Mark Roosien est titulaire d'un doctorat en théologie de l'Université Notre Dame, et chercheur postdoctoral à l'Institut de musique sacrée de Yale et chargé de cours à la Yale Divinity School. Il est diacre de l'Église orthodoxe d'Amérique.
Sainte Marie d'Égypte et Saint Zosime
*
Sainte Marie d'Égypte, dit-on, a reçu la Sainte Communion exactement une fois après avoir fui dans le désert pour se repentir : le jour de sa mort. Elle a passé 17 ans de sa vie dans le désert, privée du Corps et du Sang du Christ dans l'eucharistie. Ce n'était pas une pratique normale à l'époque pour les moniales, les moines et les ascètes. Les premières règles monastiques exigeaient même que les anachorètes - ceux qui vivaient dans des grottes ou des huttes en dehors de la communauté monastique - se réunissent avec les autres pour la Liturgie du dimanche afin de communier avec Dieu et de s'unir à leurs confrères monastiques dans la Coupe du Seigneur. Pourtant, sainte Marie n'était nourrie, comme elle l'a dit au staretz Zossime, que par "la parole de Dieu qui est vivante et active".
La diffusion du COVID-19 a forcé les dirigeants orthodoxes à prendre des décisions difficiles sur la manière et l'opportunité d'organiser des services religieux. Certains ont conseillé que la plupart des gens restent simplement à la maison pour la Liturgie du dimanche dans un avenir prévisible, en particulier les personnes âgées et les personnes immunodéprimées, ainsi que les malades. Pour la plupart, cela signifie un jeûne obligatoire de la Sainte Communion.
Le jeûne de la Sainte Communion, en particulier pendant le Grand Carême, n'est pas nouveau. L'Église apostolique arménienne a longtemps maintenu cette pratique. Dans la plupart des églises orthodoxes orientales, jusqu'à une date récente, de nombreux fidèles ne communiaient pas pendant le Grand Carême avant la liturgie du Jeudi Saint, la commémoration de la dernière Cène.
Mais il s'agit là de coutumes religieuses. Dans les circonstances actuelles de la pandémie de coronavirus, la privation obligatoire de la communion semble différente. N'est-ce pas cruel et inutile ? Après tout, n'avons-nous pas la Liturgie des Dons Présanctifiés les jours de semaine pendant le Carême pour que nous puissions être nourris par le Christ au milieu de nos efforts de jeûne et de prière ? Le Corps et le Sang du Christ, comme nous l'entendons dans les hymnes, est la "fontaine de l'immortalité", un remède pour les maux spirituels et physiques.
Et pourtant, recevoir ce remède lors de la Liturgie du dimanche pourrait causer un préjudice inutile au Corps du Christ, à l'Église. Compte tenu de la période d'incubation indéterminée de COVID-19, les personnes qui se tiennent dans l'église pourraient être des porteurs qui pourraient éventuellement exposer d'autres fidèles au virus. Rester à la maison, loin de l'église et s'abstenir de communier peut être un sacrifice nécessaire pour le bien de l'autre. Nous sommes tous responsables de tous ; comme l'a dit Saint Silouane de l'Athos, "Mon frère est ma vie."
La privation obligatoire de la Sainte Communion pourrait-elle avoir un côté positif ? Ceux qui observent strictement le jeûne du carême orthodoxe en s'abstenant de viande, de produits laitiers et de produits animaux connaissent le plaisir de la première portion du rôti d'agneau à la fête pascale, de la première bouchée de gouda vieilli après la veillée, ou de la première gorgée de vodka. Ces plaisirs sont plus doux après des semaines (et des semaines !) de privation. Le fait de s'abstenir de manger et de boire crée un désir ardent et renforce la douceur de les goûter à nouveau.
S'abstenir du Corps et du Sang du Christ peut également créer un tel désir de la douceur de Dieu. Si l'augmentation de la fréquence de la Communion parmi les chrétiens orthodoxes au cours des dernières décennies est certainement un développement positif dans notre Église, il y a également eu un risque de routinisation. La Sainte Communion peut tout simplement devenir un autre rendez-vous à garder dans son agenda hebdomadaire. La privation obligatoire de la Communion est l'occasion de remettre en lumière la dure et vivifiante réalité du sacrifice eucharistique.
En cette période de pandémie, où nous sommes confrontés à notre propre fragilité corporelle, à notre faiblesse et à notre douleur, la privation du Corps et du Sang du Christ peut nous aider à nous rappeler comment Dieu s'est uni à nous dans la solidarité de notre condition humaine. Jésus a connu l'absence divine. Sur la croix, Il s'est écrié : "Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?" la première ligne du psaume 21/22. Cette affliction, ce sacrifice, le moment le plus bas de la kénose ou du dépouillement volontaire du Christ, est un aspect important du mémorial eucharistique qui est parfois oublié dans l'Orthodoxie, avec son accent sur la gloire de la résurrection.
En méditant sur l'affliction du Christ pendant le jeûne eucharistique, nous pouvons entrer dans Son Samedi Saint, le temps d'attente et de repos entre la crucifixion et la résurrection. Nous l'entendons dans les hymnes du Samedi Saint :
Quel est ce spectacle que nous contemplons ?
Quel est ce repos actuel ?
Le Roi des siècles, qui par sa passion
a accompli le plan du salut,
garde le sabbat dans la tombe,
nous accordant un nouveau sabbat !
Le Fils de Dieu savait ce que c'était que d'être privé de la Présence divine dans son affliction et de son "repos du sabbat" dans le tombeau. Et pourtant, si nous lisons la fin du Psaume 21/22, nous trouvons la douceur qu'Il savait l'attendre, et qui était en fait toujours présente. Le Psaume affirme que Dieu le Père " Qui n’a pas méprisé ni dédaigné la supplication du pauvre ; Il n’a pas détourné de moi Sa Face, et lorsque j’ai crié vers Lui, il m’a exaucé [ version de Père Placide].
Le Christ qui a soutenu sainte Marie d'Egypte pendant toutes ses années dans le désert, qui est "vivant et actif", n'est jamais absent de nous. Mais si nous devons nous abstenir de l'eucharistie pour le bien du Corps du Christ, et attendre sa douceur, nous pouvons méditer sur la solidarité sacrificielle du Christ avec nous dans notre fragilité corporelle et notre affliction et attendre patiemment la promesse de la guérison et de la vie nouvelle. Lorsque nous serons enfin réunis avec le Christ dans son Corps et son Sang, nous comprendrons peut-être plus profondément l'hymne que nous chantons lors de la Liturgie des Présanctifiés à cette époque de l'année, " Goûtez et voyez combien le Seigneur est bon".
Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire