Eglise de l'Annonciation de la Mère de Dieu de Diviyévo
18. " Le Métochion de Diviyévo "
Quand
je suis arrivée, nous avons vécu là, juste nous deux, mais plus tard, beaucoup
de filles sont venues et ont vécu dans cette maison. Le métochion [dépendance d’un monastère] existe
encore naturellement. Nous sommes très respectueuses les unes des autres, même
aujourd'hui, car elle a uni tout le monde avec amour, et nous avons appris
beaucoup dans ce métochion. C’était comme une petite communauté monastique, et
l'Église des Catacombes a continué avec nous. Père Séraphim lui-même avait dit:
"Tu auras un métochion."
Il
y avait une règle très stricte. Matouchka était déjà une moniale du grand
schème, et elle avait une très longue règle de prière. Elle devait lire le
Psautier entier tous les jours, dire 1600 Prières de Jésus et faire la règle
monastique en plus. Et comment peut-on faire tout cela quand il y a toujours
des gens dans la maison? De très nombreuses personnes venaient la voir. Elle
n'a jamais renvoyé quiconque. Nous avions l'habitude de nous lever à 5h du
matin. Elle venait frapper à notre porte: "Réveillez-vous les enfants,
réveillez-vous, c’est le temps de la prière." Nous grommelions avec
déplaisir, ne voulant pas nous lever, mais nous le faisions. Maintenant, je ne
pourrais pas faire ces travaux que nous faisions alors, c'était probablement
possible grâce à ses prières. Nous travaillions dur et nous avions un tel
travail dans le monde, que nous devions mortifier nos passions.
Au
travail, nous étions fatigués, le soir presque tous les jours, nous lisions Vêpres.
Nous avions des livres de Services Divins à la maison. Elle ne nous laissait
aller à la Laure qu'à contrecœur, même si nous étions impatientes d'y aller de
toutes nos forces. Elle disait: "Vous n’avez rien à faire là-bas. Apprenez
les offices ici. Là-bas, vous agissez comme des folles, vos yeux flottent tout
autour, vous devriez rester à la maison et prier…" Donc, la plupart du
temps, elle nous gardait à la maison.
Nous
nous levions le matin, lisions la règle, qui durait parfois jusqu'à midi; c'est-à-dire
de 5h à midi. Nous lisons tout le Livre des Canons, plus un acathiste pour le
saint du jour, ainsi que les prières avant la Liturgie; Liturgie bien sûr, que nous
ne pouvions pas faire. Nous lisions et Matouchka faisait la prière de Jésus,
puis elle a prenait le Psautier, alors que nous courions à la cuisine, car il
fallait préparer la nourriture pour les gens qui venaient toujours après le
déjeuner et avant même. La première priorité était de les nourrir, et nous
avons souvent fait de grands pots de nourriture. J'étais l'ennemi juré de la
cuisine, c’était pour moi la plus grande épreuve. Je souffrais incroyablement
qu'ils m'aient attribué les casseroles. Mais voici comment patiemment Matouchka
portait ceci: "Mon enfant, mon enfant, allons mon enfant." Je murmurais:
"Nous ferions mieux de prier. Nous avons notre règle à faire, et là, te
voilà, toi et tes casseroles! En quoi avons-nous besoin de ces
casseroles?" "Mon enfant, mon enfant, permets-moi de nettoyer
quelques carottes. Donne-moi des carottes, et verse un peu d'eau." Ainsi m’a-t-elle
convaincue. Mais le Seigneur m'a humilié pour ma désobéissance. Tout ce que
j'avais à faire était de désobéir, et les gens viendraient en foule et il n'y
aurait rien à manger.
Elle
n'a jamais grondé quelqu'un dans sa vie, n'a jamais dit "Je t’ai dit de le
faire, mais tu ne le fais pas." Elle disait: "Aïe, vite, vite, Tanya dépêche-toi,
les gens sont arrivés." Quelle humilité, quelle patience, quel amour elle
avait pour nous, mais elle était aussi remarquablement stricte avec nous. Nous
ne pouvions pas prendre une tasse dans le placard sans le demander. Au début,
je ne comprenais pas et je murmurais beaucoup. Je pensais que je ne serais tout
simplement pas en mesure de supporter tout cela, d'autant plus que j'étais
habituée à la liberté, à la mauvaise conduite, pour être plus précise, et
maintenant je devais marcher sur une plancheet obéir à une vieille dame. Je me
souviens qu’une fois que j'ai pleuré et j’ai dit: "Je ne peux plus le
faire, tu fais tout cela, juste tout exprès pour te moquer de moi." Mais
Matouchka très calme et paisible a déclaré: "Je tiens à t’enseigner ce qui
est correct. Afin que tout soit la volonté de Dieu, avec une bénédiction, afin que l'obéissance soit présente en
tout, car le Seigneur ne l'acceptera pas si cela vient de toi-même."
Il était très difficile de lutter avec
moi-même, mais le Seigneur m'a aidé par ses prières. Il était
extraordinairement facile de prier avec elle. Les pages et les livres semblaient
juste voler. Le faire sur une base individuelle était comme faire tourner une
meule de moulin, mais avec Matouchka nous ne remarquions même pas le temps
passer. Je n'étais pas la seule à remarquer cela. Lorsque nous priions, il
semblait qu'une certaine mesure du fardeau tombait de nos épaules. Nous nous sentions
si légères après les prières…
Elle
avait le don de clairvoyance. En raison de sa modestie et de son humilité, elle
le garda pour elle-même, ne le révélant à personne. Bien que j'ai été avec elle
pendant longtemps, le Seigneur ne me le montra que plus tard, et je compris que
je devais lui obéir en tout, même s’il y avait des startsy dans la Laure, et que
j'avais un père spirituel. Il arrivait qu’elle disait: "Tanya, va au
magasin et tu verras Annoucha [petite Anne]. Elle te donnera quelque
chose." Je sortais comme une fusée, et bien sûr, Annoucha était là et me
donnait cette chose. Nous n’étions jamais allées nulle part, et nous ne savions
rien. Elle disait: "Dans la Laure, ce prêtre fait quelque chose de mal, et
tu dois lui dire cela." Nous sommes allés, et j'ai dit: "Père, s'il
vous plaît pardonnez-moi, mais vous ne devez pas faire cela."
Un
diacre, le Père. Vladimir, vivait à côté de chez nous (il sert maintenant en
Amérique). Je lui ai dit à ce sujet: "Ils font cela dans la Laure. Est-ce
vrai ou pas ? Matouchka nous l’a dit?" Il était étonné: "Comment
le sait-elle ? Vous êtes assises à la maison et vous n’allez nulle
part?" Ensuite, le diacre a dit: "Ah! Je sais. Elle s'assied et
regarde par la fenêtre, et les moines passent tout près (ils avaient là un
métochion)." J'ai dit: "Oui, bien sûr, on regarde par la fenêtre et on
voit ce qui se passe dans la Laure ?
Matouchka
était très directe de nature. Vladyka Sérapion était son père spirituel. Quand
le Père Séraphim n'était plus, elles ne reconnaissaient pas que quiconque soit au-dessus
d’elles, sinon "Papa". Mais l'évêque Sérapion les a guidées. Il
tonsura Mère Suzanne et Mère Nikodima dans le schème. Il voyageait à
l'étranger; là, ils avaient peur des prêtres "rouges", et ils lui ont
dit: "Nikodima, tu le sais, tu devrais quitter Sérapion : il a
un" livret rouge [c’est-à-dire qu’il a un passeport soviétique du
gouvernement communiste, et travaille pour le KGB]". Elle s'approcha de
lui et dit: "Pardonne-moi Batiouchka (il n'était pas évêque à l'époque),
mais bénis-moi pour aller vers un autre père spirituel." "Pourquoi?
"dit-il, car il l’aimait et la respectait. "Tu as une sorte de livret
rouge." Il répondit, "Il n'est pas rouge, il est gris." "Je
ne sais pas à quoi il ressemble, ce n'est pas grave. Mais bénis-moi pour aller vers
un autre père spirituel. Pardonne-moi, je te le dis en face. Que tu m'aimes ou que
tu ne m'aimes pas, je te le dis comme ça !"
C'est
ainsi qu’elle était. Elle pouvait dire quelque chose à quelqu'un, face à face,
et le dire d'une manière telle qu'elle n’offensait personne. Elle avait le don
d'ouverture et de franchise afin de sauver l'âme de son prochain.
Elle
vénérait beaucoup sa sainte patronne, sainte Parascève, et recevait toujours la
Sainte Communion pour son jour de fête, en se préparant bien pour cela.
Un
jour, je suis allé à la Laure [pour trouver un prêtre pour lui donner la Sainte
Communion]. Habituellement, ils venaient facilement, mais cette fois il y avait
quelque tentation : personne ne voulait la communier, ils étaient tous
trop occupés. Alors je me tournai vers le Père Platon, et il a dit: "Je ne
peux pas non plus, mais je vais demander à l'un des élèves externes, lui donner
mes Saints Dons, et il ira la communier." J'ai dit à ce prêtre avec
indignation: "Pardonne-moi mon père, mais c'est une Matouchka de Diviyévo,
s'il te plaît, fais un effort pour l'amour du Christ." Je pensais, bon il
a ses propres affaires, et maintenant nous lui avons trouvé plus de travail.
Il
me regarda avec surprise: "Que veux-tu dire, par Divyévo? D’où viennent
les moniales de Diviyévo?" J'ai dit: "Elle vit ici depuis longtemps,
car elle a reçu la bénédiction
pour le faire." Il ne dit plus rien. Il avait un regard de séculier, et
semblait comme tel. Eh bien, je l'ai amené à la maison et il est entré. Matouchka
était déjà dans son habit, prête, regardant par la fenêtre, et attendant.
Alors
elle se retourna soudainement: "Bénis, Vladyka [Maître : pour un
évêque]! J'ai dit: "Eh bien, bonjour, un simple prêtre est venu pour te
servir. Les moines aujourd'hui ont refusé de le faire. Cela doit vouloir dire
que tu fais quelque chose de mal " Elle a juste regardé en disant: "Je
ne sais pas, mais voilà un évêque." Ce prêtre fut frappé de cet imprévu."
Matouchka, comment sais-tu cela ?" "Eh bien, je ne sais pas,
mais voilà un évêque." Il ne dit rien, se rendit dans la salle, la confessa
et la fit communier.
Puis
ils se sont assis à table et le prêtre dit qu'il avait eu de très grandes épreuves.
Il avait été persécuté dans sa paroisse et avait enduré beaucoup d'injustice, de
tentations de l'Ennemi. Le Diable avait fomenté des persécutions contre lui. C’était
un prêtre marié. Cette nuit même, avant que je l’aie rencontré, saint Séraphim
lui était apparu en rêve. Le saint l’avait réconforté et lui avait dit:
"Ne t’afflige pas, tu seras évêque." Il ne croyait pas en ce rêve, et
il décida que c'était une attaque du Diable. Il ne l'acceptait pas du tout à
cause de son humilité. Mais quand je l'ai invité à communier une religieuse de Diviyévo,
et quand il l’a entendue l’appeler Vladyka dès la porte, comme il l’avait
entendu dire de saint Séraphim, il fut bien sûr choqué et surpris.
Quand
je suis rentré avec lui à la Laure, il m’a dit quelque chose que personne n'avait
jamais dit, c'était la vérité, il a dit: "Tanya, accroche-toi à cette moniale,
car il y a quelque chose en elle qui a été pratiquement anéanti chez les gens.
C'est ce que les saints Pères appellent l’humilité. Il s'agit de la plus
profonde de toutes les vertus. Mais beaucoup des ascètes d'aujourd'hui ne
savent même pas ce que c'est. Mais ces anciens esclaves de Dieu le savent. La
grâce de Dieu n'est pas donnée pour rien, il faut souffrir et pleurer, son
chemin a sans doute été difficile."
Quand
il m'a dit cela, j’ai réfléchi sur elle et j’ai commencé à l'observer plus
attentivement. Elle avait une humilité très profonde; Elle pouvait ployer sous
toutes les conditions de la vie, passer inaperçue en tout, pour voir
tranquillement et sans mots inutiles et comprendre la volonté de Dieu, et tout supporter
magnanimement. Quand Matouchka mourut, nous nous sommes souvenues d'elle, et nous
nous sommes rappelées soudain qu'elle ne s'était jamais irritée, n’avait jamais
crié après quiconque, ne s’était jamais mise en colère, juste un regard d'elle
était suffisant. C'était terrible de la mettre en colère. Son mécontentement s’exprimait
en quelques mots: "Papa, mon cher saint Séraphim, regarde juste ce qu'elles
font." C'était sa punition, mais elle n'était pas terrible, car nous
savions que ces paroles coûtaient très cher.
Ainsi,
elle était toujours pacifique, toujours, toujours en prière. Peu importe qui
venait la voir, elle pleurait avec ceux qui pleurent, mais son chapelet se
déplaçait toujours [entre ses
doigts]. Même la nuit, nous nous réveillions et la regardions et elle dormait,
le sifflement de sommeil emplissait l'air, mais sa main se déplaçait sur le
chapelet. Comment cela pouvait-il être possible? Cette main ne cessa jamais de
travailler, comme si, [telle une montre], elle avait été remontée un jour et qu’elle
n'avait jamais cessé depuis de fonctionner. Elle aimait beaucoup la prière de
Jésus.
Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après
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