"Dans la confusion de notre époque quand une centaine de voix contradictoires prétend parler au nom de l'Orthodoxie, il est essentiel de savoir à qui l'on peut faire confiance. Il ne suffit pas de prétendre parler au nom de l'Orthodoxie patristique, il faut être dans la pure tradition des saints Pères ... "
Père Seraphim (Rose) de bienheureuse mémoire

mercredi 5 juillet 2023

Anna Berseneva-Shankevitch: IGOR DMITRIEVICH, LE JUSTE SILENCIEUX

Kolya est un autel. Artiste : Mikhail Poletaev

Lors de la Semaine de la Toussaint, le recteur de l'église d'Igor de Chernigov, à Peredelkino, prononça un sermon selon lequel les saints ne sont pas des personnes spéciales dotées de dons particuliers. Ils étaientdes gens comme nous, mais ils avaient un désir ardent d'être sauvés. Et le Seigneur les a élevés à la sainteté.


En écoutant ce sermon, je me suis souvenu d'un homme dont la vie ne peut pas être qualifiée d' impeccable, mais de nombreux saints étaient aussi pécheurs. Marie d'Égypte, le Bon Larron, l'apôtre Paul - beaucoup ! Et je voulais me souvenir du chemin d'Igor Dmitrievich pour me rappeler tout d'abord que le chemin de la sainteté est possible de n'importe où dans nos vies. Et de nombreux péchés et erreurs commis ne sont pas un obstacle pour elle.

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Igor Dmitrievich naquit en 1942 dans une famille cultivée de Moscou.Son enfance marquée par la faim pendant la guerre affecta son apparence : sa grande taille accentuait sa maigreur, ses joues toujours creuses, qu'il dissimulait à un âge avancé par une barbe. Sa famille était composée de non-croyants, il n'était ni baptisé ni amené à l'église. Le milieu dans lequel il avait grandi n'était pas en contact avec la religion, mais sa foi l'intéressait beaucoup ; il commença même  à lire des livres antireligieux, au moins pour y puiser une certaine connaissance de Dieu.

Dans sa jeunesse, il fut fasciné et happé par la vie sociale. Week-end au Cinema House, vacances à Jurmala, rencontres avec des célébrités. Un mariage, un autre mariage. Il eut cinq enfants issus de ces deux mariages. À l'âge de 30 ans, la frivolité séculière l'ennuya, et il prit la décision consciente de se faire baptiser. Le Seigneur amena Igor à l'église d'Elokhov pour servir de servant d'autel. Il prit cette obédience très au sérieux : il écrivit toutes les nuances du service auprès du régisseur de la cathédrale dans un épais carnet. Ce carnet lui servit plusieurs années.

Un jour, une jeune fille vint à la cathédrale d'Elokhov. Son amie Nina lui avait parlé d'Igor ; et maintenant Nina mourait d'un cancer. La jeune fille venait demander à Igor comment préparer une personne à la mort - et il n'y avait personne d'autre à qui demander. Il fit rn sorte que le prêtre vienne confesser et communier la mourante. Il lut lui-même le Psautier à son chevet le jour où elle alla au Seigneur. Le 27 janvier est la date de la fête de Sainte Nina, et la nuit même où elle mourut. Igor aida à organiser des funérailles ; la communication avec l'amie de Nina se poursuivit - la jeune fille vint à son église pour demander des livres.

Il avait profondément été affecté par deux mariages ratés, bien qu'il ait été constamment en contact avec ses cinq enfants, les avait baptisés et avait essayé de les rechristianiser. Un seul fils n'avait pas eu le temps de d'être baptisé - à l'âge de 17 ans, le garçon était mort dans un accident de voiture. À la recherche d'un autre mode de vie, Igor pensa au monachisme ; pour finalement décider, il alla vivre dans l'un des monastères. Il aidait un moine qui allait dans les églises pour officier, était son lecteur, portait des sacs avec des livres liturgiques. Souvent, ils marchaient d'un village à l'autre, où le Père devait baptiser ou chanter. Mais Igor ne se réfugie pas dans le monastère et retourna à Moscou. Il décida de me remarier, cette fois de façon chrétienne. De toutes les jeunes filles qu'il connaissait, il choisit celle avec qui il avait accompagné Nina vers la vie éternelle. Ludmila hésita pendant longtemps à se marier, mais  finalement elle accepta.

Il a dit qu'il voulait trois enfants pour les élever dans la foi chrétienne. Il avait une telle mission en général - amener les gens au Christ : il  baptisa beaucoup de ses connaissances, dont certaines devinrent prêtres par la suite. Igor avait une foi très vivante ; les gens sentaient l'authenticité en lui et y répondaient.

Comme Igor le souhaitait, Ludmila et lui eurent trois enfants, deux garçons et une fille. Au début, ils vivaient dans le deux-pièces de Ludmila, mais lorsque la sœur de celle-ci revint de Cuba, ils décidèrent d'emménager dans le une-pièce d'Igor. La sœur de Ludmila était médecin et le couple estima qu'elle avait besoin de se reposer à la maison plutôt que de s'occuper de ses bruyants neveux, même si sa sœur les aimait beaucoup et leur consacrait beaucoup de temps.

Ils vécurent dans cet appartement d'une pièce pour le reste de leur vie. L'un des fils se souvient qu'ils vivaient très tranquillement, sans conflit, ce à quoi on pouvait s'attendre lorsque cinq personnes vivent dans un espace limité. Igor avait d'excellentes compétences organisationnelles ; dans sa jeunesse, il avait fait beaucoup d'expéditions géologiques et là, il avait acquis les compétences nécessaires pour organiser l'espace autour de lui. Dans l'appartement, il adapta chaque mètre pour que tout le monde soit à l'aise. Il fit lui-même fait une étagère de planches pour une grande bibliothèque. Chacun des enfants reçut un coin pour avoir son propre espace ; chacun avait un lieu de travail séparé pour les leçons. Le milieu fut laissé libre pour que les enfants puissent jouer, ne se sentaient pas contraints. Au fur et à mesure que les enfants grandissaient, Igor leur inventait toujours quelque chose, changeait quelque chose pour les les mettre plus à l'aise.

Et surtout, il était constamment engagé dans leur éducation. Il leur faisait beaucoup de lectures, il leur parlait des fêtes de l'Eglise, leur présentait les Écritures, et la vie des saints.

À la fin de sa vie, Igor Dmitrievich servit comme intendant au monastère de Zaikonospassky. Il connaissait bien la charte pour avoir été enfant de chœur dans la cathédrale d'Elokhov - alors son épais carnet était utile. Quand il tomba malade, il fut nommé bibliothécaire ; il commandait des livres pour le monastère, consultait les catalogues.

Après un accident vasculaire cérébral important, Igor Dmitrievitch fut handicapé. Il vécut pendant de nombreuses années, se surmenant - c'était même difficile pour lui de lever la main, mais il allait en métro à l'office. Quand il n'avait pas du tout de force, ma femme le conduisait en taxi pour se rendre é l'église la plus proche. Igor Dmitrievitch affirmait que l'office lui donnait de la force. Il quittait la maison avec un bâton et une chaise pliante. Il faisait quelques pas...se reposait... Et après le service et la Communion, il reprenait le bâton et la chaise, et rentrait chez lui comme transformé.

La dernière année de sa vie, il fut allongé pendant 8 mois, il ne pouvait même pas manger à table. Mais il se ressaisit pour Pâques, passa le service de nuit dans l'église, communia. Il resta pas au lit pendant la Semaine Lumineuse.

La dernière semaine avant la Trinité [Pentecôte], Igor Dmitrievitch s'est à nouveau allongé. Pour la Trinité, sa femme alla à l'église le matin. Elle pensait que son mari dormait encore. Elle se lava, sortit de la salle de bain - et il était agenouillé près de son lit,  la tête dans ses mains : il priait toujours comme ça le matin. Elle l'appela : "Igor !" - il ne répondit pas. Elle appela une ambulance ; ils vinrent et confirmèrent sa mort.

Les funérailles du serviteur de Dieu Igor furent célébrées dans le monastère de Zaikonospassky, où il servit pendant de nombreuses années. Igor Dmitrievitch est décédé devant le Seigneur à l'âge de 70 ans. "Les jours de nos années s'élèvent à soixante-dix ans..." (Psaume 90:10).

***


Ni la jeunesse frivole, ni les conditions de vie difficiles, ni la maladie grave ne devinrent un obstacle pour lui sur son chemin vers le Christ. Igor Dmitrievitch utilisa ces circonstances comme un point d'appui, à partir duquel il trouva Dieu dans sa vie et alla vers lui lors d'une prière tranquille par une grande fête. Il fut béni d'une mort sans douleur, sans honte et paisible, ce que tout chrétien demande au Seigneur...


Version française Claude Lopez-Ginisty

d'après

Pravioslavie.ru





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