"Dans la confusion de notre époque quand une centaine de voix contradictoires prétend parler au nom de l'Orthodoxie, il est essentiel de savoir à qui l'on peut faire confiance. Il ne suffit pas de prétendre parler au nom de l'Orthodoxie patristique, il faut être dans la pure tradition des saints Pères ... "
Père Seraphim (Rose) de bienheureuse mémoire

vendredi 27 mars 2020

Métropolite Athanase de Limassol, interrogé par Alexandra Nikiforova : "AIMEZ LE CHRIST !"


Ici, à Chypre, on ne l'appelle pas "Votre Éminence" ou "Métropolite", mais "Géronda [staretz]". L'esprit de Vladyka est calme et joyeux. Le lundi lumineux, il a servi dans le monastère de Saint-Georges-Alaman : il a traversé l'église sans se faire remarquer, s'est tenu à sa place, a chanté le canon pascal, est entré au sanctuaire, a servi la Liturgie, a béni tout le monde, a bu du café dans la maison d'hôtes avec les gens et est parti, tout aussi imperceptiblement. Le lundi suivant le dimanche de la Saint-Thomas, il était au monastère de Saint-Héraclès tôt le matin pour confesser les moniales, puis les enfants et les paroissiens sont allés le voir. Je me suis également approché du staretz. J'avais beaucoup de questions en tête sur la façon de vivre la vie spirituelle dans une métropole, mais j'ai vite compris que pour chaque question, il avait une réponse simple : "Aimer le Christ".

Nous présentons cette conversation informelle sans montage afin de montrer le style de communication quotidien du Métropolite Athanase.

Métropolite Athanase de Limassol
  
Ce n'est pas l'endroit où vous vivez qui importe,
mais comment vous vivez!

-Merci Géronda, d’embrasser non seulement vos enfants spirituels à Chypre avec votre amour, mais aussi nous, les Russes. Nous vous aimons beaucoup !

-Pour moi, il n'y a ni Russes ni Chypriotes ; nous sommes tous frères.

-La vie est trépidante à Moscou ; nous courons tous dans tous les sens, et même l'Église ne fait que partie de notre emploi du temps. Nous n'avons pas grand-chose pour l'âme. Vos enfants dans le monde vivent une véritable vie spirituelle. On dit que vous avez apporté l'esprit des anciens athonites sur l'île et que c'est grâce à lui que vous avez renouvelé les monastères de Machairas, de Saint-Héraclès et de Mésopotamie, et que vous avez attiré des étudiants en commençant à converser avec eux il y a une quinzaine d'années à l'université. Quelle expérience avez-vous apportée de la Sainte Montagne ?

-Mon enfant, je n'ai rien fait de spécial. Le Seigneur répand son œuvre. Nous sommes des serviteurs sans valeur, nous n'avons rien fait d'utile.On n'a pas besoin de parler de ce que l’on fait à haute voix. Dieu peut tout faire sans nous. Les Pères athonites, les saints de nos jours, ne voyaient pas de différence à propos du lieu où un homme vit, mais dans la façon dont il vit.

Peu importe que je vive sur la Sainte Montagne, en Russie, à Chypre ou en Amérique. Ce qui compte, c'est la façon dont je vis ! Je peux aussi vivre négligemment sur la Sainte Montagne! Et ne pas réussir. Ou bien je peux vivre à New York et devenir un saint, ou bien je peux vivre à Moscou et devenir un saint. Je peux vivre dans le monastère de Machairas[1] et rester un pécheur. Le style de vie et l'Église comptent. C'est l'Arche du salut. La Sainte Montagne est très précieuse parce qu'elle appartient à l'Église. Les monastères sont précieux parce qu'ils font partie de l'Église. L'Église nous sauve. Partout où l'Église orthodoxe est présente, il y a les Saints Sacrements ; partout où il y a des podvigs chrétiens [exploits spirituels, ascèse spirituelle et des pères spirituels qui nous aident à vivre la vie spirituelle, il y a le salut de l'homme.

L'Église est l'Arche du salut. Ce n'est pas un monastère. Pas la Sainte Montagne. Pas le désert. L'Église ! L'Église sauve le désert et la ville. L'Église sauve chaque personne.

En fait, il n'y a pas de différence entre un moine et un laïc. Extérieurement, oui, il y en a une, mais elle est seulement extérieure. Un moine et une personne mariée ont des conditions de vie différentes, mais en fait leur chemin est unique, car le Christ désire notre cœur - à la fois le cœur d'un moine et le cœur d'un laïc ; à la fois le clerc et la personne simple ; à la fois le marié et le célibataire. Tous doivent aimer le Christ. Quiconque aime le Christ est fiancé à Lui dans son cœur. Peu importe où il se trouve ou qui il est. Bien sûr, c'est plus facile pour les moines - ils ont le silence, l'obéissance, la liberté de se soucier des autres...

-Les offices, la prière...

-Les offices, la prière - et c'est d'une grande aide. Mais l'Église donne les Saints Sacrements à tous et les sauve tous. L'Église nous sauve - un lieu ou les conditions de notre vie ne nous sauvent pas.

Le Christ nous a-t-il pas  dit : "Réjouissez-vous" ?

-Vous et vos enfants spirituels étonnez toujours avec votre esprit calme et joyeux. D'où vient-il ?

-Du Christ [rires]. Le Christ ne nous a-t-il pas dit : "Réjouissez-vous toujours !"? "Réjouissez-vous", a-t-Il dit aux  femmes myrrophores quand Il est ressuscité. Réjouissez-vous ! Le Christ est la joie, la paix intérieure, l'Amour. Si nous ne ressentions pas la joie et la paix avec le Christ, alors qui serait jamais joyeux ?

-Mais tous les chrétiens ne sont pas joyeux !

-Je ne sais pas si tous le sont ou pas. Mais comment pourrions-nous ne pas être joyeux ? La joie, mon enfant, c'est la présence du Christ en l’homme. Par conséquent, nous devrions être pleins de joie et de louange pour Dieu et remercier le Christ pour Son amour et Sa présence dans nos vies.

-Peut-il vraiment y avoir une "obligation" ici ? L'amour est toujours naturel et vient du cœur de l'homme !

-Vivre avec le Christ et l'Église fait exactement cela ! Nous le savons par expérience. Nous le ressentons. Nous n'avons pas besoin de le forcer. Cet amour nous est donné comme un don, mais comme une conséquence naturelle. C'est ainsi qu'étaient tous nos Pères ! Les saints de notre époque – le staretz Païssios, le père Ephraïm, le staretz Joseph [l’Hésychaste], le père Charalampos, le staretz Porphyre - étaient tous des gens joyeux ! Pleins de paix intérieure et d'amour !

Sinon, malheur à nous ! Le Christ est lumière, espoir et joie.

Je ne dis pas "Seigneur, où es-tu ?" mais "Seigneur, au secours !"

Métropolite Athanase de Limassol

-Géronda, comment préserver cet esprit de paix et cette confiance en Dieu dans des épreuves graves et soudaines, comme la mort d'un enfant ou une maladie incurable ? Il y a eu un accident d'avion à Moscou où des gens sont morts...

-Un accident d'avion ? Je n'en ai pas entendu parler.

-Oui, une quarantaine de personnes sont mortes !

-C'est terrible ! Mais nous devons prier, Alexandra ! Prier ! La prière donne toutes bonnes choses à l'âme humaine. Priez. Quand un homme prie, il a la paix dans son âme. Il est naturel que nous soyons affligés et inquiets dans les moments difficiles. Mais nous ne perdons pas la paix dans notre âme, elle reste en nous. Nous faisons face à tout avec patience et prière. La prière nous donne la force d'avoir la paix intérieure.

-Mais pour prier, il faut avant tout avoir confiance en Dieu !

-La prière est toute notre vie. Je ne peux pas prier selon un horaire : matin, après-midi et soir, mais toute la journée, toute la nuit, toute ma vie.

-Oui, il y a une différence ici. Nous ouvrons le livre de prières généralement après minuit, quand nous avons fini nos tâches...

- Priez toute la journée ! Une vie entière de prière ! Pour que Dieu vive en nous toute notre vie, que le Seigneur soit avec nous dans nos cœurs et dans nos esprits. Ce qui est nécessaire, ce n'est pas seulement de prononcer les mots des prières, mais d'avoir le Christ dans nos cœurs. Quel que soit le travail que je fais tout au long de la journée, que ce soit pour obéir, cuisiner, nettoyer, m'asseoir dans mon bureau, conduire une voiture, le Christ devrait toujours être avec moi, dans mon cœur, afin de ne pas L'oublier dans ma vie. Il est inutile de dire nos prières si c'est tout ce que nous faisons ! Je peux avoir la présence du Christ en moi et la mémoire de Dieu sans paroles.

-Géronda, Vous avez le Christ dans votre cœur. Cela signifie-t-il que lorsque quelque chose de terrible arrive, vous ne dites pas, comme nous le faisons : "Seigneur, où es-tu ?"

-Non, je dis : "Seigneur, aie pitié de nous et aide-nous."

-Vous ne voulez pas que Dieu vous explique comment cela a pu arriver ?

-Quelle explication ? Ne sais-je même pas que tout cela est la conséquence du péché ancestral ? La chute de l'homme a apporté la mort dans le monde. Elle a apporté le mal. Elle a apporté la tristesse et le chagrin. Le mal qui se produit a été apporté par le péché, par la chute de l'homme. C'est notre réalité, nous y vivons.

-Et les péchés que nous commettons, sont-ils aussi une cause de désastres et de catastrophes ?

-Oui. Tout d'abord la chute de l'homme, mais aussi nos propres péchés, notre mal. Ce n'est pas la faute de Dieu. Il n'est pas responsable du mal qui se produit autour de nous. La culpabilité réside dans l'abus de la liberté et dans l'état de l'humanité après le péché. Autrement dit, tout ce qui se passe autour de nous est tout à fait naturel pour le monde dans son état après la chute. C'est ainsi que la vie s'organise.

Avoir le Christ dans notre cœur

-D'accord Géronda, j'ai compris que si nous avons le Christ dans notre cœur, il nous sera plus facile de supporter tout ce qui se passe autour de nous tout en préservant la paix en nous-mêmes. Mais comment pouvons-nous avoir le Christ constamment dans nos cœurs tout en vivant dans le monde ?

-Comme une mère - où qu'elle soit, elle se souvient de son enfant. Elle ne l'appelle peut-être pas par son nom - Georges, Alexandre ou Constantin - mais ses enfants - ils sont dans son cœur. Et son esprit est avec ses enfants. Elle ne les oublie jamais. C'est la même chose et même plus avec le Christ ! Il devrait être dans nos cœurs. Et où que nous allions, le Christ ira avec nous.

-Le staretz Germain de Stavrovouni [2] écrit que Dieu entend la prière qui vient d'un cœur pur. Est-il possible pour nous d'avoir un cœur pur ?

-Il s'agit là d'une autre grande mesure spirituelle. Nous sommes impurs. Nous disons simplement : "Seigneur Jésus-Christ, aie pitié de moi", et c'est une guérison pour nous. Ce que dit le saint staretz Germain est pour les personnes en bonne santé. Nous sommes malades. Et comme tout homme malade prend des médicaments pour guérir, nous aussi. Chaque fois que nous disons : "Seigneur Jésus-Christ, aie pitié de moi", nous prenons des médicaments.

-Vous voulez dire que si nous en prenons constamment, c'est-à-dire si nous répétons les mots de la prière, alors quelque chose va changer en nous ?

-Bien sûr ! Mais il va sans dire que nous invoquons le Nom de Dieu dans l'humilité et la repentance.

-Nous n'avons pas d'humilité !

-D'accord, alors offrons à Dieu le peu que nous avons ! Et qu'avons-nous ? Une langue et une bouche qui peuvent dire : "Seigneur Jésus-Christ, aie pitié de moi." Ce que j'ai, je le donne. Le Seigneur ajoutera le reste.

La prière rend le sens de la vie

-Un problème majeur pour l'homme moderne vivant à Moscou est la perte de sens : Nous ne savons pas où nous allons, pourquoi nous vivons - l'homme est perdu ! Que pouvons-nous faire ?

-Nous sommes tous des gens perdus [rires], pas seulement ceux qui vivent à Moscou !

-Mais nos grands-mères n'avaient pas ça !

-Elles vivaient avec un rythme différent. Elles avaient le temps et elles pensaient à Dieu. Le mode de vie moderne nous a pris du temps. Nous courons toute la journée et nous travaillons toute la nuit. Nous sommes constamment au téléphone. Avant, il faisait nuit et les gens fermaient leurs portes et étaient chez eux en toute tranquillité. Nous devons sauver nos âmes sur la base des conditions dans lesquelles le monde moderne nous a placés, en construisant nos vies spirituelles dans ces rythmes de la ville, en invoquant le nom du Christ.

-C'est-à-dire, encore une fois, la prière ?

-Bien sûr, la prière. C'est notre lien avec le Seigneur, la mémoire de Dieu. C'est très important de se souvenir de Dieu partout et toujours !

-C'est une grande vocation !

-Essayez ! C'est facile !

Ce n'est pas le professeur qui est coupable, mais le disciple

-Quel exemple de vie spirituelle les startsy que vous connaissez vous ont-ils montré ?

-Les startsy vivaient dans le monachisme, dans des conditions monastiques, mais ils étaient les pères spirituels de nombreux laïcs. Le staretz Païssios recevait des gens toute la journée. Ils vivaient dans le désert mais étaient en contact permanent avec le monde. C'était la même chose pour saint Séraphim de Sarov ! Les saints Apôtres ! Les saints Apôtres ont conservé le calme intérieur et la prière, bien qu'ils aient éré dans le monde, communiquant à la fois avec les païens et les chrétiens - avec tout le monde ! Avaient-ils le temps de se taire ? Non, mais le silence vivait dans leur cœur ! Le Christ remplissait leurs cœurs et ils servaient les besoins des gens et l'Amour du Christ. C'est la même chose dans un monastère : vous voyez comment les moines ont beaucoup d'obédiences et beaucoup de travail ; ils n'ont pas le temps d'être dans un silence constant. Mais nous ne sommes pas des yogis. Notre salut n'est pas dans la contemplation, mais dans les podvigs [exploits spirituels, acsèse]. Quand je sers mon frère, quand je sers ma famille, quand le Christ est dans mon esprit et dans mon cœur, toujours et partout, c'est là mon salut !

La fête patronale du monastère de St. George l'Alaman

-Et si quelqu'un n'avait pas un bon père spirituel qui lui expliquerait tout cela ?

-Le problème n'est pas que nous n'avons pas de bons pères spirituels, mais que nous ne sommes pas de bons disciples. Un père spirituel vous répète les paroles de l'Evangile. Et quand quelque chose ne va pas, c'est le disciple qui est à blâmer, pas le professeur. J'ai connu les saints Porphyre, Païssios, Joseph, Ephraïm de Katounakia, Papa Charalampos, Jacques d'Eubée, Sophrony d'Essex et Philothée (Zervakos). Ils ne se ressemblaient pas extérieurement, mais ils étaient unis par essence : des hommes de Dieu. Le Christ vivait dans leur cœur. Le Seigneur m'a honoré : J'ai connu de bons professeurs. Mais je ne suis resté qu'un élève de première année ! Et ce ne sont pas les enseignants qui sont à blâmer, mais nous-mêmes.

Je n'aime pas la prise de courant. J'aime la Lumière !

-Géronda, la chose principale qu'ils vous ont apprise, c'est la prière ?

-La chose principale, Alexandra, c'est le Christ. Pas la prière, pas l'ascétisme. Mais pour que le Christ soit dans nos cœurs, la prière est un moyen, c'est comme une prise de courant. L'ascèse, les veillées, le jeûne, c'est la même chose. Ils sont tous comme des prises: Branché dans la prise, la lumière s'allume. Mais pas sans la prise ! Mais je n'aime pas la prise. J'aime la Lumière.

Postface : "Nous prions pour l'Ukraine jour et nuit"

J'étais déjà parti, mais à mi-chemin, j'ai fait demi-tour ! Sachant combien le Métropolite Athanase aime l'Ukraine et Vladyka Onuphre, je lui ai demandé de dire deux mots pour les fidèles d'Ukraine, et il a accepté avec plaisir :

-Je veux dire à nos chers frères, chrétiens orthodoxes, qui sont dans l'Église ukrainienne, que nous les aimons, que nous avons de l'empathie pour eux, que nous prions pour eux, que nous pensons à eux jour et nuit, que nous souffrons avec eux dans les grandes épreuves qu'ils traversent. Ils doivent savoir que dans cette grande tentation, il faut beaucoup de prière et de patience, et la tentation passera. Plus les circonstances sont difficiles, plus l'heure est proche où le Seigneur nous donnera une issue à la situation qui semble aujourd'hui sans espoir. Par la décision du Saint Synode et la bouche de l'archevêque Chrysostomos, l'Église de Chypre a exprimé son soutien à l'Église d'Ukraine et a reconnu l'Église canonique dirigée par le Métropolite Onuphre. Par cette décision, nous avons voulu aider, comme nous le pouvions, à surmonter la situation difficile qui existe aujourd'hui dans l'Église d'Ukraine. Nous prions avec ferveur car il est difficile de trouver une solution humaine dans ces conditions ; mais le Seigneur est au-dessus de toutes les circonstances humaines. Que nos frères, les chrétiens d'Ukraine, aient de l'espoir et restent unis à leur Église canonique, aiment le Christ et l'Église, et restent fidèles à leur Église et à leur Métropolite Onuphre. Que Dieu vous aide à tout surmonter !

Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après

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