"Dans la confusion de notre époque quand une centaine de voix contradictoires prétend parler au nom de l'Orthodoxie, il est essentiel de savoir à qui l'on peut faire confiance. Il ne suffit pas de prétendre parler au nom de l'Orthodoxie patristique, il faut être dans la pure tradition des saints Pères ... "
Père Seraphim (Rose) de bienheureuse mémoire

mercredi 29 octobre 2008

Tous les Saints de Gaule: Archimandrite Thomas

Tous les Saints de Gaule

Nous donc aussi,
puisque nous sommes environnés
d'une si grande nuée de témoins,
rejetons tout fardeau,
et le péché qui nous enveloppe si facilement,
et courons avec persévérance
dans la carrière qui nous est ouverte,
ayant les regards sur Jésus,
le chef et le consommateur de la foi.
(Hébreux 12, 1-2)


Très chers frères et sœurs,

Dans l’Eglise orthodoxe il est d’usage de célébrer la mémoire de tous les Saints du pays ou de la région dans laquelle on se trouve à l’occasion du deuxième dimanche après la Pentecôte. En Russie on fête les Saints russes, à l’Athos on célèbre les Saints athonites, et chez nous, nous commémorons les Saints qui ont vécu et de témoigner leur foi dans nos régions, c’est-à-dire en Gaule.

Je froisserai sans doute certaines personnes si je m’aventure à aborder un sujet de politique extrêmement délicat mais non moins actuel à l’occasion de cette fête que nous célébrons aujourd’hui. En effet, je me demande comment, dans notre monde tellement intellectuel, nous pouvons accepter une Charte de l’Europe dans laquelle le mot « chrétienté » est tout simplement banni. De par ce refus, nous jetons au rebut vingt siècles d’histoire et de progrès européens, vingt siècles marqués par une sainteté ardente qui a donné lieu à d’éblouissantes réalisations dans toutes nos régions. Une Europe qui renierait ses origines chrétiennes ne peut être qu’une ombre de ce qu’elle est véritablement, une sombre entité dépourvue d’âme.

Le Père Justin Popovitch, disciple de Saint Nicolas Vélimirovitch, qui, à son tour était confrère spirituel et admirateur indéfectible du Saint Archevêque Jean de Changaï, ne disait-il : « Que resterait-il d’un homme qui n’aurait plus d’âme dans son corps ? » Que reste-t-il d’une Europe dont on ôterait la présence de Dieu ? Il n’en resterait rien, l’Europe serait alors un corps sans vie. Lorsque notre Créateur se trouve évincé du monde ou d’un pays, la vie en est évincée aussi, et tous sont voués à la mort. L’homme qui renie son âme et celle du monde autour de lui, n’est qu’une pâte d’argile inerte artistiquement moulée. L’Européen, tant épris de matérialisme, se trouve réduit à pareille « chose matérielle » car il perd toute personnalité ; ce qui subsiste est un ‘homme objet’. Il n’est plus guère question d’un d’homme intègre, complet, immortel à l’image de Dieu ; ce qui subsiste sont de pauvres fragments d’homme, une pelure corporelle dont l’esprit immortel a été chassé. Voila ce que serait une Europe sans Dieu ; une machine de production en chaîne d’êtres qui rappelle l’œuvre magistrale de Charlie Chaplin « Les Temps Modernes. » Une Europe sans Dieu est une triste ruine froide et morte.

Très chers frères et sœurs, il en fut autrement à une époque donnée. Il fut un temps où nos régions étaient le fer de lance de l’évangélisation. Le Christ avait lui-même donné l’ordre à ses disciples d’aller annoncer au monde La Bonne Nouvelle et la réalité du Salut qu’avait réalisé le Christ après Sa mort sur la Croix et Sa Résurrection du tombeau. Investis de la force du Saint Esprit, ces prédicateurs vinrent en Gaule, comme s’appelaient nos pays à cette époque.

Nous n’avons donc pas reçu l’Evangile de troisième ou de quatrième main, mais bel et bien de première. Crescence, disciple de Paul et l’un des 70 apôtres dits mineurs, poussa jusqu’à Vienne en France. Dionysius l’Aréopagite, autre disciple de Paul est mort en martyre à Paris où il avait annoncé la vérité en Christ. « Ou bien Dieu souffre, ou bien le monde disparaît » disait-il à propos de la mort du Christ sur la Croix quand toute la terre trembla. L’on rapporte également la présence de Dionysius lors de la Dormition de la Mère de Dieu ainsi que de tous les apôtres qui s’étaient rassemblés depuis tous les confins du monde. C’est aussi lui qui nous a légué des explications détaillées sur nos actes liturgiques, et c’est toujours lui qui nous a emmené dans les empires célestes et nous y a montré l’agencement des ordres angéliques.

Saint Irénée de Lyon est le plus grand théologien qui ait vécu sur nos terres. Cette déclaration à l’emporte-pièce irritera sans doute certains, mais il n’en demeure pas moins que Saint Irénée a diffusé les préceptes de la théologie avec un détail et un brio incomparables et a rendu toutes les explications théologiques ultérieures semblable à une eau plate si on les compare au grand cru des siennes. Son œuvre «Contre les hérésies» est une lecture à recommander à quiconque s’intéresse à la théologie. Dès la deuxième partie il expose en maître passionné et avec une précision magistrale le sens véritable du Christianisme et ce qui le rend si unique. Il règle une bonne fois pour toutes, en termes inégalés et sans détours, le compte des palabres actuelles relatives à la « parabole d’Adam et de la création » et de toutes autres sornettes du même acabit. Il décortique et anéanti sans équivoque tous les arguments avancés, démonte sans merci les interprétations fallacieuses qui lui sont opposées, sans pour autant se rendre coupable d’interprétation et de prises de position personnelles. Il a tout simplement reformulé ce qu’il avait tiré de sources fiables et sûres. Il avait été disciple de Polycarpe, qui, à son tour avait été disciple de l’Evangéliste Jean et s’en était fait le porte parole : «Nous puisons à la sûre source que nous ont léguée les disciples, apôtres et prêtres, des temps anciens » !

Sa vision du premier homme est tout à fait extraordinaire. « Au moment de sa création, l’homme était comme un enfant qui devait encore grandir avant d’atteindre sa stature complète. » Il décrit l’homme comme un être naïf facile à induire en erreur. En revanche, « l’évolution » de l’homme semble avoir été d’une lenteur accablante, car il est devenu plus naïf encore. Après vingt siècles maintenant, la dite « science » arrive encore toujours à lui faire avaler ce qui cadre le mieux avec une culture sans Dieu.

Laissons résonner l’écho de ces ineffables paroles à nos oreilles : « Dieu est la gloire de l’homme, mais l’homme, à son tour, est le fruit de l’œuvre divine, de Sa sagesse et de Sa puissance. » L’homme n’est pas un descendant lointain du singe, mais il est l’œuvre unique de Dieu, Son chef d’œuvre, Sa créature, dans laquelle Il a manifesté tout Son Amour attentionné.

Plus loin, il dit : « Le Verbe de Dieu a vécu parmi les hommes, est devenu fils d’homme, afin d’accoutumer l’homme à comprendre Dieu et permettre à Dieu de venir prendre demeure en l’homme. » Car c’est bien cela l’objectif premier : Dieu veut prendre demeure dans l’homme.

Mais revenons-en à notre point de départ et reprenons quelques citations de Saint Irénée. « L’homme est un être vivant qui se compose d’une âme et d’un corps, et il faut, pour cette raison, tenir compte de ces deux composants… Le sens du service à Dieu s’estompe et s’efface lorsque le corps est contaminé par l’impureté. De même son intégrité / sa sincérité se ternissent et se perdent lorsque l’âme s’ouvre à l’errance. La piété intérieure ne peut sauvegarder sa beauté que si l’âme se maintient dans la vérité et si le corps se maintient dans la pureté. A quoi bon connaître la vérité en termes purement théoriques si nous avilissons notre corps par un comportement inadéquat ? A quoi bon un corps sain dont l’âme est étrangère à la vérité ? »

C’est pour cette raison qu’a précisément disparu de nos terres la sensibilité, la politesse et le respect dus à l’autre : la vérité, c-à-d le Christ, a été et demeure banni et rejeté du cœur et de l’esprit de l’homme européen. Est-ce par dégoût ou par honte que nous renions l’influence chrétienne dans notre histoire ?

Quoiqu’il en soit, en reniant cette influence prépondérante, nous reléguons loin de nos mémoires la réalité que plus de la moitié des réalisations de notre continent procèdent de l’inspiration donnée par Saint Martin de Tours. Son altruisme exemplaire et son éloquence vigoureux attirèrent des foules nombreuses vers notre Seigneur Jésus Christ. Son altruisme et sa philanthropie étaient des phares lumineux de sa vie telle qu’elle nous est rapportée. Cet illustre Saint venant de Tours a déterminé l’histoire de toute l’Europe. Sa sépulture a été la destination de pèlerins sans nombre des siècles durant, et à ce jour encore il inspire ceux qui le prient à suivre sa voie exemplaire.

Peut-on oublier l’émouvante histoire du jeune officier Martin qui vient de dépenser sa solde à l’achat d’un manteau digne de son statut et qui en revêt aux portes d’Amiens un pauvre hère a moitié nu et transi de froid ? Mû de compassion, il descend de sa monture, se saisit de son épée, et tranche ….. son manteau pour en donner la moitié au mendiant qui se trouve devant lui. Tous les arts graphiques se sont inspirés de cette scène, mais personne ne sait comment l’histoire s’est terminée. A peine rentré au régiment, nous pouvons facilement imaginer la risée dont il fut l’objet lorsque ses soldats virent leur officier rentrer au baraquement attifé comme un clown sur son cheval. Mais c’est la suite de cette histoire qui est à la fois émouvante, troublante et inimaginable. De nuit, le Christ lui apparut. Le Seigneur siégeait sur Son trône élevé et S’était revêtu du demi manteau de Martin. Fier et compatissant Il annonce aux anges qui l’entourent : « Voyez, c’est Martin qui M’a offert ce manteau. »

Si Martin faisait preuve de clémence et de douceur, cela n’impliquait aucunement qu’il cédait à tout facilement. En tant qu’évêque itinérant, il n’hésitait pas à affronter sans crainte ni peur les infidèles ou opposants car il était profondément convaincu que notre Seigneur Jésus Christ voulait habiter en eux tous, sans exception. Ainsi se mit-il un jour à abattre un arbre immense qui se trouvait sur la place principale du village et qui était l’objet une vénération païenne bien ancrée avec tout le tumulte de la foule que cela provoqua. Pour les amadouer, il leur proposa un marché : il leur laisserait abattre l’arbre eux-mêmes pendant que lui prendrait place à l’endroit où l’arbre était censé s’écraser. Proposition acceptée avec grand enthousiasme, car les druides espéraient ainsi de se débarrasser de cet empêcheur de tourner en rond. Battant tambours et tambourins, la cognée fut donc littéralement mise à l’arbre sous le regard calme et le sourire paisible de Martin. Au moment où l’arbre commençait à chanceler, l’évêque le bénit, et voilà que l’arbre pivote sur lui-même et s’abat à l’opposé de Martin.

Martin était un homme doux et affable mais très déterminé, rien ne le détournait de l’objectif qu’il avait en point de mire. Où qu’il passât, partout il laissait une empreinte de bonheur, guérissant des malades, ressuscitant des morts, amenant ainsi une foule nombreuse à une foi en Christ ardente et tenace. Aucune oppression, destruction ou désolation dans ses comportements, mais, en échange, il invitait, guérissait et consolait. C’est dans cet esprit là qu’il refusa de participer aux débats avec l’empereur, ou même avec d’autres évêques, par exemple, car il ne tolérait aucune violence pour forcer le peuple à confesser la foi. Les paroles de son père spirituel, Hilaire, évêque de Poitiers, étaient son idée directrice : « Dieu ne veut pas contraindre le peuple à suivre les offices, Il souhaite qu’on Le trouve dans la simplicité de l’amour du prochain. Malheur à ceux qui recourent à la foi pour imposer un pouvoir terrestre et qui feignent invoquer le nom de notre Seigneur pour servir leurs propres ambitions. » Pour Martin, l’empereur ne serait jamais à la hauteur pour prendre la place du Christ ; il considérait ses fonctions épiscopales comme équivalentes à celles d’un simple pasteur qui ne néglige aucun effort pour la moindre de ses brebis. Il ne voulait pas se distinguer de ses ouailles par un port vestimentaire particulier, aussi portait-il toujours son habit monacal usé jusqu’à la corde. Simple de cœur et l’âme constamment tournée vers le ciel, il en a incité beaucoup à laisser s’épanouir en eux l’amour du Christ qui y a brûlé ardemment.

Que de froideur et de superficialité dans l’amour de notre époque ! La terrible parole du Christ serait-elle en train de se réaliser : « Mais le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera–t–il la foi sur la terre ? » (Lc 18,8)

N’est-il étrange de voir qu’à l’époque dite de la Renaissance, l’homme ait soudainement balancé par dessus bord l’idée même de la re-naissance, qu’il ravale au niveau des pâquerettes pour ainsi dire, en invoquant tous les arguments que la raison lui procure pour ne pas en faire l’expérience, comme c’est encore toujours le cas à l’heure actuelle.

Je vous répète ce que j’ai déjà dit maintes fois, si nous avons des hôpitaux dans nos villes aujourd’hui, des hôpitaux pour soigner les maladies physiques et mentales, c’est bien grâce aux Saints des temps anciens ! A l’époque, il n’y avait même pas de place pour des malades dans ces sociétés barbares. Le remède proposé était leur liquidation pure et simple, comme nous l’avons revécu dans les années 40-45 du siècle dernier sous le joug germanique. « A quoi bon ces vieillards édentés qui ne font que marmonner à longueur de journée ? Ils ne servent à rien si ce n’est causer du souci. » De par leurs propres actes et gestes les Saints nous ont appris que ces personnes là aussi méritaient notre respect. « Honore ton père et ta mère. » (Ex. 20,12) Ce commandement donné par Dieu à Moïse s’applique à tous les chrétiens ici sur terre. Et si d’aventure il devait y avoir des personnes ainsi rejetées et abandonnées par leurs enfants, il y avait toujours l’un ou l’autre saint ou sainte qui les accueillait et leur donnait abri.

Ce qui nous rend unique est précisément ce que nous renions. Nous renions ceux qui nous donnent un exemple de vie, nous les ignorons, comme s’ils n’avaient jamais vécu. Mais pourquoi, Seigneur ? Pour des raisons de politiques qui inspirent la corruption, par obséquiosité à l’égard de douteux personnages barbotant dans la fange. Nous abaissons-nous à cela ? Nions-nous la vérité et nous faisons-nous les acolytes du mensonge qui renient leurs propres origines? Ne pouvons-nous nous enorgueillir de tout ce que nous avons réalisé au fil des siècles ? Que peuvent nous offrir de meilleur ces pays que le monde adulé ? Quelles merveilles possède l’Arabie Saoudite, à part La Mecque ?

Mes très chers frères et sœurs, le mot clé c’est l’inspiration; c’est grâce à l’inspiration, que l’européen trouvait dans la foi en la divinité du Christ, qu’il a été poussé à cette charité commisérative pour le prochain et, de là, à ces grandes réalisations.

En ce jour de leur fête, soyons leurs reconnaissant de tout ce qu’ils ont fait et rejetons loin de nous l’idée de renier ce bagage chrétien qui est le nôtre. Notre passé est franchement « glorieux » et nous devons en tirer une fierté très justement méritée. Nos terres étaient des terres saintes sur lesquelles l’on s’efforçait de créer un paradis sur terre pour le prochain.

Qui n’éprouve de l’admiration pour une Sainte Godeleine, qui, en dépit des difficultés qu’elle vécut, est demeurée fidèle à la fois à sa foi et à son mari ?

Qui n’éprouve de l’admiration pour ces reines et rois qui plièrent et la tête et les genoux pour se faire les serviteurs des lépreux au lieu de jeter un regard condescendant sur ce bas peuple ?

Qui, aujourd’hui, membre des sphères politiques, sociales ou financières élevées, aurait le courage d’inscrire pareille action dans son agenda ? Personne, vraiment personne. A cause du « qu’en dira-t-on ? »

Ne prêtons plus l’oreille à ces mensonges tordus dont le monde et les médias nous abreuvent. Réapprenons à entendre le frêle battement de cœur que notre histoire a nourri de ces globules rouges riches en oxygène qui permirent à l’amour d’éclore dans la pire des misères et pauvretés… Alors l’homme trouvait encore réconfort et chaleur dans le rayonnement de la sainteté dans laquelle il baignait.

Aujourd’hui nous fêtons les Saints de nos terres, aujourd’hui nous leur rendons grâce d’avoir été des témoins vivants par leurs actes et leurs paroles. Le jour n’est-il pas enfin venu, aussi, de ne plus renier notre passé et de nous mettre sur leurs traces, afin de construire un avenir qui ressemble davantage à la face du Dieu-Homme à l’image duquel nous sommes faits ? Un monde chrétien digne de ce nom.
Archimandrite Thomas

(mis en ligne avec la bénédiction de Père Thomas)

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