Il existe un grand danger pour tous les pieux chrétiens orthodoxes de tomber de charybde en scylla, de l’amour de soi (philautie) à
l’illusion spirituelle (prelest), qui sont tous deux néfastes pour l’âme.
L’amour de soi et le contentement de soi, sont toujours spirituellement mortels. Ce n’est pas parce que
nous menons une vie de prière, que nous fréquentons régulièrement nos temples et que nous
nous conformons aux prescriptions du jeûne, et que nous croyons, contre toute logique (puisque nous avons un comportement aberrant contraire à la charité) être de bons chrétiens, que nous serons sauvés. Tout cela
est bel et bon, et nécessaire, « mais si je n’ai pas l’Amour, »
cela ne me sert de rien. Souvenons-nous du pharisien de l'Ecriture!
Dans les relations avec nos frères et sœurs en
Christ, si à un moment donné, ce que nous faisons pour eux dans l’Amour du
Christ, nous le considérons comme une dette qu’ils auraient envers nous, et que
nous leur en voulons de ne pas nous « rembourser » cette dette que
nous leur imposons, en ne redoublant pas de prévenances envers nous, en ne nous
manifestant pas obligatoirement leur
reconnaissance, quelles que soient les circonstances, nous sommes dans
l’erreur. Car quelquefois, elles sont telles ces circonstances (lors d'une maladie, ou d’un deuil
par exemple), que ces frères et sœurs sont dans une douloureuse et immense détresse*, et ils ne sont pas à même de réagir à notre bonne action de départ, ce qui ne signifie pas qu'ils ne sont pas reconnaissants.
Ils ne sont
pas non plus conscients –comment le seraient-ils, encore brisés par leur
douleur, leur peine ou leur deuil ?- de ce grief insane et absurde que nous avons
envers eux. Nous substituons alors, dans ce cas, à notre bonne action première, un jugement sévère pour
une absence de reconnaissance que notre orgueil, notre philautie, inventent de
toutes pièces, et nous tombons orgueilleusement dans l'illusion spirituelle (prelest), les jugeant spirituellement, alors que nous tombons sous notre propre jugement, pour cette conduite indigne. Nous ne sommes alors plus digne du beau Nom de chrétien.
Nous sommes dans l’illusion spirituelle la plus
ignoble, la plus délétère, car nous ajoutons un fardeau terrible à la détresse
de celui ou celle que nous prétendions aider, surtout si nous lui reprochons
cette faute qu’il/elle ne peut pas avoir commise. Cette attitude qui tient en dernier lieu de la manipulation, et qui se croit
spirituelle, n’est qu’une manœuvre du Diable dont nous devenons, engoncés que nous sommes dans la conscience de notre bon droit et de notre suffisance bien peu spirituelle, le jouet.
Ainsi, ce que nous avons fait pour un frère ou
une sœur, n’était pas vraiment motivé par l’Amour du Christ qui nous enjoignait
de partager son épreuve, sa peine, sa douleur ou son deuil, mais se revêtait seulement
de ce masque hypocrite, pour ensuite rendre ce frère ou de cette sœur nos
débiteurs. Cette attitude possessive, tyrannique, égocentrique, motivée par l'amour de nous-mêmes, néantise
totalement l’acte de charité que nous avons d'abord fait pour eux.
Le Christ n’a pas dit : « parce que
vous avez aidé votre frère et que vous avez partagé sa peine, son deuil ou sa
douleur, il doit devenir l’esclave docile de votre personne et vous devoir une
reconnaissance éternelle et de tous les instants, une quasi vénération… » Il nous a par contre dit très clairement : « Mais toi, quand tu
fais l’aumône, que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite. »
Dieu ne nous demande
à aucun moment de tyranniser par nos paroles ou notre attitude, ceux à qui nous
avons rendu service en Son Nom. Il ne nous enjoint pas, lorsque nous avons
accompli une bonne action, de croire que l’autre, doit être à notre merci
jusqu’au temps où il aura payé sa dette de reconnaissance, surtout si l’autre, dans sa bienveillance à notre égard, croit à notre action gratuite, pro Deo.
Si un frère en Christ accomplit tout ce que le Christ, dans
la charité, lui demande de faire, il n’a en aucun cas le droit de se voir comme
quelqu’un d’extraordinaire et s'en glorifier, et plus encore d'en tirer un argument de ressentiment de ne pas, quelles que soient les circonstances, être payé en retour. ‘Au contraire’, dit Jésus, il devrait se dire, Nous
sommes des serviteurs inutiles, nous avons fait ce que nous devions
faire. Toutes ces choses ne sont rien de plus que notre devoir envers Dieu
pour notre prochain. Pourquoi ensuite vouloir que ces frères/sœurs soient nos
débiteurs, alors que nous le sommes toujours de Dieu ?
Il vaudrait mieux
ne rien faire pour son prochain, que de faire la moindre chose pour se l'attacher ainsi ensuite dans un esclavage prétendument spirituel obligatoire, et
de lui en vouloir de ce que nous avons fait pour Dieu, parce que nous voulons
qu’il nous rembourse, quelles que soient les circonstances, alors que quelquefois,
l’autre ne soupçonne pas du tout la malignité de ce comportement de juge impitoyable, et nos reproches ineptes de manque de reconnaissance, ne font qu'ajouter à sa déjà grande détresse.
Car, si celui ou celle qui est dans la détresse, voit sa peine,
sa douleur, son deuil allégés par notre bonne action en Christ, le fait de
vouloir faire de cette action une sorte de reconnaissance de dette obligatoire,
un esclavage de la soumission et de la reconnaissance, est un grand péché
devant Dieu. Et lui reprocher un manque de reconnaissance à cause du diktat infantile de cette enflure de notre ego, est une véritable abomination, fille de notre orgueil, de l'importance démesurée que nous accordons à notre petite personne mesquine qui se considère comme le nombril du monde.
« Tous ceux dont le cœur est orgueilleux,
font horreur à l’Eternel » (Proverbes 16 :5). Et c’est l’orgueil qui
conduit à la philautie, et cet amour de soi mène ensuite à l’illusion spirituelle, et finalement, sans repentance et sans retour à une saine attitude de réelle fraternité, sans jugement constant des autres pour des méfaits qu'ils n'ont pas commis, mais que nous leur prêtons, l'âme s'achemine sûrement vers la perte finale de la Grâce.
Version Française Claude Lopez-Ginisty
d'après
K. F. Volkovitch-Drok
Simple Theology
Ed. Sam-izdat
Libertyville, TN.
(sans date)
* excruciating distress: détresse causant une peine horrible (de crux, crucis, la Croix en latin)
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