Le jeûne des Passions, pas des "aliments
interdits"
Pendant la première semaine du Grand
Carême il nous est rappelé que, avec le jeûne de la nourriture, nous devons jeûner
de nos passions, de la colère, du bavardage, de la jalousie, tout en
intensifiant notre vigilance, notre vie de prière et notre ministère envers les
autres, en particulier les plus petits parmi nous. Ainsi, le jeûne comme préparation
est tout à fait à l'opposé des préparations du monde qui concentrent trop
souvent notre célébration sur nous-mêmes, plutôt que sur notre Seigneur et sur les
mystères joyeux qu’Il partage avec nous avec tant d’amour et qu’Il nous engage à
célébrer.
Bien sûr, le jeûne de la nourriture est au cœur même de la vie
ascétique. La nourriture peut être une passion, une préoccupation qui peut
facilement dominer nos vies. Nous nous inquiétons plus du fait de savoir quoi
manger et quoi ne pas manger. Nous luttons avec les graisses saturées, le
cholestérol, les glucides et les calories. Nous buvons de l’Ensure pour prendre du poids, puis nous
nous inscrivons dans une clinique pour perdre du poids. En fait, nous disposons
d'un réseau de télévision entièrement consacré à la nourriture! Trop souvent,
nous avons cessé de «manger pour vivre»
et nous « vivons plutôt pour
manger. »
Si le jeûne doit jamais devenir une
vraie solution à cette préoccupation de la nourriture, nous devons
reconnaître que le jeûne ne signifie pas simplement éviter certains aliments
«interdits» tout en prenant d’autres qui sont «autorisés». Il y a quelques
années, on m'a donné un livre de recettes de carême qui, dans la préface, offrait
une explication très détaillée de la tradition du jeûne de l'Église. Comme il
fallait s'y attendre, il notait que l'on doit s'abstenir de manger de la viande
et des produits carnés, des produits laitiers, du poisson, du vin et de l'huile.
Et aussi, comme il fallait s'y attendre, il indiquait que la consommation de
fruits de mer (queue du homard, pattes de crabe, pétoncles, crevettes et salicoques,
palourdes, etc.) ne viole pas le jeûne. Mais, curieusement, cette préface émettait
un avertissement, en lettres soulignées en gras, disant que lors de la consommation
de coquillages, il ne fallait pas utiliser de beurre fondu, mais de la margarine
fondue, puisque le beurre est un produit laitier! Comme c’est ridicule, pensais-je.
Nous vider de notre passion pour la cuisine consiste à réduire non seulement la
quantité et ce que nous mangeons, mais aussi combien de temps nous passons à penser
à la nourriture, à la préparation des aliments, à la lecture au sujet de la
nourriture, à discuter de la nourriture et à la manipulation des aliments pour
s'adapter à la tradition du jeûne de l'Église .
Le même livre de recettes offrait une
recette de gâteau au chocolat de Carême, avec à la fin ces mots, «Votre famille aimera tellement ce délicieux gâteau que vous aurez envie de le servir pendant toute
l'année!" Considérez ceci: On pourrait concevoir un menu de semaine du
Carême qui, tout en évitant entièrement la viande et les produits carnés, les
produits laitiers, le poisson, le vin et l'huile, serait complètement ascétique :
la queue de homard lundi, le gambas grillées mardi, les pattes de crabe royal d’Alaska
mercredi, les crevettes marinées au citron, le jeudi, et le vendredi des pétoncles,
le tout avec la margarine fondue de manière à éviter le beurre, bien sûr!
Légalement, ceci remplit en effet les lois de jeûne, mais cela manque
complètement de l'esprit du jeûne, tout comme le délicieux gâteau de Carême au
chocolat ou les «saucisses» ou les «ailes de poulet» au tofu italien qui sont garanties "avoir la saveur des
vraies choses."
Ce n'est que mon avis, mais en approchant
le jeûne de cette manière: «ceci est autorisé, mais cela ne l'est pas," non
seulement on rate le but du jeûne, mais cela peut devenir une tentation
spirituellement dangereuse, la même tentation à laquelle les Pharisiens ont
succombé en adhérant méticuleusement aux apparences de la loi tout en restant étrangers
quant à son esprit interne. Cette approche peut facilement conduire à l'orgueil
spirituel et à l'illusion, et à l'auto-satisfaction qui vient en soi assurant
que "alors que je me régale de ce délicieux gâteau, je suis soulagé de
savoir qu'il répond à toutes les exigences du carême car il n'y a pas une
goutte de produit non carémique dedans."
Ceci, me semble-t-il, n'est ni
jeûne, ni ascèse, ni désir de se libérer de préoccupation de la nourriture.
En fait, cela reflète le contraire, car plus de temps est employé à trouver
comment donner au tofu le goût de la saucisse qu'il n'en faudrait pour
simplement et bêtement faire frire un morceau de véritable saucisse.
Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après
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