"Dans la confusion de notre époque quand une centaine de voix contradictoires prétend parler au nom de l'Orthodoxie, il est essentiel de savoir à qui l'on peut faire confiance. Il ne suffit pas de prétendre parler au nom de l'Orthodoxie patristique, il faut être dans la pure tradition des saints Pères ... "
Père Seraphim (Rose) de bienheureuse mémoire

vendredi 26 mai 2023

Archiprêtre Andrei Tkachev: QUAND JE PENSE AUX DÉFUNTS...


  

Quand je pense aux défunts... Qu'est-ce plus - un cri, un gémissement ou un hurlement ? Rappelez-vous combien vous vous sentez mal quand vous êtes vraiment tombé, quand vous avez fait quelque chose qui n'aurait pas dû être fait. Que se passe-t-il à ce moment-là ? À ce moment-là, vous savez quel est le goût de la mort, c'est pourquoi vous avez dans la bouche l'amertume de la mort. Et dans vos narines, vous avez l'odeur de la mort, et vous êtes vous-même au bord du gouffre. 

Et comment prouver que vous n'êtes pas en enfer ? Si vous ne marchez pas, si vous ne dites pas bonjour, si vous n'essayez pas de sourire. Il y a une grande différence entre vous et un défunt. Pourtant, vous êtes vivant, et un chien vivant vaut mieux qu'un lion mort (Ecclésiaste 9:4). Mais imaginez que l'angoisse dans votre âme soit toujours la même et que la possibilité de vous repentir vous soit retirée à jamais. Imaginez que tout réconfort vous ait été retiré : le réconfort de la conversation, le réconfort de la nourriture, et tout réconfort imaginable en général. Imaginez aussi que vous êtes devenu perspicace ces derniers temps. Vous êtes devenu perspicace pour votre propre malheur. C'est-à-dire que vous comprenez maintenant clairement ce que vous avez fait de mal dans la vie, ce que vous avez fait en général que vous n'auriez pas dû faire. Et combien de choses nécessaires et utiles n'ont pas été faites ! Toute votre vie tient dans le creux de votre main. Et tout est aussi clair que le jour. Mais cette connaissance ne sert à rien. Il n'y a que l'amertume d'une vie vécue dans le vide, comme si ce n'était pas votre vie. Que fait alors l'homme ? Il hurle et se lamente. Il se plaint amèrement et pleure. Ce cri ne se fait-il pas entendre dès que l'on pense aux défunts ?

Ces pleurs n'apportent pas de réconfort. (Ô Ciel ! Car c'est en versant des larmes sur la terre que nous sommes vraiment consolés, que nous épanchons nos âmes et que nous trouvons le silence. Mais ces pleurs sont des pleurs inconsolables. Quel mot terrible !) Et ce n'est pas une personne, ni deux, mais une multitude qui échappe au verdict. Et quand on pense aux défunts, il semble qu'on entende, que ce soit un cri ou un gémissement. On entend le son des remords et des regrets tardifs d'une vie vécue dans le vent, en vain, pour rien.

Pas toujours, loin de là. Sinon, la vie ne serait pas une vie, mais l'écoute de sons terribles. Mais s'il en est ainsi parfois, il est insupportable d'avoir pitié de ceux qui ont dépassé la frontière visible. Et comme une rosée sur l'âme vient alors résonner l'office chrétien pour les défunts. Tous ces services commémoratifs, ces chants, ces liturgies, ces offrandes funéraires sur la table des funérailles. Neuf jours, quarante jours... ils reposent tous sur votre âme, comme un puzzle perdu, sans lequel vous ne pouvez pas voir la vue d'ensemble. Et vous comprenez que l'Église est amour. Un amour non pas sentimental, mais simple et réel. Un amour clairvoyant. C'est un amour surtout pour ceux qui sont sans défense, y compris les défunts, qui de là - de la distance invisible, tendent leurs mains en supplication.

On ne peut s'empêcher de penser à soi, qui un jour devra partir d'ici et franchir la ligne. Qui priera pour vous ? Et ces prières suffiront-elles à descendre sur votre âme aussi fraîchement que la rosée sur le sol ? Autre chose : on comprend mieux pourquoi les saints ont pleuré si amèrement sur eux-mêmes de leur vivant. Les mystères de l'ère à venir s'ouvraient devant eux, et ils se sentaient déjà jugés ; c'est pourquoi ils pleuraient amèrement sur eux-mêmes, comme sur les défunts impénitents. Maintenant, ils sont tranquilles et joyeux. Mais ceux qui pleurent sont ceux qui ont chanté et se sont réjouis avec une libellule dans l'été rouge. Même s'ils sont responsables de leur sort peu enviable,  ils sont aussi à plaindre. Et l'Église, qui leur disait auparavant : "Repentez-vous", dit maintenant à Dieu : "Aie pitié d'eux selon Ta grande miséricorde".

Il faut penser aux défunts, il faut y penser. Et il faut se taire, écouter si l'on entend un gémissement, un hurlement, un cri. Car ils sont nombreux, "tombés dans l'abîme qui s'ouvre au loin". Et quand tu as péché et que tu as pleuré mortellement (car le péché engendre la mort), remercie Dieu de n'être pas encore mort, car le repentir existe pour toi. Et si tu entends les murmures moqueurs de ceux qui ne comprennent pas tout ce qui est dit, laisse-les avec leurs âmes gelées et leurs cœurs sourds. 

Comme le disait Dante,  [Divine Comédie, Chant Troisième]. Nous avons tant de tâches à faire qu'il est dommage de perdre du temps avec des arguments inutiles. Il faut penser aux défunts, il le faut. D'ailleurs, le service commémoratif de la saint Dimitri approche*.


Version française Claude Lopez-Ginisty

d'après 

Pravoslavie.ru


* Autour de la fête de saint Dimitri de Thessalonique [une semaine avant ou après], l'Eglise russe a un office de commémoration des défunts.  pour les défunts de la bataille de Koiulikovo (1380 contre les Tatares) et pour tous les défunt-

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