusement : "Oncle Sacha, et si on invitait le batiouchka [prêtre]? Nous en avons un bon." Grampa regardait par la fenêtre les quelques flocons de neige de décembre qui recouvraient la terre grise et inanimée, puis, à la surprise générale, il accepta : "Oui !
C'était le comble ! Tous les "nôtres", c'est-à-dire les croyants, se levèrent et firent avancer les choses rapidement ! Nous appelâmes le père Fiodor : "Batiouchka, il n'y a pas de temps à perdre ! Et s'il changeait d'avis ou, pire, s'il mourait ?
Le père Fiodor abandonna tout ce qu'il faisait et arriva rapidement. Il commença par les sacrements de l'onction et de la confession. Nous nous rassemblâmes tous devant la porte, craignant que grand-père ne nous fasse un tour pendable. Mais tout se passa bien. Le seul problème était que Grampa ne pouvait plus recevoir la Communion, car il ne pouvait déjà plus avaler. Après les sacrements, Batioushka discuta longuement avec Grampa, qui répondait par un hochement de tête. Batouchka partit, mais Grampadevint soudain comme un homme transformé. Il était évident qu'il voulait que nous le laissions tranquille. Nous avons tourné Grampa sur le côté et sommes partis prendre un thé. Lorsque nous revînmes, Grampa était déjà mort.
Qu'est-ce qui fait un miracle ? Est-ce qu'une montagne se déplace ? Ou lorsqu'une branche sèche se met à fleurir ? Ou quand un mort revient à la vie ? Tout cela est arrivé à mon grand-père.
Dieu n'a pas permis à sa bonne âme de périr, et Il lui a rendu visite pour le réconcilier. Voilà ce qu'est un vrai miracle ! C'est un peu comme si on sautait dans le dernier wagon d'un train en partance, et il est effrayant de penser à ce qui se serait passé si mon grand-père n'était pas monté à bord. Toute sa vie, il a cherché la justice en Dieu, mais il a trouvé une profonde patience, de la miséricorde et un amour inconcevable. Que le Seigneur ait pitié de son âme !
Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après
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