"Dans la confusion de notre époque quand une centaine de voix contradictoires prétend parler au nom de l'Orthodoxie, il est essentiel de savoir à qui l'on peut faire confiance. Il ne suffit pas de prétendre parler au nom de l'Orthodoxie patristique, il faut être dans la pure tradition des saints Pères ... "
Père Seraphim (Rose) de bienheureuse mémoire

mercredi 30 octobre 2019

Staretz Daniel de Katounakia: UNE BONNE PERSONNE NE VOIT QUE LE BIEN EN TOUT




Le staretz Daniel de Katounakia parle du staretz Philarète, le grand ermite de la région rocheuse de Karoulia.

La chaussure comme moyen d'humilité

J'ai lu ce qui suit dans "L'histoire Lausiaque" de Palladius sur la vie de saint Horus : "Au début, vivant dans le désert, il mangeait des herbes et de douces racines, buvait de l'eau quand il pouvait la trouver, et passait tout son temps à prier et à chanter." Je pense que c'est une description tout à fait appropriée de la vie ascétique du Père Philarète. Comme l'une des fleurs parfumées qui poussaient sur les rochers de Karoulia, il était un véritable ami de la vertu.

Il marchait toujours pieds nus ; et un jour, notre staretz, le Père Géronte, désireux de vérifier si son amour et sa simplicité venaient de Dieu et non de l'égoïsme, lui dit :

"Père Philarète.."

"Bénis, Geronda !"

"Tu es un hypocrite ! Tu te promènes pieds nus dans un vieux rasson, pour montrer ton humilité !"

"Geronda, répondit le Père Philarète en baissant humblement le regard, oui, je suis un hypocrite ! Que dois-je faire pour me débarrasser de cette infirmité ?"

"A partir d'aujourd'hui, marche avec des chaussures !"

"D'accord, Geronda. Que cela soit béni !"

Après s'être incliné devant lui, le Père Philarète est parti. Il trouva une vieille paire de chaussures quelque part, et, les portant dans ses bras, retourna à son hésychastère Il les mit avant d'entrer. C'était extrêmement douloureux. Après tant d'années de marche pieds nus, ses pieds, habitués à la liberté, ne pouvaient tout simplement pas supporter d'être à leur place dans une paire de chaussures. Mais l'obéissance et l'humilité, comme vous le savez, font des miracles ! La présence de la vertu devient évidente quand votre frère vous contrôle et que vous vous soumettez humblement. Un tel comportement est une flamme ardente pour le Diable !

"Tout va bien maintenant ! Maintenant, tu es un moine très humble," dit Geronda.

"Que cela soit béni, Geronda, que cela soit béni ! répondit le Père Philarète.

Après s'être prosterné, il poursuivit son chemin, trébuchant et marchant doucement, comme un petit enfant...

A côté de l'hesychastère poussait un grand nombre d'herbes sauvages. Le Père Philarète choisissait celles qui étaient comestibles et nous les apportait en nous disant : "Mangez, Pères. C'est de la part de Dieu. Ces herbes devraient être mangées par ceux qui travaillent pour le Seigneur plutôt que par un fainéant comme moi !"

"Je ne peux pas jurer !"

Un jour, un homme portant un rasson vint à lui et se dit diacre. Voyant les vieux livres du staretz, il se mit à les regarder et, avant de partir, il les prit en secret. Il ne savait pas qu'à Daphni, avant de quitter la Sainte Montagne, il y avait une inspection douanière qui vérifiait tout ce avec quoi vous partiez. Il fut arrêté là-bas !

"D'où tiens-tu ces livres ?" lui ont-ils demandé.

"Je les ai eus du... Père Philarète de Karoulia, il me les a vendus ! mentit le diacre pour se justifier, et il continua à le calomnier : "Il vend illégalement des livres anciens !"

La police arriva à l'hésychastère et mena une enquête. Après avoir cru le diacre mécréant, ils portèrent plainte contre le Père Philarète, un saint ascète. Bientôt une assignation à comparaître arriva. La plupart des pères ne savaient pas ce que c'était; de telles procédures matérielles leur sont inconnues. Nous lui expliquâmes ce que cela signifiait pour lui, et il dit : "Mais comment y aller ? S'il vous plaît, emmenez-moi là-bas."

Nous avons fait tout ce qui était nécessaire. Nous avons trouvé des vêtements un peu plus récents, parce que son rasson était trop vieux et usé. Nous avons aussi demandé à un avocat que nous connaissions d'aller au tribunal avec le Père Philarète pour l'aider, et nous avons recueilli de l'argent pour que le Père puisse se rendre à Thessalonique et y être jugé - celui que même le Seigneur, à notre humble avis, ne condamne pas "en ce jour" (Matthieu 7, 22). C'était un homme céleste, une fleur parfumée du désert !

Le Père Philarète dit : "J'obéirai au gouvernement et j'irai pour qu'ils me jugent." Puis il partit pour Thessalonique. Il n'avait pas quitté la Montagne Sainte depuis 58 ans ! Pendant 58 ans, il vécut à Karoulia, vivant des herbes sauvages et de l'eau que Dieu lui avait données. Un homme béni, qui avait atteint un haut degré de vertu, était maintenant en cour de justice en tant qu'accusé. Je ne sais pas comment ça marche là-bas. Je n'ai jamais franchi le seuil de cette institution. Je ne me souviens que de ce que le staretz lui-même nous a dit. Il fut convoqué par le président du tribunal :

"Moine Philarète ?"

"Oui, c'est moi, l'indigne, répondit humblement Philarète en inclinant la tête.

"Pourquoi as-tu vendu ces livres ?"

"Je ne les ai pas vendus ! Un certain frère est venu me voir et les a pris pour les lire. Il les aurait rendus plus tard. C'est ce que je pensais..."

"Père, tu dois donner un témoignage sous serment pour qu'on te croie. C'est l'ordre de la procédure judiciaire."

"Je ne peux pas ! Dans l'Evangile, il est dit : Ne jure pas du tout (Matthieu 5:34)."

"Mais tu dois jurer, mon père."

"Comment cela se fait-il ?"

"Tu dois mettre la main sur l'Évangile."

Alors, le Père Philarète fit trois prosternations complètes et embrassa l'Evangile avec respect...

"C'est assez ?"

"Non, Père, tu dois mettre ta main sur l'Évangile et dire : "Je le jure, etc.".

"Je ne peux pas jurer !"

"Mais si tu ne jures pas, tu iras en prison pour neuf mois !"

"Et mille fois, j'accepte d'aller en prison ! J'attends le jugement éternel du Seigneur pour mes péchés ! Dois-je m'inquiéter pour neuf mois de prison ?"

Le pseudo-diacre était également présent au tribunal. Vêtu d'un rasson coûteux, il se tenait d'une manière importante et hautaine. L'avocat qu'il avait engagé raconta un tas de mensonges. En particulier, il dit : "Est-il possible, M. le Juge, que ce merveilleux ecclésiastique vole des livres à un tel gueux ?"

Finalement, la calomnie et la dissimulation de la vérité inclinèrent le juge du côté du voleur brillant, et le moine-ascète, se présentant devant eux dans une vieille soutane, non habile dans l'art du mensonge, qui n'avait jamais prêté serment auparavant, fut déclaré coupable. Le verdict fut prononcé et la police emmena le Père Philarète en prison.

Les juges se souciaient pas de ce qui arriverait au moine, mais les gens ordinaires oui. Ils recueillirent la somme nécessaire pour payer la caution et faire libérer le staretz de prison. Le Père Philarète, avec sa simplicité habituelle, après avoir remercié tout le monde, retourna à Karoulia, le lieu de ses nombreuses années de solitude. Il nous remercia, nous aussi qui lui avions donné toute l'aide que nous pouvions lui donner. "Merci, Pères", nous dit-il. "Priez pour que le Seigneur me délivre aussi de la prison éternelle !"

D'ailleurs, il était aussi très satisfait de notre avocat, qui l'avait défendu à la cour. Ce saint ermite pensait toujours gentiment à tout le monde. Il nous le dit avec enthousiasme :

"L'Esprit de Dieu demeure dans cet avocat ! Il a tout décrit exactement comme c'est arrivé !"

"Geronda,"  lui ai-je dit, "c'est simplement son travail !"

"Non, insista le staretz, il a l'Esprit de Dieu !"

Je lui ai demandé :

"Geronda, tu as vécu loin du monde pendant 58 ans. C'était comment d'être là -bas alors ?"

Une bonne personne, comme nous l'avons déjà dit, ne voit que du bien en tout. Il répondit : "Que puis-je dire, Pères ? Tous les gens dans le monde sont très bons. Tous, sauf moi, pécheur paresseux, assis dans ces falaises rocheuses et ne faisant aucun travail, n'accomplissant pas la volonté de Dieu !"

Cela dit, il se retira dans sa cellule, glorifiant Dieu de lui avoir envoyé une telle épreuve vers la fin de sa vie pour le salut de son âme.

Une bienheureuse dormition

Un jour, quand il était très vieux, il nous invita à sa cellule avec le Père Acace et nous dit avec joie :

"Soyez en bonne santé, mes enfants. C'est bien que vous soyez venus, parce que je ne vous reverrai plus ! Je pars ce soir... Mais avant que cela n'arrive, j'aimerais que vous me consoliez."

"Comment, Geronda ?"

"Lisez le Psautier pour moi, quelque chose de calmant pour l'âme."

Nous lûmes un certain nombre de psaumes différents, et des larmes de joie coulaient sur les joues de Geronda, et pendant tout ce temps, il faisait sans cesse le signe de croix. Quand on eut fini, il dit :

Et je voudrais vous demander une dernière chose : chantez pour moi l'hymne de la Théotokos : " Il est digne en vérité ". Mais faisons-le en nous levant, comme nous le faisons quand nous chantons l'hymne national de notre patrie !"

Il s'est relevé difficilement. Il était très épuisé et sa peau était devenue presque transparente. Après que nous ayons terminé, le staretz, des larmes de joie dans les yeux, nous étreignant et nous embrassant, dit : "Mes enfants, je vous vois ici pour la dernière fois ! Pardonnez-moi, pardonnez-moi !"

Tout le monde pleurait. Le Père Philarète nous calmait. Nous sommes partis profondément émus. Dans la matinée, nous avons appris qu'il était décédé ! Comme il l'avait prédit...

Nous l'avons enterré au milieu des rochers d'une manière convenable et digne. Pour reprendre les paroles d'un profane, je dirai ceci : une étoile d'ascétisme monastique est sortie sur le ciel du Mont Athos, mais a laissé derrière elle une trace lumineuse, nous montrant comment lutter et rester cohérents dans notre labeur ascétique. Que sa mémoire soit éternelle ! Prie pour moi, Père !

Il arrive souvent que vers la fin de notre vie, le Dieu Tout-Saint nous envoie une sorte d'épreuve qui nous rend meilleurs, et ceux qui nous entourent en bénéficient aussi. Il en fut de même pour le Père Philarète, qui œuvra avec humilité et fut récompensé par Dieu. 

Vous avez entendu, M. Melinos, comment le Diable a tenté de perturber un homme de vertu et de labeur ascétique ; mais le Dieu Très Saint l'a protégé par Sa Grâce, et l'âme de l'ascète n'a souffert aucun mal, mais a été fortifiée dans son amour pour le Seigneur. Cet amour s'enflamma de plus en plus et, avec un zèle croissant, le staretz loua Dieu.

Version française Claude Lopez-Ginisty




Saint Staretz Daniel de Katounakia

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