"Dans la confusion de notre époque quand une centaine de voix contradictoires prétend parler au nom de l'Orthodoxie, il est essentiel de savoir à qui l'on peut faire confiance. Il ne suffit pas de prétendre parler au nom de l'Orthodoxie patristique, il faut être dans la pure tradition des saints Pères ... "
Père Seraphim (Rose) de bienheureuse mémoire

lundi 8 mars 2010

Jeûner abondemment/ Père Vasile Catalin Tudora



(Le Père Vasile Catalin Tudora est prêtre de l'Eglise grecque orthodoxe St. John the Baptist à Euless, au Texas, et il tient le blog Gladsome Light Dialogues ( Les dialogues de la Lumière Joyeuse).

L'idée qu'a tout Occidental à propos du jeûne est fortement liée à la renonciation, à l'abandon, au fait de sacrifier quelque chose pour Dieu. Dans l'Église orthodoxe orientale cependant, le jeûne a un sens beaucoup plus riche. Le jeûne n'est pas seulement une question d'abandon, mais c'est en fait beaucoup plus gagner, être en mesure de réaliser des choses qui ne sont possibles que grâce à cet exercice spirituel.

Dans une compréhension légaliste du salut, certains croient que le Christ est venu sur terre pour remplir un devoir, pour réparer une offense de l'homme envers Dieu. Son sacrifice sur la Croix répond à ce besoin et l'humanité entre de nouveau dans les faveurs de Dieu. De ce point de vue, le jeûne est un symbole similaire: un sacrifice personnel que l'on fait pour prendre du recul par rapport à la grâce de Dieu. Cela peut être n'importe quoi allant de l'abandon du chocolat à l'abstention de Facebook pour la période du Carême. Mais de telles renonciations frivoles n'ont pas vraiment le sens authentique du jeûne. Dieu n'a besoin d'aucun de ces sacrifices, comme il n'a pas pas besoin de l'holocauste dans l'Ancien Testament non plus. C'est nous, et non Dieu, qui avons besoin de règles de jeûne.

Si l'on réduit le jeûne à un symbole, à la simple simple idée de jeûne, l'exercice entier du Grand Carême est perverti. Le jeûne devient une notion théorique qui peut être réalisée par un acte qui implique peu ou pas d'effort parce que, à la fin, n'est pas le jeûne qui est important, mais seulement l'idée de jeûne. Cette réduction intellectuelle est un autre symptôme de notre division, de la séparation ontologique entre notre esprit et notre cœur. Séduit par la rationalité sèche, l'esprit interprète une nouvelle réalité tout entière que l'on confond souvent avec l'authenticité véritable de l'existence, que seul un cœur ouvert à Dieu peut percevoir.

Dans ce monde, confectionné par notre esprit saturé de valeurs laïques, l'importance de la participation complète de l'organisme dans le jeûne est oublié, parce que pour l'esprit un symbole est suffisant. Mais l'homme n'existe pas comme fantasme de l'esprit, mais il vit dans le monde réel, comme une personne véritable, corps et âme, à la fois physique et spirituel.

Le Christ sauve le monde non pas en répandant l'idée de salut, mais en descendant Lui-même sur terre, en prenant corps de la Vierge Marie et en devenant physiquement l'un de nous, pas un fantôme, pas un esprit, mais de la chair et des os. Sa mort sur la Croix n'était pas un symbole, mais une réalité douloureuse. Sa résurrection n'était pas une simple histoire, pleine de moralité, mais le fait marquant d'une nouvelle étape de l'existence humaine. En réduisant tout à des symboles, on finit par vivre dans nos esprits et à manquer l'existence authentique.

Dans l'optique orthodoxe, l'homme est tout à fait conscient que par la vie dans un monde physique, avec une nature corrompue et déchue, le corps est soumis à des passions qui affectent l'état de tout son être. Le contrôle du corps par le jeûne dirige l'être humain tout entier vers Dieu, parce qu'un corps soumis par le jeûne apporte la liberté de l'esprit humain, la force, la sobriété, la pureté, et le discernement aigu. (Saint Ignace [Briantchaninov]). D'une manière paradoxale, en affamant le corps, tout l'être humain est nourri spirituellement et il est capable de s'élever, de contempler les choses nobles et de mettre les choses célestes plus haut que les choses plaisantes et agréables de la vie. (Saint Jean Chrysostome).

Nous ne voulons cependant pas réduire l'expérience du jeûne à un régime végétarien simple. Le Grand Carême est une période de transformation totale, de métanoia, comme les Pères grecs l'appellent. Le jeûneur devrait s'efforcer de changer complètement sa façon de vivre, de réorienter ses priorités, de trouver de nouvelles voies vers Dieu, de rechercher la perfection en Christ. Comme saint Basile le Grand le conseille, le vrai jeûne consiste à rejeter le mal, à tenir sa langue, à supprimer en soi la haine, et à bannir la luxure, les paroles malignes, le mensonge et la trahison des serments.

Dans cette perspective, nous pouvons vraiment dire, en paraphrasant saint Jean Chrysostome, que le jeûne du corps est une fête pour l'âme. Une âme libérée du poids d'un corps suralimenté et nourri de la manne des vertus peut atteindre des hauteurs spirituelles, sans les passions qui le traînent au sol. Une telle âme peut prier davantage, peut pardonner plus, peut aimer plus. Le jeûne n'est pas un simple renoncement, mais un exercice d'amour, de même que le salut n'est pas un sacrifice qui satisfait l'honneur, mais le plus grand acte d'amour jamais vu.


Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après

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