"Dans la confusion de notre époque quand une centaine de voix contradictoires prétend parler au nom de l'Orthodoxie, il est essentiel de savoir à qui l'on peut faire confiance. Il ne suffit pas de prétendre parler au nom de l'Orthodoxie patristique, il faut être dans la pure tradition des saints Pères ... "
Père Seraphim (Rose) de bienheureuse mémoire

dimanche 22 mars 2020

Higoumène Nectaire [Morozov]: LE TRAVAIL ASCÉTIQUE LE PLUS DUR ET LE PLUS IMPORTANT


Quand on pense aux saints, on imagine très souvent que leur vie est un mouvement incessant de la terre vers le Ciel, un continuel aller-retour en force, qui s'est enflammé un jour et ne s'est jamais éteint. 

Et même lorsque nous parlons de ceux qui sont devenus saints après avoir appelé le Christ en tombant dans de graves péchés, noyés dans les péchés et les vices, nous imaginons toujours la même chose : le moment de la repentance, la prise d'une décision ferme et ensuite la poursuite de la voie choisie sans regarder en arrière. Cette image est renforcée par leur vie, dans laquelle seul le contour extérieur de leur ascèse est présenté - l'image générale de la façon dont ils ont procédé pour atteindre leur but le plus important dans la vie. 

Par leur vie, nous ne pouvons pas pénétrer dans leur monde intérieur, ni connaître leurs joies ou leurs peines, leurs faiblesses, ni savoir comment ils ont réussi à les surmonter.

Il n'est donc pas étonnant qu'après avoir fait connaissance - de manière superficielle et surtout formelle - avec la vie des saints et avoir été inspiré par eux, l'inspiration ne dure pas ; en voyant surtout quel abîme énorme, apparemment insurmontable, se trouve entre leur vie et la nôtre, nous tombons dans le désespoir.

Après tout, notre vie n'est pas une ligne droite, ni une trajectoire d'ascension ininterrompue, et elle n'est en aucun cas complètement remplie de lumière. Et il nous est très difficile de croire que ce qui est possible pour nos grands frères l'est aussi pour nous, que nous pouvons suivre leur même chemin, qu'il y a une place dans notre propre cœur pour la sainteté. 

Nous trébuchons toujours sur cette pensée perfide selon laquelle nous sommes complètement différents d'eux. Cette pensée nous fait hausser les épaules, même baisser les bras et ne jamais rien faire de sérieux - ni prier, ni lutter, ni œuvrer dans l’ascèse. Nous faisons tout à moitié, à moitié, formellement et comme si ce n'était tout simplement pas sérieux, uniquement parce que "nous sommes censés le faire", sans croire qu'il est possible de le faire authentiquement, comme cela a été possible pour "eux".

Mais nous devons néanmoins aller à l'essentiel, à ce que les auteurs des Vies et même les saints eux-mêmes n'avaient pas l'intention de nous cacher ; nous devons essayer de comprendre si leur chemin était vraiment si régulier et lisse, s'ils étaient vraiment des saints par nature, ou s'ils le sont devenus très "soudainement", ayant simplement décidé qu'ils seraient désormais des saints. Bien sûr que non, cela signifierait que les paroles du Sauveur, "Le Royaume des Cieux souffre de la violence, et les violents la prennent par la force" (Matthieu 11:12) auraient été adressées à qui vous voulez, mais pas aux saints. Et son commandement : "Par la patience, prenez possession de vos âmes" (Luc 21:19) n'aurait pas non plus été destiné à eux. 

Pourquoi devrions-nous utiliser la force et que devrions-nous endurer si tout cela vient facilement et simplement ? Mais les saints n'ont rien obtenu facilement, et ils n'ont pas dû endurer moins que nous.

Oui, leur vie ne parle généralement pas de cela, mais ils en sont eux-mêmes témoins, si seulement nous lisions attentivement leurs paroles, si noius essayions de les comprendre et si nous trouvions des moyens de les appliquer à notre propre vie.

Quand Saint Séraphim de Sarov dit que "la vertu n'est pas une poire - on ne peut pas la manger tout de suite", il ne se base pas sur l'expérience de quelqu'un d'autre mais sur la sienne propre. Cela signifie qu'il sait aussi ce que c'est que de gratter la surface lisse d'une falaise, puis de glisser et de recommencer à monter.

Et saint Théophane le Reclus en nous assurant que "la première chose que nous devons endurer, c'est nous-mêmes", nos infirmités, nos erreurs et nos chutes, nous informe non pas d'une vérité qu'il a apprise mentalement mais de ce qu'il a vécu lui-même, après avoir fait des erreurs, chuté, réalisé ses propres faiblesses et limites.

Et saint Sisoes, qui a répondu à la question d'un frère tombé sur ce qu'il devait faire, a dit : "Lève-toi. Et si tu tombes à nouveau, relève-toi. Et fais-le jusqu'à la fin de ta vie", a trouvé cette recette universelle non pas en regardant les autres frères. Il l'a sans doute aussi apprise par sa propre expérience d'ascète ; ce n'est qu'en comprenant à quel point vous êtes vous-même faible que vous pouvez apprendre à comprendre les faiblesses des autres et non seulement avoir de la condescendance à leur égard, mais même les aider à surmonter ces faiblesses. Seul celui qui a été tenté peut aider ceux qui sont tentés (cf. Ephésiens 2, 18).

Il me semble que c'est pour le chrétien le labeur ascétique le plus difficile et en même temps le plus important : se relever à chaque fois qu'il tombe. Se relever quel que soit le nombre de ses chutes. Se relever, quelle que soit la gravité de ses chutes. Se relever, et continuer son chemin.

Ce n'est pas simple, il faut une force et un courage énormes. Lorsqu'il semblerait que l'expérience témoigne irréfutablement que rien de bon ne sortira de nous, et que peu importe l'intensité de notre travail, nous nous briserons toujours et le péché suivra, alors comment ne pas être complètement déçu de nous-mêmes, comment éviter de ne pas croire qu'il est utile d'essayer de se corriger ? Après tout, non seulement l'expérience le dit, mais le Diable nous le murmure à l'oreille, remplissant notre esprit de pensées troublantes, et le cœur est empoisonné par ce sentiment amer - le sentiment de notre propre désespoir.

Eh bien... Ce n'est pas vraiment si mal d'être déçu de soi, de se sentir personnellement désespéré - c'est essentiellement une étape nécessaire vers la connaissance de soi. Nous devons seulement nous rappeler que le salut n'est pas l'œuvre de mains humaines ; c'est avant tout l'œuvre de Dieu et seulement secondairement la nôtre. 

C'est de nous que l'on attend de l'intention, du zèle, du travail, une diminution de l'espérance en nous-mêmes et une augmentation de l'espérance en Lui ; et de Lui, la miséricorde et l'amour, l'aide et la Grâce, qui nous réconfortent et nous guérissent.

Et tant que nous n'abandonnons pas nos travaux d'ascèse, tant que nous sommes prêts, après être tombés, à nous relever et à repartir, nous ne sommes pas sans espoir. 

Il existe de nombreuses différences entre nous et les saints, en particulier avec les saints qui ont vécu il y a plusieurs siècles. Nous sommes beaucoup plus faibles, beaucoup plus compliqués, moins sains et en même temps plus fiers et vaniteux. C'est probablement la raison pour laquelle le Seigneur ne nous permet pas de voir les résultats de nos travaux - même s'ils pourraient suivre, ces travaux. 

Il est tout simplement infiniment nuisible pour nous de nous considérer comme "bons" ; même comme "mauvais", nous trouvons toujours quelque chose en nous dont nous sommes fiers et vaniteux. C'est pourquoi nous ne sentons pas de terre ferme sous nos pieds, c'est pourquoi ils s'écartent et ne nous soutiennent pas, et c'est pourquoi nous avançons avec tant d'incertitude et de lenteur. C'est pourquoi nous n'avançons pas.

Mais cela n'annule en rien la loi immuable de la vie spirituelle : Celui qui atteint son but est celui qui prend la résolution de continuer jusqu'à la fin, qui croit que le Seigneur n'abandonnera jamais ceux qui Le cherchent et s'efforcent de Le rejoindre. Ce qui importe n'est pas tant la façon dont les gens nous regardent, ni ce que nous pensons de nous-mêmes. Ce qui est important, c'est ceci : Quoi qu'il nous arrive, quelle que soit la distance qui nous sépare de Dieu, nous devons retourner vers Lui encore et encore et, avec l'espoir de Sa miséricorde, recommencer à œuvrer. Nous devons être prêts à demander pardon et pour la centième, voire la millième fois, tout comme la première fois - avec la foi sincère qu'il n'y a rien d'impossible pour Son amour et qu'Il nous pardonnera sûrement encore et nous recevra.

Et cela restera comme cela a toujours été le cas, tant que nous maintiendrons cette détermination et cette disposition à prendre un nouveau départ, encore et toujours.

Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après

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