Hiver. Peu de visiteurs au monastère athonite. En arrivant à la porte, nous sommes accueillis par le responsable de l'hôtellerie (Archontaris) qui nous offre la friandise athonite standard, le raki et un loukoum. Il nous avertit, à notre grande surprise, que dans quelques heures commencera une grande veillée [agrypnie] athonite au catholikon du monastère. C'est un cadeau de Dieu, avons-nous dit, et nous avons pensé à aller nous reposer pour l'office de nuit.
"Où allez-vous maintenant?" on a entendu de la voix du moine tandis qu'il descendait au-dessous dans les jardins pour son service actif (diakonia) ainsi que pour nourrir les animaux, qui faisaient connaître leur faim par leurs cris puissants.
"Nous n'avons nulle part ailleurs où aller, Géronda: soit à la bibliothèque, soit à nos cellules pour un peu de repos."
"Venez avec moi pour que vous ne partiez pas d'ici et que vous vous perdiez", cria le Moine.
"Que cela soit béni", avons-nous dit et nous l'avons immédiatement suivi.
Nous avons traversé le jardin avec sa laitue, ses aubergines et ses énormes citrouilles que nous voyions pour la première fois, et le moine hôtelier nous a amené à l'abri de jardin, sur un balcon de fortune, d'environ 70 à 80 centimètres de large, qui faisait face à la mer Egée. Il a commencé sortir les friandises à sa disposition - café, biscuits, bonbons aux graines de sésame, pain séché - tout en nous guidant à travers la région inconnue.
Soudain, au-dessous du balcon de bois, apparut un moine de style "ragamuffin"*, d'un grand âge, souriant gentiment, tenant un sac de poils tissés sur ses épaules. Nous avons pensé que les ascètes avaient peut-être entendu parler de la Sainte Vigile et étaient arrivés pour y participer.
- Géronda, lui dit le Moine, attends deux minutes pour voir nos invités et que nous puissions nous occuper de toi, viens près de nous et repose-toi, la première fois est difficile.
"Que cela soit béni", a dit l'inconnu au moine et comme l'éclair, il s'est trouvé à côté de nous.
«Je pars pour aller nourrir les animaux, ils ne peuvent plus attendre, ferme la porte et monte tout seul», a déclaré le moine hôtelier, et il est parti.
Pendant un moment le silence a régné, il ne nous a pas parlé et nous non plus, nous ne lui avons pas parlé. Ensuite, nous avons réalisé la grande différence qui existait en ce lieu par rapport au monde. Dans le monde, en ce début d'après-midi, il y a de l'agitation, du bruit, des engagements, du travail, du stress et une course continue. Ici, dans l'état athonite, c'est un temps de silence, une préparation mystique pour le Mystère de la Vie, la Divine Liturgie. Tout a commencé plus tôt, se préparant tranquillement dans le silence complet, l'immobilité, la joie intérieure et la prière mystique du cœur afin de vivre le Mystère, d'expérimenter l'événement, de prendre part à l'étrangeté immense de la Table immortelle pour devenir éternel. diner à la table du Christ, et de là passer dans de nouveaux mondes pour être dignes de vivre le Mystère de la vie future.
C'est alors que nous avons profité de l'occasion pour demander au staretz de nous dire un mot de son expérience. "Qu'est-ce que vous voulez que je dise, quoi que je te dise, ce sera une perte de temps, je n'ai pas de dons et je ne mérite pas ton attention, cependant, dites-moi: que se passe-t-il dans le monde?
"Le monde est rempli de problèmes, Géronda" répondit un enfant en notre compagnie. "Tout le monde est anxieux et personne ne s'intéresse à l'avenir de nos jeunes et de notre pays."
«Ne t'inquiète pas, il y a un Dieu, la fin n'est pas venue, même les anciens invisibles n'ont pas été sauvés, cet endroit en est rempli. Et il a montré au-dessus de nous le vieil homme Athos.
- Qu'as-tu dit, Géronda, qui sont ces invisibles, si tu le veux, explique-nous cela, nous nous y intéressons, en as-tu déjà vu un?
À ce stade, notre anxiété atteignit son apogée, fixant le staretz immobile, comme si nous ne respirions pas du tout. Nous nous sommes demandés comment une question brûlante et d'actualité était naturellement venue sur le tapis, question dont peu d'entre nous avaient entendu parler.
"N'ayez pas peur, Dieu ressuscitera notre nation, il nous met à l'épreuve parce que nous L'avons oublié, méprisant Dieu, vivant loin de Lui, nous avons bâti de faux paradis terrestres et oublié le Paradis Céleste, mais les saints n'ont pas été perdus, ceux qui sont nus, les Pères invisibles de l'Athos, cet endroit en est rempli, quand ils seront perdus, alors ayez peur, car alors viendra la fin du monde.
"Qui sont-ils, Géronda, où vivent-ils, existent-ils encore aujourd'hui?"
"Mon enfant, ce sont les ascètes invisibles, les Athonites nus, les startsy mystiques, qui vivent dans ce jardin de notre Panaghia [la Toute Sainte Mère de Dieu], le Mont Athos."
"Combien y en a-t-il, Géronda?"
"Il y en a beaucoup, certains disent neuf, d'autres sept, d'autres dix, et d'autres encore 12. Ils habitent dans les zones les plus isolées de l''Athos et sont invisibles à nos yeux, ils apparaissent ici et là à qui ils veulent, généralement à des moines qui ont purifié leurs coeurs, mais parfois ils font sentir leur présence aux pèlerins bénis qui mènent une vie chrétienne pure.
Arsenios le Spyléote [qui habite la grotte] disait dans ses histoires que ces anachorètes invisibles et silencieux vivent avec une ascèse stricte et que leur travail consiste en une prière incessante, c'est-à-dire prier avec le cœur pour le monde entier et pour tous ceux qui sont en danger.
Ils ont reçu un don spécial du Seigneur, c'est pourquoi ils peuvent vivre sous un Athos enneigé sans abri, sans vêtements, tout en étant invisibles aux yeux des gens. Il est incroyablement difficile pour les gens du monde de croire, mais au cours des deux cents dernières années, ils se sont de plus en plus révélés. J'ai rencontré dans ma vie monastique des personnes spirituelles et des vénérables startsy, qui ont rencontré devant eux ces soldats invisibles de notre Seigneur.
Dieu a permis encore aujourd'hui, de ces falaises escarpées, de voir émerger de tels ascètes, de vrais anachorètes, qui vivent dans des lieux athonites impassibles, primitifs, simples et maigres, et ils survivent par un miracle de Dieu. En effet, ici, à la Sainte Montagne, il y a une tradition selon laquelle quand ils repose dans le Seigneur, ils sont remplacés par d'autres moines athonites vertueux et ascétiques.
On dit que ces ermites nus seront ceux qui accompliront la dernière Liturgie au sommet de l'Athos, et après la Divine Liturgie, après le 'Par les prières de nos saints Pères...', la fin du monde viendra c'est-à-dire la seconde venue de Christ. En fait, ceux-là ne goûteront pas la mort, mais ils seront changés, transformés, et ils seront encore plus transfigurés par la Grâce de Dieu. "
"Frère, où sont ces ermites aujourd'hui et où les a-t-on vus la dernière fois? Le Père Païssios les a-t-il jamais vus? avons-nous demandé.
"Voyons, comment le saurais-je, mais le Père Païssios ne voulait pas que nous parlions de ces ascètes, parce qu'ils ne veulent pas de telles gloires, comme il nous le disait: ils sont vraiment intelligents, suppliant Dieu et disant: Lui: 'Mon Dieu, ne nous donne pas la gloire sur cette terre, mais garde-la pour la prochaine vie, afin que nous puissions être glorifiés avec Toi, là-bas, ne nous fais pas connaître ici, mais au Ciel.' En outre, le Père Païssios disait confidentiellement aux pèlerins qui lui rendaient visite, clercs et moines, qu'il y a sept Pères ascétiques nus et invisibles, qui vivent sur l'Athos, qui œuvrent, et quand l'un d'eux meurt, Dieu le remplace par un moine théophore charismatique et porteur de l'Esprit.
Les startsy, rendus dignes de les rencontrer plusieurs fois, avant de reposer dans le Seigneur, racontaient aux plus jeunes cette rencontre, comment ils les voyaient, les voyaient soudain, ce qu'ils ressentaient, etc.
Bon, laissez-nous aller maintenant. Vous avez du travail devant vous, "dit le staretz en faisant ses adieux et en prenant le chemin qui montait.
En effet, nous avons glorifié le Dieu Saint qui nous a envoyé cet homme inconnu près de nous, à qui la grâce de Dieu a vraiment rendu visite et que nous avons rencontré dans le jardin du monastère. Il nous a ouvert son cœur, et nous a fait un bienfait particulier en nous racontant des choses si importantes sur les ascètes nus, en nous soulignant que notre Église nous révèle et nous montre chaque jour des saints, de nouveaux citoyens du Royaume de Dieu.
Nous sommes montés au Monastère et la Vigilée a commencé, cette fois nous comprenons tous comment dans la nuit hivernale nous avions à côté de nous des aides et des appuis dans les Pères bénis du monastère sacré dans lequel nous avons passé la vigile. Ces personnes bénies qui ont été motivées par l'éros divin pour dédier leur vie à Dieu, nos protecteurs visibles et guides authentiques vers le Royaume des Cieux. Et sûrement, pas trop loin, d'autres priaient avec vigilance, nos intercesseurs invisibles, ceux qui étaient nus à nos yeux mais brillamment revêtus de la Grâce incréée de notre Dieu Saint. Ceux qui avec leurs prières soutiennent le monde entier. Ces startsy mystiques qui expérimentent la prière comme une brûlure dans le cœur et chantent sans cesse l'ode du Bien-aimé avec leur voix cristalline, qui vient de l'intérieur des falaises escarpées de l'Athos céleste voisin.
Version française Claude Lopez-Ginisty
de John Sanidopoulos
d'après le périodique de la Métropole Sacrée de Larissa et Tirnavou
intitulé Το ταλαντον
To Talanton
(novembre-décembre 2012)
*
NOTE:
De l’argot jamaïquain raggamuffin, constitué de rag (« hardes ») et de muff (« empoté, bon à rien »). Il désignait originellement les individus avec ce type de comportement et désigna par extension le genre musical qu'ils ont créé. Ici, c'est -selon les critères du monde que l'on voit ce moine et qu'on le juge selon son habit usé, et son apparence -apparence seulement- négligée.
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