"Dans la confusion de notre époque quand une centaine de voix contradictoires prétend parler au nom de l'Orthodoxie, il est essentiel de savoir à qui l'on peut faire confiance. Il ne suffit pas de prétendre parler au nom de l'Orthodoxie patristique, il faut être dans la pure tradition des saints Pères ... "
Père Seraphim (Rose) de bienheureuse mémoire

vendredi 12 mars 2010

Père Jean BRECK: Et pourquoi faisons-nous des prosternations?



Les prosternations peuvent sembler un exercice curieux et discutable à assumer pour les chrétiens. Elles ont pourtant une place essentielle dans l'itinéraire spirituel qui mène à travers l'ascèse du Grand Carême à la joie pascale.

Un professeur à l'Université Sarah Lawrence, avait pris l'habitude d'amener certains de ses élèves au Séminaire Saint Vladimir, pour les initier au culte orthodoxe. C'était toujours une vision agréable de la voir arriver avec le groupe de jeunes hommes et femmes tandis que la communauté se rassemblait dans la chapelle du séminaire. Fait intéressant, elle avait choisi de leur offrir cette introduction un mercredi après-midi du Grand Carême, au cours de la Liturgie des Dons Présanctifiés. Comme on pouvait s'y attendre, les réactions de la part des étudiants avaient été mitigées. Avec les nombreuses prosternations faites par les membres de la congrégation pendant le service, ces réactions comprenaient une part de surprise, ou de divertissement, ou même de scandale.

Les gestes physiques sont considérés avec beaucoup d'ambivalence par de nombreux Américains. En Europe Occidentale, personne n'est surpris ni offensé lorsque des adolescents, par exemple, se saluent dans la rue en s'embrassant sur la joue: deux, trois ou quatre fois (le protocole limite cela néanmoins à une fille et un garçon, ou une fille et une autre fille). Si j'entre dans un restaurant et que je rencontre un ami orthodoxe, instinctivement, on a tendance à se saluer en s'embrassant de la même manière. Le regard sur le visage des autres clients, toutefois, est généralement un regard choqué ou d'égarement: "Nous ne faisons pas cela dans notre société." Nous orthodoxes le faisons cependant.

Nous faisons aussi des prosternations, tant dans nos temps de prière personnelle et liturgique que dans nos services, en particulier durant le Grand Carême. Pourquoi faisons-nous cela? Est-ce quelque chose d'étrange qui nous vient de la spiritualité monastique traditionnelle, avec son insistance sur la rigoureuse discipline ascétique? Ou bien est-ce une pratique qui a une valeur spéciale pour toute personne qui souhaite entrer sérieusement, profondément, dans la vie en Christ? Est-ce, en d'autres termes, un exercice particulier, accompli peut-être pour avoir quelques avantages pour la santé, comme une sorte de yoga chrétien? Ou est-ce une pratique qui génère une transformation réelle et positive dans notre vie, qui est à la fois physique et spirituelle?

Les Américains sont de nos jours très familiarisés avec les prosternations faites par les musulmans lors de leur rituel de prière quotidienne, nous en voyons des images presque tous les jours dans les médias. La plupart ne savent pas que les chrétiens orthodoxes pratiquent la même discipline, en se mettant à genoux dans un lieu de culte et en touchant la tête au sol, avant de se relever pour se tenir dans l'attitude habituelle de la prière. Ils seraient étonnés de voir ces moines, par exemple, qui font littéralement des centaines de prosternations au cours d'un service de vêpres ordinaires (un spectacle banal au monastère de la Sainte Dormition dans le Michigan, comme dans de nombreuses collectivités semblables). Ils seraient tout aussi surpris de voir des laïcs "ordinaires" se prosternant à plusieurs reprises pendant tout l'office des Complies de la première semaine du Grand Carême, avec le Canon pénitentiel de saint André de Crête. Mais là encore, c'est ce que nous, les orthodoxes faisons. Pourquoi?

Une belle réponse à la question apparaît dans les écrits du grand évêque hésychaste, Théoliptos de Philadelphie (1322). "Ne négligez pas la prosternation, a-t-il enjoint à ses enfants spirituels. "Elle fournit une image de la chute de l'homme dans le péché et exprime la confession de notre péché. Se lever, en revanche, signifie le repentir et la promesse de mener une vie de vertu. Que chaque prosternation soit accompagnée d'une invocation noétique du Christ, de sorte que par la chute devant le Seigneur avec l'âme et le corps vous puissiez gagner la grâce du Dieu des âmes et des corps. "

L'importance des prosternations, du point de vue de l'évêque Théoliptos, est beaucoup plus spirituelle que physique. En se penchant sur nos genoux, nous supposons une attitude d'humilité devant le Dieu à Qui nous offrons notre prière. En nous agenouillant, puis en touchant notre front sur le sol, nous reconnaissons nos péchés, nous créons une image vivante de notre chute dans le péché. Notre posture elle-même représente un aveu de cet état, un rappel à notre esprit de notre pauvreté spirituelle, de notre sensibilité aux passions de l'avarice, la luxure, la colère et la malice. Lorsque nous nous nous abaissons avec le corps et l'esprit, nous confessons ainsi le Nom au-dessus de tout nom, le Nom qui "maintient l'univers", comme le Pasteur d'Hermas l'exprime, et nous maintenons notre monde personnel de même: "Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi pécheur! "

Puis, lorsque nous nous mettons debouts, cette confession à la fois du Christ et de notre péché devient le symbole du corps, une promesse virtuelle, que le changement se produira dans notre vie. Nous nous engageons à la repentance, à un tournant de l'Adam ancien au nouveau. La transformation intérieure signifié par ce geste, bien sûr, ne naît pas comme un résultat de nos prosternations, et pas même à la suite de notre décision de nous repentir. Comme chaque aspect de notre vie chrétienne, cette transformation - le pouvoir d'agir sur notre engagement - est un don de la Grâce qui descend "d'en haut, du Père des lumières."

Ce passage de l'Épître de saint Jacques (1:17), cependant, doit être lu dans son contexte, si bien exprimé dans l'Epitre: "A quoi cela sert-il, mes frères, si un homme dit qu'il a la foi mais n'a pas les œuvres ? Sa foi [seule] peut-elle le sauver?... Montre-moi ta foi, indépendamment de tes oeuvres, et moi par mes oeuvres je te montrerai ma foi... Car comme le corps en dehors de l'esprit est mort, ainsi la foi sans les œuvres est morte. "

Quand on considère les disciplines ascétiques comme le jeûne et les prosternations, il est essentiel que nous nous souvenions de telles paroles. Ces disciplines peuvent effectivement opérer une transformation intérieure, en purifiant et en dirigeant notre intellect et notre esprit vers "la seule chose nécessaire" (Luc 10:42). Mais elles ne sont jamais des fins en elles-mêmes. Comme les saints Pères l'enseignent à plusieurs reprises, elles existent dans le seul but de nous conduire au Christ, Qui Seul guérit nos blessures, pardonne notre péché, et nous attire dans la communion éternelle avec Dieu et avec les autres.

Le dernier mot, lorsque nous sommes déterminés à assumer une discipline sérieuse du Carême, nous est donné par notre Seigneur Lui-même. S'élevant contre l'hypocrisie des chefs religieux qui suivaient la lettre de la Loi et qui ignoraient son esprit, Il a déclaré: "Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites! vous payez la dîme de la menthe, de l'aneth et du cumin, et vous négligez les questions importantes de la Loi, la justice et la miséricorde et la foi; celles-ci, vous auriez dû les accomplir, sans négliger les autres" (Mt 23:23).

Les pratiques ascétiques, notamment pendant les périodes de carême, sont bonnes et même nécessaires, si nous voulons entrer pleinement dans l'esprit de la fête, et laisser l'Esprit lui-même œuvrer avec Sa grâce transformante et Sa puissance dans notre vie. Mais ces pratiques ne peuvent jamais êtres seules impliquées. Un de leurs objectifs les plus fondamentaux, en dehors de la valeur spirituelle qu'elles nous offrent, c'est de nous entraîner dans des actes de justice et de miséricorde envers ceux qui nous entourent. Il s'agit, avant tout de faire celles-ci, sans pour autant négliger les autres.

Version française Claude Lopez-Gionisty
d'après

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