3.
En 1933, il fut
arrêté, envoyé à Tambov et condamné à 10 ans de camp à Karaganda (au Kazakhstan).
Des proches le suivirent : mère Agrippine et mère Barbara devinrent
infirmières dans un village proche du camp ; mère Catherine et mère Fébronie
travaillèrent dans un kolkhoze. Durant ces dix années de détention, elles
servirent le père Sébastien : elles allaient souvent le voir, lui porter
de la nourriture, lui lavaient son linge, lui achetaient ce dont il avait
besoin.
Avec le produit
de leurs économies, elles purent acheter une petite maison rue Basse à
Mikhaïlovka, un quartier de Karaganda. Deux des sœurs partirent à Karaganda
pour aménager la maison ; les deux autres restèrent près de lui au
village. Il y avait une grande chambre pour le père Sébastien et un long
réfectoire avec une grande table et des bancs, qui séparait la chambre du
prêtre de celles des moniales.
À la fin de 1943,
elles allèrent chercher Batiouchka et au début de 1944 elles l’amenèrent dans
leur propre maison. Il décida de ce qu’il fallait changer. À quoi bon ? –répondirent
les moniales. Dès la fin de la guerre, nous retournerons dans notre
patrie ! –Et qui nous y attend ? –demanda le père Sébastien avant de
conclure : –désormais nous vivrons ici ; les gens d’ici mènent une
vie spirituelle ; ils ont connu le malheur. Nous serons beaucoup plus
utiles ici, dans notre deuxième patrie !
Elles demeurèrent
donc à Karaganda : Batiouchka enterra trois d’entre elles, qui étaient
bien plus jeunes que lui, la dernière des trois qui étaient parties à sa suite,
de Mitchourinsk, Groucha : mère Alexandra dans le monachisme, mourut le 16
janvier 1966. Quant à mère Fébronie, elle survécut 10 ans à Batiouchka et
mourut le 17 mars 1976.
Quand le père
Sébastien se fixa à Mikhaïlovka, des moniales de tout le pays et des laïcs
pieux en quête de guidance spirituelle affluèrent. Il en venait de Russie
d’Europe, d’Ukraine et de Sibérie, des lointaines contrées du Nord et d’Asie
centrale. Le père Sébastien recevait tout le monde avec amour et aidait ceux
qui voulaient rester à s’acheter une petite maison. Ils s’employaient dans les
mines, puis quand leur situation matérielle était plus stable et leurs familles
plus mûres, ils le remboursaient, ils se construisaient de nouvelles maisons
plus grandes et plus solides. On pouvait le faire car, avec le développement de
l’industrie minière, la ville se développait et elle avait besoin de main
d’œuvre. Alors Batiouchka aidait d’autres gens, si bien qu’il eut bientôt à
Mikhaïlovka de nombreux enfants spirituels. Avec l’arrivée de mère Agnès, ce
fut une iconographe pleine de talent qui vint s’installer. À l’âge de 12 ans,
elle avait demandé à ses parents de la conduire au monastère de Notre–Dame du
Signe[1]
[Znamensko-Soukhotinskaya], qui était réputé pour son école d’iconographie. Mère
Agnès était une fille spirituelle du starets Barsanuphe d’Optino. Elle avait
fait de lui un portrait dénotant un talent certain : on lui demanda de
l’exposer à la galerie Trétiakov. Le père Barsanuphe, peu avant sa mort, lui
rendit ce portrait qu’il appréciait beaucoup. Il était toujours dans la cellule
de Matouchka à Karaganda. Elle disait : Ce n’est pas moi qui ai peint ce
portrait, c’est le père Barsanuphe, par ma main. Elle avait beaucoup lu, elle
avait un style excellent et une écriture calligraphique, elle était très
cultivée et pleine de finesse.
4.
Grâce au père
Sébastien, Karaganda s’étendit rapidement tout autour de l’emplacement des
anciens villages de la secte des buveurs de lait. Le petit village de
Mikhaïlovka était attenant à cette ville nouvelle. Mais l’église et le
cimetière se trouvaient à deux ou trois kilomètres de là et il n’y avait
presque pas de transports pour y accéder. Plus tard on ouvrit un second
cimetière à Mikhaïlovka, mais il était trop éloigné de l’église ; alors
les enterrements étaient célébrés regroupés, ou plus simplement, on enterrait
sans avoir célébré d’office.
Le père Sébastien
habitait avec quatre moniales dans ce village, et il célébrait quotidiennement
la Liturgie et les vêpres. Il était très doux et aimant. Très vite, les
villageois l’invitèrent chez eux pour célébrer des services religieux, et ce
jusqu’au soir. Certes, le père Sébastien n’avait pas d’autorisation pour
célébrer ces services, mais il ne refusait jamais de le faire. À cette époque,
les villageois étaient très croyants et ne l’auraient jamais trahi. Même les
enfants savaient et tenaient leur langue.
Plusieurs années
passèrent ainsi. La renommée de ce prêtre grandit et les gens d’autres villages
venaient le voir. Non seulement les gens, mais également les animaux. En effet,
lorsque le père Sébastien, petit et maigre, vêtu de son long manteau noir et
coiffé de son chapeau noir, marchait d’un pas vif et léger, les chiens s’échappaient
de leurs enclos pour aller à sa rencontre.
Un soir en
rentrant chez lui après avoir célébré les offices, le père Sébastien passait
devant un magasin d’alimentation devant lequel on faisait la queue sur les
marches du perron. Le père Sébastien marchait sur le trottoir, tête baissée,
les yeux fixant le sol. Soudain il leva la tête et regarda attentivement une
petite fille tenant un sac à provisions. Brusquement elle quitta la queue et
suivit le père Sébastien. Dans la rue, elle marchait à ses côtés : Où
vas-tu ? lui demanda-t-il. –Je veux voir où vous habitez. Pour quoi
faire ? –Pour savoir. –Alors, allons-y ! Arrivée chez le père
Sébastien, la petite fille demanda à entrer. Sœur Barbara lisait des prières.
Puis Véra rentra chez elle et promit de revenir le lendemain à la même heure.
Elle revint ainsi presque tous les jours. Les moniales étaient très gentilles
avec Véra qui les aidait.
Un jour, Véra fit
part au père Sébastien de son désir de vivre avec eux. Mais auparavant, le père
Sébastien demanda à rencontrer la mère de Véra qui donna son accord.
Sous la tutelle
des moniales, Véra se familiarisa vite avec sa nouvelle vie. Toutefois elle ne
confiait son âme qu’au père Sébastien qui l’éduquait doucement et à qui elle
obéissait sans murmurer. Chaque jour il lui donnait à lire la vie des Saints,
des chapitres de l’Évangile, un cathisme du psautier, des prières… Elle avait
une fort jolie voix et chantait à tous les offices qu’il célébrait.
Petit à petit, elle tâcha de l’aider de plus en
plus : nettoyer sa cellule, repasser son linge. Car elle voyait en
Batiouchka l’amour, l’humilité, la bonté tels qu’elle n’avait jamais pu ni voir
ni imaginer avant. Rapide et adroite, elle faisait tout pour lui et devint pour
lui comme une fille.
[1] Monastère fondé en 1849 dans le gouvernement de Tambov, dans la
propriété des pieux époux Soukhotine ; Dorothée, la première higoumène,
était une fille spirituelle de saint Séraphim de Sarov. Fermé à la révolution,
il abrita des orphelins puis des personnes âgées. Il renaît à sa vocation
depuis 2004.
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