"Dans la confusion de notre époque quand une centaine de voix contradictoires prétend parler au nom de l'Orthodoxie, il est essentiel de savoir à qui l'on peut faire confiance. Il ne suffit pas de prétendre parler au nom de l'Orthodoxie patristique, il faut être dans la pure tradition des saints Pères ... "
Père Seraphim (Rose) de bienheureuse mémoire

lundi 21 mars 2022

Père Ilie Lăcătușu : L'HOMME DE DIEU 1909–1983

+ 22 juillet (1983)
     

Dans le cimetière de la Dormition de la Mère de Dieu dans la banlieue de Bucarest, en Roumanie, dans une petite crypte se trouvent les reliques incorrompues de Père Ilie Lăcătușu, l'un des nombreux confesseurs des prisons communistes. Depuis le 29 septembre 1998, date à laquelle ses reliques ont été exhumées, des multitudes de chrétiens fidèles se sont dirigés vers son reliquaire, lui racontant leur douleur et leurs peines. Son corps pèse huit kilogrammes et toutes les caractéristiques des saintes reliques : une peau incorrompue, parfumée, sèche et légère, de couleur noisette, préservant ses traits, n'évoquant pas la peur mais plutôt la joie spirituelle chez ceux qui les regardent, et donnant l'impression d'un homme endormi.

Père Ilie était un prêtre sanctifié non pas au milieu du désert, mais au milieu de la persécution communiste, supportant avec humilité et sans compromis les humiliations de la vie carcérale. Il fut arrêté à différentes époques et connut le régime sévère de Canal, faisant partie d'une brigade de prêtres destinés à l'extermination. 

Après avoir travaillé dans les camps de travail de Galeș et de la péninsule, il tomba gravement malade et fut envoyé à Târgu-Ocna, où il trouva une atmosphère de prière et d'amour fraternel. Libéré pendant une courte période, il fut arrêté à nouveau et envoyé à Periprava, dans la région du Delta, où il fit preuve d'un certain discernement spirituel. Le staretz Iustin Pârvu était également là à cette époque et il raconta des événements connexes dignes d'être inclus dans La Vie des Saints - de grands miracles que Dieu a accomplis dans les camps pour ceux qui Le confessaient.

Père Ilie Lăcătușu est restée dans la mémoire de ceux qui l'ont connu comme un homme de prière. Ceux qui avaient des yeux pour voir observaient qu'étant indifférent aux choses qui se passaient autour de lui, il gardait sans cesse son esprit en Dieu, dont il invoquait le Nom en tout temps. Il ne parlait pas beaucoup, mais ses paroles avaient une grande puissance, transmettant la Grâce à ceux qui l'écoutaient. Il a soutenu par la prière et ses paroles, avec douceur et bonté, de nombreuses âmes faibles sur le chemin du Golgotha, les élevant vers Dieu. 

Après sa libération, il travailla pendant un certain temps comme maçon à Bolintin, près de Bucarest. Le Seigneur voulait affiner son serviteur dans la fournaise des tentations, et comme un autre Job, ses enfants furent enlevés de cette vie un par un, ne laissant derrière lui qu'une seule fille sur les cinq qu'il avait. Père Ilie reçut également  cette épreuve avec foi, s'abandonnant entièrement à la volonté de Dieu. Après plusieurs années, il reprit avec humilité le service du sacerdoce dans les villages de Gârdești et Cucuruzu, devenant un exemple de prière et de bonnes œuvres pour les chrétiens fidèles qui s'y trouvaient.

L'Esprit de Dieu était avec Père Ilie, comme le dit le Seigneur, « Voici sur qui je porterai mes regards: Sur celui qui souffre et qui a l'esprit abattu, Sur celui qui craint ma parole. » (Isaïe 66:2)

 

Dans le lac de montagne gelé : le témoignage du staretz Iustin Pârvu

Je suis resté avec Père Ilie Lăcătușu pendant quatre ans à Periprava dans la région du Delta. Il se distinguait en général par sa force intérieure et son silence. Il était rare de l'entendre parler, mais quand il le faisait, ses paroles avaient une grande importance. La plupart du temps, il nous exhortait à prier quand nous étions en danger. En ce qui concerne cet homme, je peux dire en vérité qu'il avait le don de l'humilité. Cherchant tout le temps à passer inaperçu, il se tenait comme l'homme le plus insignifiant.

Je veux vous raconter ce qui s'est passé le 30 janvier 1962, jour de la fête des Trois Saints Hiérarques Basile, Grégoire et Jean. Ce fut un matin brumeux et froid, un brouillard et une humidité qui frappaient  tout le corps. Nous étions vêtus d'uniformes rayés caractéristiques des prisonniers : seulement un manteau et une chemise déchirée, que nous portions, que ce soit à plus de 37 degrés ou moins 17 degrés à l'extérieur. C'était au milieu de l'hiver pendant un terrible gel. Les autorités furent très menaçantes le matin lorsque nous avons quitté la colonie en direction du chantier. Je ne les avais jamais vues monter à cheval, mais cette fois tous les gardes étaient montés et armés de pistolets.

À notre grande surprise, à moins de deux cents mètres de l'endroit habituel où nous ramassions des roseaux destinés à l'Allemagne, ils nous orientèrent dans une autre direction. Dans cette direction, on trouvait un lac d'une superficie d'environ mille mètres carrés, et au centre du lac poussait un tas de roseaux, un beau bouquet, dense et copieuxeux. Et, mes chers, une fois arrivés là-bas, chacun de nous reçut l'ordre d'entrer dans le lac et de ramener deux gerbes de roseaux. Je me souviens avoir demandé : « Monsieur, comment pouvons-nous entrer directement dans l'eau ?! Nous ne sommes pas capables de couper les roseaux là-bas ! » Nous marchions habituellement sur la glace pour faire la récolte ; c'est ainsi que nous avions travaillé jusque-là. « Si l'un d'entre vous  discute et ne se met pas à l'eau, nous vous tirerons dessus sur place ! » Pourtant père Ilie eut une parole très ferme, et il nous encouragea tous à faire preuve de bravoure. « Nous nous mettrons à l'eau parce que ces hommes ont de mauvaises intentions ; ils nous tireront dessus. Entrons dans l'eau, car la Mère de Dieu et les Trois Saints Hiérarques nous en tireront indemnes. » Et c'est ce que nous avons fait, nous sauvant de cette situation très dangereuse.

Nous sommes d'abord entrés jusqu'aux chevilles, puis jusqu'aux genoux, puis à la taille, et finalement nous avons atteint l'endroit où nous devions commencer à couper. 

L'eau froide nous frappa jusqu'aux os. Nous avions tous à l'esprit les quarante martyrs de Sébaste. « Ce n'est pas grave, pensâmes-nous, nous serons victorieux ! » Chacun de nous collecta une gerbe de roseaux et s'en retourna. Mais ce n'était pas suffisant, ils en voulaient une autre. Ils commencèrent à appuyer sur la gâchette afin de nous intimider. Nous y sommes allés, nous avons ramassé une autre gerbe et ensuite une autre. 

Il était près de midi quand nous avons terminé la troisième gerbe. Ce qui est important, cependant, c'est que lorsque nous sommes revenus avec la dernière gerbe, le soleil est sorti, éclairant et réchauffant les environs à vingt-six degrés. Ce fut un miracle qui nous apporta la plus grande joie. 

Et puis j'ai dit que Père Lăcătușu était un homme spécial. Je vous dis qu'aucun d'entre nous n'est tombé malade ou n'a eu besoin d'être hospitalisé ; ce n'était rien. Tout cela était dû aux prières de Père Ilie, sinon nous aurions tous été morts.

Les gardes se sont aigris et nous ont laissés là. La chaleur devenait de plus en plus forte. Nous avons essoré l'eau de nos vêtements, nous nous sommes lavés et nous nous sommes séchés sur le chemin du retour au camp de travail. Je suis parti de là avec l'émotion qu'en raison de notre incapacité à tenir plus longtemps, Dieu avait fait un miracle. Mais que pensez-vous que ces misérables auraient pu dire ? Quand ils virent qu'après quelques jours, aucun d'entre nous ne tombait malade, ils ont sûrement pensé dans leur stupéfaction : « Ces bandits sont vraiment misérables, même Dieu est avec eux ! »


Version française Claude Lopez-Ginisty

d'après

ORTHOCHRISTIAN

citant 

« Familiaria Ortodoxă » #7(18) / 2010


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