"Dans la confusion de notre époque quand une centaine de voix contradictoires prétend parler au nom de l'Orthodoxie, il est essentiel de savoir à qui l'on peut faire confiance. Il ne suffit pas de prétendre parler au nom de l'Orthodoxie patristique, il faut être dans la pure tradition des saints Pères ... "
Père Seraphim (Rose) de bienheureuse mémoire

jeudi 7 juillet 2011

Père Jean (Romanides) de bienheureuse mémoire



f. Ioannis S. Romanides
Eloge funèbre du Père Jean (Romanides) prononcé par le Père Georges (Metallinos) , Doyen de la Faculté de Théologie d'Athènes

Au nom du Département de Théologie de l'École de l'Université d'Athènes et de son Président M. Demetrios Gonis, on m'a fait l'honneur d'offrir quelques paroles d'amour, de respect et d'honneur pour l'excellent collègue, qui était en route pour les " hautes sphères ».

Le défunt s'était lui-même révélé ainsi dans une de ses rares présentations de lui-même:

"Mes parents venaient de la ville romaine (*) de Kastropolis d'Arabessus en Cappadoce, berceau de l'empereur romain Maurice (582-602), qui avait nommé saint Grégoire le Grand (590-604) pape de Rome, qui à son tour nomma Augustin premier archevêque de Cantorbéry (597-604).
Je suis né au Pirée le 2 mars 1927. J'ai quitté la Grèce et j'ai émigré en Amérique le 15 mai 1927 (âgé seulement de 72 jours) avec mes parents et j'ai grandi dans la ville de New York, à Manhattan, sur la 46ème rue, entre la deuxième et la troisième avenue.
Je suis diplômé du Collège grec de Brookline au Massachusetts, de l'Ecole de Théologie de l'Université de Yale, docteur de l'École de théologie de l'Université nationale Capodistrienne d'Athènes, de l'Ecole de Philosophie de l'Université de Harvard (École des arts et des sciences); Professeur émérite de l'Ecole de Théologie de l'Université Aristote de Thessalonique et professeur invité de l'École théologique de Saint Jean Damascène de l'Université de Balamand au Liban depuis 1970 ".
A ceci, nous ajouterons qu'il a également étudié au Séminaire Russe Saint Vladimir à New York; à l'Institut russe aussi de Saint-Serge à Paris et à Munich, en Allemagne. Il a été ordonné prêtre en 1951 et depuis lors, a officié dans différents diocèses des États-Unis d'Amérique. Entre les années 1958 et 1965 il a servi comme professeur à l'École théologique de la Sainte Croix, mais a démissionné en 1965, pour protester contre le renvoi du père de George Florovsky de l'Ecole.

Sa nomination au siège de Dogmatique à l'Ecole de Théologie de l'Université de Thessalonique a eu lieu le 12 Juin 1968, mais il n'y a finalement pas été affecté, parce qu'il était accusé d'être  "communiste"! Sa prise de poste a finalement eu lieu en 1970. En 1984, il a démissionné pour des raisons personnelles, a pris une retraite à taux plein, mais il n'a pas été jugé approprié de lui accorder le titre de professeur émérite: chose qui révèle les dysfonctionnements de nos collègues théologiens.

SON ŒUVRE

Il a écrit une pléthore d'études, dont beaucoup sont encore inédites et devraient être publiées ensemble, dans une série de volumes. Ces reliques doivent être préservés, car elles ont beaucoup à offrir et à révéler.

Sa thèse de doctorat sur le Péché Originel qui était un traité littéralement révolutionnaire, a ouvert de nouvelles voies dans notre théologie, elle fut suivie par ses livres tout aussi importanst sur la Romanité, dans le domaine de l'Histoire. Père Jean a relancé ces deux domaines: de recherche et de compréhension.

Son travail et sa contribution à la science ont été systématiquement analysés dans la thèse de doctorat d'Andrew Sopko, "Prophète de l'Orthodoxie Romaine - la Théologie de Jean Romanides" Canada 1998.

Tout aussi importante est sa participation et sa contribution à notre Eglise, avec sa participation aux dialogues théologiques avec les participants hétérodoxes, en particulier les anglicans, mais avec d'autres représentants religieux également (judaïsme, islam). Le fait que sa langue maternelle était l'américain (l'anglais) lui a fourni la facilité dont il avait besoin pour exposer avec précision les positions de notre Église. Dans le dialogue avec la Fédération Luthérienne Mondiale (1978), j'ai eu l'occasion de me familiariser avec lui, et de devenir un de ses proches, et, plus important pour moi, de devenir vraiment son élève, au-delà de l'étude approfondie et continue de ses œuvres. Dans ces dialogues, sa vaste connaissance de la tradition patristique est devenue très apparente, avec les falsifications qu'elle avait subies à la fois en Orient et en Occident, et surtout sa connaissance de la théologie de saint Grégoire Palamas, pierre angulaire de la tradition orthodoxe.

Père Jean était partisan de l'association entre la théologie et l'expérience de l'Esprit Saint, et du cheminement par étapes de catharsis spirituelle, d'illumination et de theosis [déification] des saints, comme préalables des Conciles œcuméniques et de leur acceptation sans réserve,  chose qui a été écartée en Occident, mais aussi dans notre propre pensée théologique occidentalisante. Ce tournant vers la mentalité patristique comme forme d'authenticité ecclésiastique était la poursuite et l'achèvement du mouvement initié par le père George Florovsky, dont il a poursuivi le cours dans le dialogue œcuménique, lui même devenant une gêne , car il n'était pas facile de converser avec lui. Un jour, tout cela va être mis par écrit, afin que le caractère exceptionnel du défunt apparaisse, avec sa véritable contribution à la présence internationale et œcuménique de l'Orthodoxie, même s'il a souvent été lui-même réservé...

L'avant et l'après Romanides

Lors de l'examen de son opus théologique, éducatif, littéraire et militant,  nous sommes naturellement obligés de nous référer à une ère avant Romanides et après Romanides. Parce qu'il introduisit une coupure réelle et une faille dans notre passé scholastique, qui ressemblait à une captivité babylonienne de notre théologie. Sa thèse a résolument scellé ce cours revivaliste, dans la mesure où même ceux qui pour diverses raisons le critiquaient ou lui manifestaient leur opposition idéologique, trahissaient dans leurs écrits l'influence du père Jean dans leur pensée théologique. Plus précisément, le père Jean:

a) a rétabli la priorité de la patristique théologique empirique dans le domaine universitaire de la théologie, écartant la voie intellectuelle méditative-métaphysique de théologisation.

b) Il a lié la théologie académique au culte et à la tradition patristique de Philocalie, prouvant l'inter-pénétration de la théologie et de la vie spirituelle, et le caractère pastoralo-thérapeutique [ποιμαντικό-θεραπευτικό] de la théologie dogmatique.

c) Il discernait et adoptait dans sa méthode théologique le lien étroit entre le dogme et l'histoire, grâce auquel, il a été en mesure de comprendre, comme peu de gens le pouvaient, l'aliénation et la disparition de la théologie en Europe occidentale, qui est née de l'occupation franque et de sa dictature. En outre, sa connaissance compétente de l'histoire franque et romaine (il était destiné à être professeur d'histoire à Yale), l'a aidé à déterminer et à analyser la différence diamétrale entre les civilisations franque et romaine, avec l'introduction de critères romains pour examiner notre histoire et notre civilisation.

d) Il a ainsi également aidé à la recherche exhaustive de l'hellénisme, au-delà des scénarios fabriqués par l'Occident, avec sa position stricte consistant à justifier  absolument l'utilisation de nos noms historiques, de leur signification et de leur potentiel dans le cours de notre histoire.

Les hétérodoxes

C'est un fait, que les hétérodoxes ont reconnu-plus que nous-, la personnalité du Père Jean et de son importance pour l'Orthodoxie. Il était considéré comme le meilleur chercheur orthodoxe du bienheureux Augustin, qui a même aidé la théologie occidentale à le comprendre, et a été caractérisé comme "assurément le plus grand des théologiens orthodoxes vivants, dont les travaux comprennent une étude critique des travaux d'Augustin à la lumière de la théologie patristique" . Et il faut dire, que nous sommes redevables au Père Jean pour son affirmation de poids selon laquelle les enseignements de Barlaam de Calabre sur les expériences de perception de Dieu des prophètes étant "des phénomènes naturels, qui peuvent être faits et défaits" sont dérivés du Traité sur la Trinité du bienheureux Augustin.

Père Jean respecté et aimé, tes amis, tes collègues,  tous expriment notre gratitude, pour tout ce que, par la Grâce de Dieu, tu nous as donné. Comme les milliers d'étudiants, directs ou indirects le font  également. Nous nous accrochons au legs théologique que tu nous as laissé,  pour qu'il soit notre bâton de marche dans l'obscurité que le calcul, l'ignorance, l'indifférence et le profit ont engendrée. Tu nous as unis avec l'élément patristique dans le domaine de la théologie universitaire, en nous exhortons sans cesse vers le culte et l'exercice ascétique, où la véritable théologie est cultivée. Nous te remercions!

Que ta mémoire soit éternelle, jusques au temps où nous nous rencontrons à nouveau à l'autel céleste, mon bien-aimé collègue et commensal dans le ministère.

Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après

(*): Par romaine, le père Jean entend grec!

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