"Dans la confusion de notre époque quand une centaine de voix contradictoires prétend parler au nom de l'Orthodoxie, il est essentiel de savoir à qui l'on peut faire confiance. Il ne suffit pas de prétendre parler au nom de l'Orthodoxie patristique, il faut être dans la pure tradition des saints Pères ... "
Père Seraphim (Rose) de bienheureuse mémoire

samedi 23 juillet 2022

COMMENT UNE VISITE DANS UNE ÉGLISE A CHANGÉ LA VIE DE L'HIGOUMENE MEGALOSCHEME TAMARA


 

Le 23 juin est la fête d'une sainte géorgienne, sainte qui confessa sa foi orthodoxe, Famari [Tamara] Mardzanova, décrite par le peintre russe Pavel Korin dans son ouvrage "Russia Leaving".

Tamara Alexandrovna Mardzhanishvili (Mardjanova) naquit le 1er avril 1868, dans l'une des familles les plus illustres de Géorgie. Son père, le colonel Alexander Mardzhanishvili, et sa mère, Elisabeth née princesse Chavchavadze, étaient de fidèles chrétiens. Ils donnèrent à Tamara une brillante éducation profane. Son frère Constantin devint un acteur célèbre, metteur en scène et fondateur du théâtre géorgien. Tamara,  chanteuse douée, se préparait à entrer au Conservatoire de Saint-Pétersbourg.

À vingt ans, Tamara perdit ses parents et hérita d'un grand domaine. Elle était riche et belle. Des prétendants des familles les plus célèbres de Géorgie demandèrent sa main en mariage. Mais l'intervention de la Divine Providence changea le cours de sa vie.

Un jour, en visite à sa tante à Signy, elle entendit parler d'un monastère de Bodbe récemment ouvert. Elle rejoignit un groupe de jeunes gens pour un voyage touristique là-bas. Ils arrivèrent au milieu d'un office quotidien. L'higoumène lisait le canon au lutrin du chœur, assistée d'un groupe de moniales. Le reste de sa compagnie sortit, mais Tamara resta à l'église.

Une transformation mystérieuse se produisit en elle par l'œuvre de l'Esprit Saint. Elle entra dans l'église en tant que célébrité laïque et la quitta comme moniale de cœur. Les mots ne peuvent pas décrire ce qui se passait dans son cœur. Elle était fascinée par l'atmosphère du culte et la beauté de l'église, mais ce n'est pas l'excitation de l'office qui la poussa à devenir moniale. La volonté de Dieu ne se fait jamais dans une passion, ou sous l'impulsion du moment. Ce n'est jamais le résultat de délibérations logiques. La volonté de Dieu entre dans le cœur comme une vérité, sans doute ou questionnement. Tamara trouva la volonté de Dieu de cette manière. Elle savait que la vie monastique était sa vocation, elle allait devenir moniale.

Lorsque le service fut terminé, Tamara s'approcha de l'higoumène et  partagea son intention de la rejoindre. Son neveu de quatorze ans entendit la conversation. Il courut dehors et en parla aux amis de Tamara. Ils l'accueillirent avec moquerie et dérision. Personne ne la prit au sérieux.

Mais Tamara était sérieuse dans sa décision de se consacrer à suivre Dieu. Conscients de cela, tous ses proches se donnèrent beaucoup de mal pour lui faire abandonner son plan « fou ». Ils l'emmenèrent dans des théâtres, des concerts, des bals et des rassemblements sociaux. Déjà moniale dans ses années de vieillesse, elle dit ceci à propos de ces moments : "Ils m'emmenaient dans un théâtre, et je tenais un chapelet dans ma main cachée dans une poche."

Tamara rejoignit un couvent, malgré la persuasion et les supplications de ses proches. Ils persistèrent dans leurs tentatives de la faire changer d'avis. Pendant de nombreuses années, ils lui envoyèrent des lettres l'incitant à rentrer chez elle sous le faux prétexte de s'occuper de certaines affaires urgentes. Mais leurs stratagèmes furent vains. En raison des objections de sa famille, Tamara rejoignit un couvent, et fut tonsurée sous le nom de Juvénalia. Certaines sœurs virent une colombe blanche descendre sur elle à sa tonsure.

En 1902, l'exarque de l'Église géorgienne nomma Mère Juvénalia higoumène du monastère de Bodbe. Pour elle, les années de son service en tant qu'higoumène furent le meilleur moment de sa vie. Mais les troubles révolutionnaires atteignirent sa patrie, la Géorgie. En 1905, un groupe de révolutionnaires géorgiens hostiles à l'Église s'approcha de la moniale Juvénalia et la menaça de représailles. Ils étaient en colère contre le travail de son monastère pour aider les paysans géorgiens pacifiques harcelés par la jeunesse géorgienne à l'esprit révolutionnaire.

La terreur rouge se préparait. Les assassinats de personnalités politiques et religieuses commencèrent. En route pour Tiflis, sa voiture fut la cible de tirs des révolutionnaires géorgiens. Son cocher, son gardien et tous les chevaux furent tués. La Mère Supérieure éleva au-dessus d'elle l'icône du vénérable Séraphim de Sarov, son saint préféré, et s'écria : « Vénérable Père Séraphim, sauve-nous. Par les prières du staretz, Mère Juvénalia et la religieuse qui l'accompagnait restèrent en vie.

Craignant pour sa vie, ses supérieurs la nommèrent prieure de la paroisse de la Sainte Protection à Saint-Pétersbourg. Elle n'avait pas accepté le déménagement, mais y voyait un signe de la Providence de Dieu pour elle. Par son transfert, elle se lia d'amitié avec des personnes dont les fidèles de l'Église répètent encore les noms avec beaucoup de respect et de crainte. Beaucoup furent glorifiés en tant que nouveaux martyrs et confesseurs de l'Église.

Certains de ses amis les plus proches et les plus cordiaux étaient la sainte royale martyre Elisabeth Fiodorovna Romanov, les vénérables startsy Alexis Zosimovsky et Gabriel Sedmiezersky, le staretz Anatole d'Optina, l'archimandrite Tovia, higoumène de la Laure de la Sainte Trinité-Saint Serge. Toutes ces amitiés renforcèrent la jeune higoumène dans sa foi et sa vie monastique. Les amitiés avec l'évêque Arseny (Jadanovsky), higoumène du monastère de Tchudov au Kremlin, et son frère dans l'esprit l'archimandrite Séraphim (Zvezdinsky) furent particulièrement influentes. Pendant plusieurs années, le saint et juste Jean de Cronstadt fut son père spirituel.

En 1915, l'évêque Arseny (Jadanovsky) tonsura l'higoumène Juvénalia dans le Grand Schème sous le nom de Tamara. Le schème et l'ermitage étaient ses rêves de longue date. Elle voulait vivre dans la prière sous la protection de saint Séraphim. Pourtant, Dieu avait un plan différent pour elle. La Mère de Dieu lui apparut trois fois dans ses visions lui ordonnant d'établir la skite de Serafimo-Znamensky dans le village de Bityagovo en dehors de Moscou.

Peu après sa tonsure en tant que moniale mégaloschème, elle priait devant l'icône de la Mère de Dieu du Signe en lui demandant son intercession dans son désir de se retirer dans un ermitage. En réponse, il lui fut dit : "Non, tu devras établir une skite pour toi-même et pour les autres". Au début, la religieuse mégaloschème  prit cela pour une tentation - ce commandement était en contradiction avec son désir de vivre dans la solitude et la prière. Elle se rendit à Zosimova Pustyn pour demander conseil spirituel au père Alexis, ermite. Il l'entendit et déclara qu'elle devait suivre le commandement de la Mère de Dieu et construire la skite. Elle reçut les mêmes conseils du staretz Anatole d'Optina et de l'higoumène de la Laure de Saint Serge, le père Tovia.

Skite de Serafimo-Znamensky 


Par obéissance à la Mère de Dieu, Mère Tamara établit la skite Serafimo-Znamensky, fermée par les bolcheviks en 1924 et rétablie en 2011. Après la fermeture de la skite, la moniale mégaloschème Tamara  déménagea avec dix autres moniales dans le village de Perkhushkovo où elles établirent un monastère de maison.

En 1931, elle fut arrêtée. Les prisonniers de sa cellule étaient accusés d'infractions politiques et pénales. Pourtant, son esprit magnanime et sa générosité lui valurent le respect et la bonne volonté de chaque prisonnier. Tout le monde la traita avec amour et respect.

Elle fut condamnée à l'exil en Sibérie, où elle purgea sa peine à deux cents kilomètres d'Irkoutsk. Elle vivait dans une simple cabane paysanne, où elle occupait un petit espace derrière le fourneau. Le propriétaire de la maison et son fils l'aimaient beaucoup. Longtemps après la fin de son exil, ils s'écrivirent encore. Le petit Vanya, fils du propriétaire, écrivit : « Tu me manques beaucoup. J'ai maintenant un accordéon, et j'aimerais que tu puisses m'entendre jouer." Après avoir lu cette lettre, Mère Tamara fit remarquer avec un sourire : « Dieu a eu pitié de moi ! »

Comme tous les autres exilés, elle devait se rendre au commissariat local deux ou trois fois par mois pour signer ses papiers. Au début, le commissaire la traitait avec dureté et hostilité. Mais son regard et sa détermination spirituelle changèrent finalement  son attitude. Il s'adoucit et conversa avec elle. Lorsque son exil prit fin et que Tamara vint pour sa dernière visite, le commissaire se sépara d'elle chaleureusement et dit qu'il était triste de ne plus la revoir. Il l'accompagna jusqu'au porche et se tint là à la regarder s'éloigner.

Dans sa vieillesse, elle souffrit de maladie pulmonaire. Elle était revenue de son exil en mauvaise santé. Ses médecins lui diagnostiquèrent  une tuberculose, qui sapait son énergie vitale. Elle mourut le 23 juin 1936 et fut enterrée à l'entrée du cimetière de la Mère de Dieu à Moscou, non loin de la tombe du père Alexis Metchev. Avec la bénédiction de Vladyka Arseny (Jadanovsky), une épitaphe fut écrite sur sa tombe qui disait : "Celui qui croit en Moi aura la vie éternelle".

Elle fut glorifiée par l'Église orthodoxe géorgienne en 2016. Ses reliques, découvertes en juin 2018, furent transférées à la skite de Serafimo-Znamensky, skite qu'elle avait établie, et elles y sont restées à ce jour.

Version française Claude Lopez-Ginisty

d'après

THE CATALOGUE OF GOOD DEEDS

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