Quiconque aime Dieu aime non seulement son prochain mais aussi toute la création : les arbres, l’herbe, les fleurs. Il aime tout du même amour. Aime les pécheurs, mais déteste leurs œuvres ; et ne les méprise pas pour leurs fautes, de crainte d’être tenté de semblable manière.
Saint Ephrem le Syrien
Saint Jean de Cronstadt recommandait de dire du bien de nos semblables plutôt que de les critiquer, et il est vrai que quelquefois cette stratégie permet de désamorcer des séances de critiques qui sont indignes d’un chrétien.
On peut donc s’abstenir de juger, mais il ne faut le faire ni ouvertement, ni mentalement. Nos critiques et nos jugements peuvent d’ailleurs trouver un autre point de fixation plus utile au salut de notre âme. "Pour demeurer dans l’amour de Dieu, il est indispensable que la colère et la "haine" atteignent leur ultime intensité, mais qu’elles soient dirigées contre le péché qui vit en moi, contre le mal qui agit en moi, en moi, et non dans mon frère". (A. Sophrony, Op. cit. p. 225).
On doit en effet se soucier du salut de son âme premièrement, mais le staretz demande de prier aussi pour les ennemis et de les aimer, d’embrasser tous les hommes dans le même amour.
Si nous sommes honnêtes, nous découvrons que nous passons avec célérité de l’agacement à la colère, puis à la haine quelquefois envers ceux qui nous sont les plus proches. Ceux qui sont éloignés, ceux que nous ne connaissons pas sont pour notre jugement, notre amour et notre inimitié, des proies plus faciles. De même que nous manifestons de grands sentiments d’amour immense pour ceux qui vivent à l’autre bout de la planète et que nous ne devons donc pas obliger, de même, mais dans une perspective exactement inverse, nous avons le plus grand mal à aimer véritablement ceux qui nous sont les plus proches. Aimer les peuplades d’un pays où je n’irai jamais ne m’engage à rien car, pratiquement et véritablement, je n’aurai jamais de contact avec elles. Aimer mes proches puis ceux qui sont dans mon environnement spirituel immédiat, est plus ardu. Mais ne pas détester, ni haïr ceux qui sont loin, ceux qui, proches ou éloignés, sont unanimement haïs ou détestés et quelquefois condamnés par l’opinion ou la justice humaine, voilà qui est un exploit spirituel véritable. C’est celui que nous demande le staretz en nous rappelant que notre Maître l’a fait avec le Bon Larron.
"Si quelqu’un dit : J’aime Dieu, et ne laisse pas de haïr son frère, c’est un menteur. Comment celui qui n’aime pas son frère qu’il voit, peut-il aimer Dieu qu’il ne voit pas ?" ( 1 Jean 4, 20) dit le saint apôtre Jean le Théologien. La tâche d’aimer tous les hommes est insurmontable, ou paraît telle à notre esprit épris de justice du monde plus que de justesse évangélique, et nous aimerions qu’il soit possible d’être chrétien et de haïr. Une telle aberration est impossible, alors, encore une fois, lorsque nous sommes devant ce mur de notre propre résistance, malgré toutes nos prosternations d’amour au Seigneur, toutes les œuvres que nous pourrions mettre en balance avec la pure Grâce qui est don gratuit, sont inutiles pour Dieu.
Nous devons admettre nos limites et notre faiblesse. Par un acte d’humilité, il nous faut supplier Dieu de venir Lui-même dans nos cœurs pour pardonner, pour ôter de nos âmes cet esprit de jugement que le monde cultive comme une vertu et le remplacer par l’Amour ineffable du Christ pour toutes les créatures .
Les seuls jugements que nous devons connaître et accepter sont le jugement que nous portons sur nos péchés, et celui redoutable par lequel nous serons dignes ou indignes de Celui qui nous a enjoint d’être "parfaits comme [notre] Père céleste est parfait" ( Matthieu 5, 48).
Dieu Qui est Amour, n’acceptera notre amour que si nous le manifestons d’abord aux autres, à tous les hommes, à toute Sa création. C’est pour nous un critère de notre amour pour Lui que de nous interroger pour savoir si, véritablement, nous sommes dignes de nous dire disciples de saint Silouane à la suite du Christ ,et que, comme lui, nous embrassons dans notre prière le monde entier. Il nous aidera par son intercession bienveillante auprès du Sauveur et de Sa Mère Toute Sainte.
© Claude Lopez-Ginisty
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Une première version de ce texte
a été publiée
aux
Editions du Désert
en 2003
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