(Transcription d'un podcast)
Aujourd'hui, j'ai eu une conversation avec un ami dans laquelle il a mentionné le fait que beaucoup de gens qui venaient de milieux plus ou moins marginaux ou extrémistes étaient, selon sa compréhension, à la recherche de l'Orthodoxie. Il a mentionné spécifiquement (et ce n'est pas la dernière vague concernée) les rockers punks du temps de sa jeunesse (il est beaucoup plus jeune que moi) qui cherchaient l'Eglise orthodoxe.Il a dit: "C'est parce qu'ils voulaient tout. Ils voulaient des moines. Ils voulaient des icônes. Ils voulaient la plénitude de la Liturgie et de la théologie". Et j'ai pensé: "Il a quelque chose là!" et dans le même temps, dans mon esprit une pensée s'est glissée:" Comme il est difficile de quitter l'Occident. Comme il est difficile de quitter l'Occident. "
La raison en est que l'ensemble de nos façons de penser est empêtré dans un système qui suppose ce moi individuel, autonome, en face d'un monde, soit imaginaire soit réel, et nous avons tendance à penser en Occident que ce moi projette ce monde et se reflète sur lui, mais à aucun moment notre autonomie n'est contestée. Il me semble que c'est là le modèle de religion en Occident, depuis beaucoup, plusieurs centaines d'années à présent.
Depuis l'époque de la Réforme, la réflexion sur la foi a été intériorisée au point qu'elle est devenu presque indistincte d'une sorte de psychologie de l'âme. Même si la plupart des modèles théologiques complexes semblent être vraiment les simples constructions d'un moi pensant, et à la réflexion et certainement depuis l'époque d'Emmanuel Kant, le grand fondateur de ce qu'on appelle les Lumières en Occident, cela a signifié une psychologisation de la foi, une intériorisation qui ronge toutes les propositions de la révélation.
En sortant du luthéranisme comme je le faisais, j'ai commencé à comprendre que les efforts de replâtrage pour sauver l'ensemble de l'entreprise sont nés avec la montée de ce qu'on a appelé le piétisme, avec son cortège et son compagnon un peu plus rigoureux, le puritanisme. C'étaient en quelque sorte des actions héroïques qui combattaient jadis sur le front du développement du protestantisme au 16ème et 17ème siècle. Ce sont des actions héroïques, mais elles sont toujours enfermées dans le moi conscient et pensant.
Jaroslav Pelikan, qui s'est tourné vers l'Orthodoxie dans la dernière décennie de sa vie, a montré il y a de nombreuses années que la séquence de la scolastique occidentale est allée au rationalisme, au piétisme et puis où? Vous voyez, la prochaine étape logique semblait alors être le nihilisme que nous avons hérité de Friedrich Nietzsche à la fin du 19e et au début du 20e siècle. Toutes les réflexions dans ce sens -rationalisme, scolastique, piétisme- présentent une sorte de bravade qui peut s'écraser dans le néant à tout moment. Et ce qui se passe dans le long terme, il me semble, est que les alternatives s'achèvent comme étant soit l'athéisme ou le théisme. Une sorte de situation de compromis, si vous voulez.
La théologie occidentale a commencé avec la scolastique sur une note positive et élevée, mais parce qu'elle a commencé à chasser ignominieusement l'idée de mystère, tous les blancs ont fini par être remplis. Il ne restait pas d'espace. L'approche négative de la théologie, appelé dans l'Église orthodoxe approche apophatique, était suspecte parce que la faculté de raisonnement était détrônée. Le vide est rempli par la contemplation de la révélation dans ce cas, mais cela n'est pas vraiment arrivé. Même Luther a dit que le bon usage de la raison est la contemplation de la révélation de Dieu, mais ce n'est pas ce qui en est résulté pour le long terme en Occident.
Je veux utiliser un angle d'attaque différent pour ce qui suit. Sur un plan purement local, l'Orthodoxie ne peut pas s'insérer dans une niche reconnaissable, et c'est peut-être l'une des autres raisons pour lesquelles sur les bords ou marges de la société, les rockers punks, trouvent en elle un tel secours et confort, car elle plaît à ceux qui ne veulent pas être identifiés avec la culture dominante. Les baptistes et autres protestants rationalistes se tiennent d'un côté. Les catholiques romains se tiennent de l'autre côté. Nous n'avons pas de marque de reconnaissance dans l'Orthodoxie, et pourtant les gens continuent à nous chercher, parce que l'approche occidentale de la théologie a tout simplement atterri dans une impasse.
Vous passez de la scolastique au rationalisme au piétisme et puis finalement vous vous retrouvez dans le néant. Regardez les milliers et les millions de personnes qui ont quitté un jour bien une approche bien structurée de la théologie chrétienne dans le protestantisme, et qui ont simplement dérivé au loin dans le néant. J'ai tendance à penser que c'est parce que l'on se réveille un jour et on dit: "Vous savez, je me trompe vraiment sur ce genre de choses. J'improvise au fur et à mesure que j'avance. J'invente cette théologie. C'est seulement une projection de mon propre esprit. "Alors qu'est-ce qui manque? Le réalisme sacramentel? La spiritualité? Une communauté qui soit vraiment orientée vers la sainteté, qui a des modèles de sainteté disponibles pour que les gens les considèrent, les imitent, trouvent en eux leur propre modèle d'être?
La sainteté. La sainteté est-elle possible? Non, selon la plupart des modèles occidentaux. Cette même conversation produisit plus d'informations sur le contexte de ce commentaire, et cela touchait à la crispation de tout type d'approche de la sainteté qui est fondée dans les coutumes, les gestes, les traditions. Tout le reste de cette substance a été jeté dans une grande partie de la tradition occidentale. Et cette personne dans une conversation avec moi m'a dit: "Vous savez, je pense que l'Orthodoxie a probablement maintenu les traditions de la foi aussi bien que quiconque pouvait éventuellement le faire, dans les circonstances de ce grand melting-pot que nous appelons l'Amérique." Peut-être. Je ne suis pas si sûr de cela moi-même, mais je comprends certainement le commentaire et j'espère que c'est vrai.
Je pense que l'accent mis dans l'orthodoxie sur le mystère, sur l'acceptation du mystère de Dieu, doit vraiment plaire à un grand nombre de personnes qui ont simplement épuisé leur faculté de penser leur chemin dans une position théologique. Alors que reste-t-il? Je ne sais pas. Toutes les preuves de l'existence de Dieu sont externes et sont donc vouées à l'échec. La preuve de l'existence de Dieu est plus probablement dans une vie changée, et le lieu de l'existence de Dieu est toujours dans le cœur humain.
Il n'y a vraiment plus de problème de l'existence. N'importe qui peut débattre des avantages et des inconvénients de l'existence de Dieu. C'est vraiment une question de lieu, n'est-ce pas? Saint Dimitri de Rostov a dit, "La chambre de prière matérielle d'un homme qui est silencieux ne comprend pas seulement l'homme lui-même, mais la chambre spirituelle intérieure contient également Dieu et tout le Royaume des Cieux." L'Orthodoxie est le refuge de la sainteté, et, je dirai, de la sainteté qui est tempérée et étreinte par la compassion.
La compassion et la sainteté ne sont pas antinomiques. Elles n'ont jamais pu être opposées. La sainteté, en fait, est le cadre que remplit la compassion, et la compassion donne du sens inter-personnel à la sainteté. La sainteté est la fondation inter-personnelle de la compassion. La sainteté est ce vide de soi-même devant Dieu qui permet la compassion comme le vide de soi devant les autres.
La compassion et la sainteté ne sont pas opposées, mais apposées. Du point de vue chrétien, du point de vue orthodoxe, l'une n'est pas totalement spirituellement possible sans l'autre. La compassion témoigne de la sainteté, alors même que la sainteté témoigne de la compassion.
Les formes occidentales du christianisme semblent être dans un état de désarroi. C'est ce qui ressort de cette conversation aujourd'hui. Et dans le même temps, l'Orthodoxie, assez étrangement, pas par moi dans ce cas, est confirmée comme étant un refuge pour ceux qui étaient vraiment désireux de rassembler les morceaux de leurs vies d'une manière telle, qu'ils savent qu'ils sont vraiment debout sur un terrain autre que leurs propres sentiments, leurs émotions, ou leur raison.
Lorsque vous arrivez à la fin de cette voie de la pensée, constatant tant de dégénérescence de la théologie occidentale, vous vous regardez dans le miroir et vous dites simplement: "Suis-je dans l'illusion? Ne suis-je pas simplement à inventer ce que je crois parce que c'est ce que je veux croire? "La foi est tranchante. Il faut que le mur contre lequel nous nous appuyons, nous teste, teste nos preuves, nous teste de telle manière que nous puissions émerger comme des personnes intéressées par la sainteté et la compassion tout à la fois.
Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après
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