Eugène (Père Seraphim) avec son parrain, Dimitri et sa marraine
Mais
un miracle se produisit. Eugène alla à l’office de nuit à la cathédrale
orthodoxe russe de San Francisco. C’était à Pâques, la Pâque russe, notoirement
exubérante et pleine de joie. Là, il connut quelque chose de l'esprit originel
du christianisme de l'époque des Apôtres. Il fut submergé par la beauté de
l’office, par tout ce qu'il vit et entendit. Il dit: "Maintenant, je suis
à la maison." Il comprit qu'il avait trouvé ce qu'il cherchait depuis longtemps.
Il connut quelque chose qui n’était ni intellectuel ni esthétique, mais
existentiel. Et à l'intérieur de lui, il brûlait, non pas d’une exaltation
temporaire, mais d’une passion spirituelle profonde, d’une détermination
permanente à préserver coûte que coûte, qui devait durer toute sa vie. Dès
lors, lentement, il s’engloutit de plus en plus dans le christianisme orthodoxe.
Il changea peu à peu son mode de vie, de mondain, celui-ci devint ascétique.
C’est
alors que je l'ai rencontré à San Francisco. Il devint un ami très cher. Je ne
peux pas oublier ses yeux pénétrants et aimables, son sourire, sa sobriété, son
calme, son sang-froid, sa noblesse naturelle. Il était intense, mais timide. Il
ne connaissait personne chez les jeunes intellectuels orthodoxes russes. Je
l'ai présenté à mes amis. Nous nous sommes rencontrés très souvent. Je lus et
traduisit pour lui les textes classiques de la spiritualité russe. Nous eûmes
de nombreuses discussions ...
Il me
demanda d'être son parrain quand il devint orthodoxe en 1962. Il demanda
également à ma mère, qui vivait à l'époque avec moi, d'être sa marraine. Il assista
fidèlement aux nombreux offices de la cathédrale russe comme il le pouvait. Il apprit
rapidement à chanter et à lire parfaitement en slavon.
Mais
le catalyseur qui précipita et confirma sa conversion fut un saint des temps
modernes, l'archevêque Jean [Maximovitch], qui vint à San Francisco pour aider
à construire une nouvelle cathédrale. Saint Jean était un ascète. Il ne dormit jamais
dans un lit, et quand il n’assistait pas aux services religieux, il passait son
temps à son ministère pour les pauvres, les opprimés, les malades, et les
prisonniers. Beaucoup de miracles se produisaient par ses prières. Des personnes
étaient guéries. Parfois, même quand il n'y avait pas de communication
téléphonique possible, il venait voir les malades quand ils demandaient son
aide dans leur cœur, ou bien il connaissait juste leur détresse, et venait, et ensuite,
ils étaient guéris, même dans les conditions médicales les plus désespérées. Il
rayonnait d'amour et de joie spirituelle. Beaucoup de gens qui le
connaissaient, qui avaient reçu son aide, qui avaient été l'objet de son amour,
l'aimaient en retour de tout leur coeur. Ils étaient extrêmement attachés à
lui. Il était clairvoyant. Il pouvait arrêter un suicide simplement en appelant
au téléphone, et en disant: "Ne fais pas ça !"
Etant
évêque en Chine au cours de la Seconde Guerre mondiale, il sauva des milliers
de personnes de la mort et de la déportation, en organisant leur transfert aux
Etats-Unis. Les nombreux orphelins qu'il sauva l'aiment encore. Il était de
petite taille, bossu, vêtu d'une vieille soutane en lambeaux. Il avait un défaut
de prononciation.
Un jour, pendant la guerre entre le Japon et la Chine, au
cours d'un échange de tirs entre les soldats chinois et japonais à Changhai, il
décida de visiter une église orthodoxe dans la zone de guerre. Il fut averti
qu'il s’exposait lui-même à un grand danger, à la mort même. Faisant
abstraction totale de cela, il traversa la zone de guerre. Tant qu'il la traversait,
la fusillade s’arrêta. Il revint de la même façon. Les soldats japonais à leur
poste se tenaient au garde à vous quand il passait, l'honorant, étant frappé de
ce qui était arrivé, et disant que Dieu l'avait aidé. Ses écrits et ses sermons
étaient concis et simples, clarifiant les problèmes les plus difficiles.
La
bénédiction et l'amour de cet homme conduisirent Eugène à une nouvelle vie.
Dimitri Andrault de Langeron
*
Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire